CÉRÉMONIE DE CITOYENNETÉ

La «famille canadienne» ne tolère pas le niqab

Ottawa portera en appel une décision de la Cour fédérale qui permet de prêter serment à visage couvert

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Le gouvernment fédéral éprouve le besoin de définir des limites au multiculturalisme et à la liberté de religion

Ottawa n’entend pas se plier à la récente décision de la Cour fédérale qui autorise une femme à conserver son voile intégral lorsqu’elle prête serment pour devenir citoyenne canadienne. Le gouvernement conservateur portera la cause en appel.

« Nous comptons déposer un avis d’appel concernant cette décision », a indiqué le premier ministre Stephen Harper, qui était de passage à Victoriaville jeudi. « La plupart des Canadiens trouveraient offensant qu’une personne cache son identité au moment même où elle souhaite se joindre à la famille canadienne. Ce n’est pas notre façon de faire et ce n’est pas acceptable. »

Cette cause prend ses racines en décembre 2011, lorsque Jason Kenney, grand responsable du dossier multiculturel dans l’équipe conservatrice, était également ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. Il avait fait adopter une directive (et non une loi) stipulant que les gens doivent se dévoiler lorsqu’ils prêtent allégeance à la reine au cours de la cérémonie officielle de citoyenneté canadienne. « Le serment de citoyenneté est un geste essentiellement public, avait-il expliqué à l’époque. C’est une déclaration publique qui démontre que vous rejoignez la famille canadienne et qui doit être faite de façon libre et ouverte, pas cachée. » M. Kenney en avait fait une « question de pur principe », soit le respect « de nos valeurs en matière d’ouverture et d’égalité ».

Mais voilà que la Torontoise Zunera Ishaq, une femme d’origine pakistanaise arrivée au Canada en 2008, a contesté cette directive. Elle a remporté une victoire vendredi dernier en Cour fédérale. Le magistrat a rappelé que selon le Règlement sur la citoyenneté, les juges de citoyenneté doivent « faire prêter le serment de citoyenneté avec dignité et solennité, tout en accordant la plus grande liberté possible pour ce qui est de la profession de foi religieuse ou l’affirmation solennelle des nouveaux citoyens ». Le juge Keith Boswell estime que cela n’est pas possible si une directive oblige des candidats à la citoyenneté à « renoncer à un élément fondamental de leur religion ». Le juge tranche que c’est la signature des documents officiels par le nouveau citoyen qui confirme son allégeance au Canada et non le fait de voir ses lèvres bouger pour prononcer le serment. Car sinon, note-t-il, ce ne sont pas seulement les femmes portant un voile intégral qui seraient interdites de citoyenneté, mais aussi les personnes muettes et les moines ayant fait voeu de silence.

Zunera Ishaq demande que sa cérémonie de citoyenneté ait lieu et qu’elle devienne donc une citoyenne canadienne à part entière. « Le bien-fondé de ma contestation a été avéré », a-t-elle confié au National Post. La déclaration du premier ministre compromet ce plan. Fait à noter : Mme Ishaq avait accepté de se dévoiler avant de passer son test de citoyenneté question qu’on puisse l’identifier. Mais elle refusait de se dévoiler pendant la cérémonie qui se tient généralement devant public (composé des proches des nouveaux citoyens). Elle a refusé l’accommodement proposé de l’asseoir à côté d’une femme tout à l’avant ou à l’arrière de la salle pour que le moins de personnes possible la voient. Elle a refusé parce que des hommes et des photographes auraient quand même pu la voir. Elle porte le niqab, ce voile qui ne laisse paraître que les yeux, depuis l’âge de 15 ans.

Son avocat, Lorne Waldman, n’a pas rappelé Le Devoir. Mais au National Post, il a indiqué que le gouvernement n’avait pas le choix de reculer. La cour, a-t-il expliqué, juge illégal de forcer une femme à retirer son voile si la sécurité n’est pas en jeu ou s’il n’y a pas un besoin d’identification.

Le Parti libéral a refusé de se mouiller sur cette question. « Nous sommes d’avis que c’est au gouvernement de répondre à cette décision », a fait savoir la porte-parole de Justin Trudeau, Mylène Dupéré.

Charte de la laïcité

Il est intéressant de noter les nombreuses nuances dans la position conservatrice sur les questions relevant du respect des valeurs canadiennes. Plusieurs conservateurs ont milité — par le dépôt de projets de loi — en faveur de l’obligation de voter à visage découvert. Cette option n’a finalement pas été retenue puisqu’aucun électeur n’a l’obligation de s’identifier visuellement avec une photo.

M. Kenney s’était toutefois opposé avec véhémence à la charte des valeurs québécoises péquiste qui aurait obligé les fonctionnaires à remiser tous leurs symboles religieux. « Nous allons la contester [si elle est adoptée], avait-il dit. Nous allons défendre vigoureusement la liberté de religion des Canadiens. » Le ministre n’avait pas autant de réticence face à une charte libérale, version Philippe Couillard. Il a indiqué qu’il n’aurait aucun problème à obliger les citoyens à recevoir et à prodiguer les services de l’État à visage découvert. « J’ai toujours dit que ce serait inadmissible pour un fonctionnaire fédéral de traiter un client, un citoyen à visage couvert. »


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