Le gouvernement Harper récemment élu a dénoncé une tentative de «coup d'État» de la part des partis d'opposition. Des attaques concertées menées par des conservateurs ont également nourri l'idée que l'accord de principe passé entre le Parti libéral du Canada et le Nouveau Parti démocratique était illégitime voire anticanadien sous prétexte que le gouvernement serait composé de plus d'un parti et qu'il exclurait celui qui a obtenu le plus de sièges lors des élections d'octobre. Mais museler la majorité des parlementaires, est-ce vraiment là une solution plus démocratique ?
En prorogeant la session parlementaire jusqu'à fin janvier, Stephen Harper a cherché à sauver son poste de premier ministre. Mais, en suspendant le débat démocratique et en bloquant la possibilité d'une coalition gouvernementale il a aussi et surtout légitimé un état d'exception. Ce gouvernement sans Parlement rappelle une situation par trop familière dans le monde, mais que l'on ne soupçonnait pas possible au Canada.
En dépit de sa constitutionnalité apparente, la décision de suspendre le Parlement mine la démocratie d'une manière beaucoup plus profonde et dangereuse qu'une coalition ne l'aurait fait.
Le Canada est une démocratie représentative, basée sur le principe du gouvernement responsable, pilier du modèle de gouvernement parlementaire de type Westminster. Les Canadiens transfèrent leur pouvoir de citoyens à des parlementaires élus qui jouent, entre deux élections, le rôle de formulation et de médiatisation de leurs intérêts. Nos élus doivent légiférer sur la base de leur programme; toutefois, ils doivent également réagir à des situations imprévues sans nous consulter à l'avance. C'est à l'échéance électorale suivante que nous pourrons sanctionner positivement ou négativement leurs décisions. Une démocratie représentative solide implique à la fois un lien de confiance et la reconnaissance des risques encourus, tant pour les électeurs que pour leurs représentants.
Le système politique canadien est aussi construit sur le principe du gouvernement responsable. Depuis le XIXe siècle, ce principe nous protège de l'arbitraire et de la mainmise de l'exécutif (c'est-à-dire du Conseil des ministres) sur les décisions politiques. Pour prendre des décisions importantes (aujourd'hui définies comme étant celles qui impliquent du financement), le gouvernement doit avoir la confiance de la chambre, qui se concrétise par le vote d'une majorité d'élus. Après l'annonce de ses mesures d'austérité économique la semaine passée, le gouvernement de Stephen Harper a perdu cette confiance. Mais quand la coalition composée du Parti libéral et du Nouveau Parti démocratique, avec l'appui du Bloc québécois, a proposé de prendre sa place, il a préféré biaiser avec les règles constitutionnelles plutôt que de se soumettre à l'épreuve démocratique d'un vote de confiance.
Depuis 2004, aucun parti ne détient la majorité des sièges au Canada et, dans ces conditions, maintenir la confiance de la Chambre est un exercice périlleux. Plusieurs scénarios existent pour s'assurer que le gouvernement ait l'appui de la majorité des parlementaires. Le premier, que nous avons connu jusqu'ici, donne le pouvoir de former un gouvernement au parti politique qui a obtenu le plus de sièges. Mais ce n'est pas le seul. Si le Parlement en vient à retirer sa confiance à un gouvernement, quelle qu'en soit la raison, les autres partis peuvent légitimement proposer un autre scénario permettant d'atteindre cette confiance. C'est ce que la coalition du Parti libéral et du Nouveau Parti démocratique proposait.
Qualifier la proposition de gouvernement par coalition de coup d'État revient à confondre une procédure constitutionnelle et légitime utilisée dans des circonstances exceptionnelles avec la situation autrement sérieuse dans laquelle nous sommes. Avec un tout nouveau Parlement prorogé une quinzaine de jours à peine après le discours du Trône, simplement parce que le premier ministre risquait de perdre son vote de confiance, les Canadiens sont en train de vivre dans un état d'exception déclaré. De la prorogation du Parlement à la formation d'une coalition, le coup de force n'est pas là où l'on croit.
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Collectif d'auteures, Les auteures sont professeures au Département de science politique de l'Université de Montréal
Laurence Bherer, Graciela Ducatenzeiler, Pascale Dufour, Jane Jenson, Éléonore Lépinard, Christine Rothmayr, Marie-Joëlle Zahar. Les auteures sont professeures au Département de science politique de l'Université de Montréal
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