La farce bitumineuse

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« On est chez les demi-civilisés de l’asphalte, les handicapés de la chaussée, les dindons de la farce bitumineuse. »


Dans la province des Québécois, il y a maints programmes sociaux, plein d’humoristes et quasiment un fonctionnaire par famille. Le gros luxe.   


Mais les routes, ça, pour être mal foutues, elles sont mal foutues, probablement les pires d’Amérique.   


Ici, c’est quasiment plus l’Occident. On est chez les demi-civilisés de l’asphalte, les handicapés de la chaussée, les dindons de la farce bitumineuse.    


C’est sans doute l’un des seuls endroits au monde où vous risquez d’être dépassés par vos enjoliveurs...       


Alors si vous partez sur la route, cet été, soyez prudents : mettez vos dentiers dans le coffre à gants et dites à vos passagers de serrer les dents. On ne sait jamais quels dommages peuvent causer aux molaires et aux incisives des claquements mandibulaires trop violents.       


Voyager chez les socialistes du Canada, c’est filer d’une ornière à l’autre, d’un trou à une bosse. On ne saurait trop recommander le Gravol pour un tour de la Gaspésie ou une virée sur la Côte-Nord... Et le Poly-Grip pour les aînés.       


Y a qu’à revenir de l'étranger pour constater le triste état des lieux. Arriver du Vermont, du Nouveau-Brunswick ou d’Europe vers les autoroutes 20 ou 40, c'est la déprime assurée... Le contribuable moyen sombre dans une psychose vibratoire.       



La farce bitumineuse

Photo REPRODUCTIONS TIRÉES DE LA PREUVE




Comment en est-on arrivé là? C’est simple. On s’est habitué au travail mal fait. Le no-fault a gagné tous les esprits.       


On a admis la négligence systémique. On a laissé faire les incompétents, les crosseurs et les malhabiles. On a accepté les travaux bâclés sous le nez de soi-disant inspecteurs...        


On les a photographiés et on les a filmés ceux-là, bouche ouverte et air climatisé, chérubins à temps plein dans des pick-ups plus blancs que les nuages.       


On a laissé le laxisme s’installer. On a permis aux faux-jetons d'abuser des fonds publics. On a laissé les rues asphalter à prix fort avec une mélasse bas de gamme.        


On a mis ensuite les résultats désastreux sur le dos de l'hiver et du dégel, et aujourd'hui, on ramène tout ça au climat puisque c'est la mode... Une supercherie, même le MTQ le dit.        


Il s’est creusé au fil des années un déficit d'entretien mais plus gravement un déficit d’amour-propre difficile à corriger aujourd’hui...       


Il y a aussi que des routes, ça ne manifeste pas pour obtenir des salaires, des congés, une retraite indexée. Ça ne va pas à la télé parler d'austérité pendant que les salaires augmentent...       


Quant aux usagers de la route, la grande masse des travailleurs besogneux, ils sont occupés à gagner leur vie et n’ont pas accès aux micros de la bien-pensance.        


L’alliance urbaine de la pédale, la confédération nationale des autobus et l’union des artistes moralisateurs n’ont jamais rien à dire de l’état pitoyable de nos routes. Ils font la moue quand l'un d'eux se casse la gueule à vélo, sans plus.       


Mais quand un père de famille se tue au volant d’une voiture capotant dans un nid-de-poule, on n'entend que les cocoricos compatissants du MTQ...        


À l’approche de l’été, les touristes doivent donc savoir à quoi s’en tenir: la dégradation générale de la chaussée n’est pas une vue de l’esprit. Ni le résultat de quelque tsunami.       


Ici le patchwork est la marque de commerce des travaux publics. Territoire cédé au mauvais goût, la Belle province devra bientôt troquer ses fleurs de lys pour des cônes orange.      


  



La farce bitumineuse

Photo Pierre-Paul Poulin




Le MTQ l’admet lui-même, on a misé sur le bon marché, le vite-fait. L’espérance de vie du bitume est forcément plus courte ici qu’ailleurs. C’est un mystère provincial qu’on préfère ne pas approfondir... On toucherait au coeur du complexe industriogénial.       


Sur la 20, la 40, la 440, la 640, la 132, la 187 ou ailleurs, en sortant d’une courbe ou au beau milieu de nulle part, une bosse cache un trou, une fissure mène à une crevasse. On dirait que la surface de la Terre craque, au Québec seulement...       


Enfant pauvre du socialisme local, la route n’est donc pas un long fleuve tranquille. C’est un interminable torrent de trous, de bosses et d'entraves pour des travaux à refaire. C'est presque risible, sauf quand les touristes y font allusion...       


Or donc, si vous prenez la route, regardez devant, laissez faire le paysage, le fleuve ou les montagnes. Et gardez les yeux au sol. La vigilance vous sauvera la vie.       


Optez pour le slalom entre les monticules, les enfoncements et les cratères... Sur la Transcanadienne, par endroits, vous vous croirez sur la Lune...       


Bonnes vacances!