On s'est étonné un peu partout que les États-Unis, et surtout une administration républicaine, se lancent tous azimuts dans un gigantesque plan de sauvetage des institutions financières. C'était peut-être oublier un peu vite que notre voisin du Sud avait à une autre époque, succédant d'ailleurs à une autre grande crise, inventé l'État providence.
Plus qu'un changement de paradigme, les réactions entourant cette crise, qui vient d'ailleurs de gagner l'Europe, annoncent peut-être enfin le retour à un certain pragmatisme. Ce pourrait être en effet le début de la fin de cette insupportable guerre idéologique qui oppose depuis bientôt 20 ans les partisans du tout-État à ceux du marché tout-puissant. L'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan dans les années 80 avait marqué le début de cet affrontement qui n'a pas cessé depuis.
L'élection américaine offre un autre exemple de ce retour au centre. Certes, la gauche et la droite n'ont pas disparu, mais quelle différence avec l'élection précédente, qui nous avait offert un combat terne entre un George W. Bush qui ne cessait de brandir l'épouvantail libéral et un John Kerry enfermé dans sa propre caricature de démocrate bon teint de Boston.
Malgré les portraits au vitriol que l'on tente de faire de lui, John McCain demeure un républicain du centre très différent de Bush. S'il est aujourd'hui candidat, c'est justement parce qu'il a, tout au long de sa vie politique, démontré sa capacité de travailler avec ses adversaires. Ses quelques concessions à la droite dure n'ont pas véritablement changé l'homme, comme l'a montré son appui rapide, même s'il fut terriblement maladroit, au plan Paulson qui vient finalement d'être adopté hier.
Quant à Barack Obama, il paraît s'être dégagé de l'emprise de l'aile gauche de son parti, qui l'avait poussé l'an dernier à s'opposer à l'augmentation de l'effort militaire en Irak. Un effort qui, sous la direction du général Petraeus, semble d'ailleurs sur le point de porter fruits. Ironiquement, ce succès relatif pourrait peut-être justement permettre à un éventuel président Obama d'envisager un retrait progressif des troupes comme le propose son programme. Non pas un retrait sec qui ferait place au chaos, mais un retrait mesuré et mûrement réfléchi.
L'unité enfin retrouvée au Congrès et au Sénat pour calmer la crise financière de même que cette campagne menée au centre sont d'excellents présages. Ceux d'une Amérique où, après la guerre de tranchées accentuée par l'inflation médiatique, le consensus est tranquillement en train de reprendre ses droits. Surtout en politique étrangère, un domaine où, traditionnellement, les Américains ne cultivent pas la polémique.
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Ceux qui évoquent la crise de 1929 et s'étonnent que la patrie du néolibéralisme adopte un plan de 700 milliards de dollars pour venir en aide aux institutions financières devraient jeter un coup d'oeil à la biographie de l'actuel président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke.
Celui qui a succédé en 2006 au très libéral Allan Greenspan est justement un spécialiste de la Grande Dépression. Sa thèse de doctorat portait sur le rôle de la Fed dans cette crise. Bernanke s'y attaquait au mythe selon lequel c'est le krach boursier qui avait provoqué la dépression pendant laquelle le chômage a atteint 25 %. La crise, soutient l'éminent économiste, prenait plutôt sa source dans une politique monétaire erronée qui a accentué le ralentissement économique.
Dans une conférence prononcée en 2004 à l'université Washington and Lee de Lexington, Bernanke affirmait qu'en 1929 la Fed avait les moyens de venir en aide aux banques, mais qu'elle ne l'a pas fait. «Par exemple, elle aurait pu intervenir davantage qu'elle ne l'a fait en accordant des prêts aux banques ou tout simplement en ajoutant des liquidités sur le marché [...] ce qui aurait évité la panique des consommateurs.»
Et l'universitaire de conclure: «De telles interventions sont justement la raison d'être de la Réserve fédérale. Ne pas venir en aide aux banques quand elles en ont besoin, c'est échouer dans la mission qui lui est confiée.» Dans la revue Foreign Policy de septembre 2000, Bernanke défendait la même thèse. Selon lui, c'est à nouveau une politique monétaire restrictive qui a fait perdurer les effets de la crise japonaise de 1991.
On ne peut pas accuser le grand patron de la Fed d'être incohérent. Depuis le début de la crise des subprimes et encore plus depuis la faillite de la banque Lehman Brothers, il n'a cessé d'ajouter des liquidités sur le marché et d'inciter le gouvernement à secourir les banques.
On ne le saura que dans quelques mois. Mais il se pourrait bien qu'on ait tout de même tiré quelques petites leçons de la crise de 1929.
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Cela n'a pas empêché le président français Nicolas Sarkozy d'appeler la semaine dernière à rien de moins qu'une «refondation du capitalisme». Tout à coup, on aurait cru entendre le sympathique trotskiste Olivier Bezancenot dans une de ces tirades anticapitalistes qui font les délices de la télévision française.
Nul doute que les États devront mieux réglementer les nouveaux produits financiers apparus depuis une quinzaine d'années et qui sont à l'origine de cette crise. Cela est devenu une évidence. Nombre de ces produits ont d'ailleurs été créés spécifiquement pour échapper aux règles sévères auxquelles sont soumises les banques commerciales, comme le souligne l'économiste français Daniel Cohen.
Le monde de la finance devra se livrer à une sévère introspection. Certains estiment déjà que le Fonds monétaire international aurait un rôle essentiel à jouer dans ce sens. Mais de là à «refonder» le capitalisme, on peut penser que le président s'est laissé emporter une nouvelle fois par sa fougue légendaire.
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