La déification de René Lévesque

Af48806e621d7558ce72865fdb482f9a

La récupération de Lévesque par Bouchard fait des vagues





Qu’on me comprenne bien. René Lévesque était un brillant intellectuel.


Il fut aussi un journaliste et un communicateur d’un talent exceptionnel. Une des plus belles plumes du Québec et certes un des meilleurs ministres de l’«équipe du tonnerre» du premier ministre libéral Jean Lesage.


Et enfin, il fut lui-même un des meilleurs premiers ministres de l’histoire du Québec. Du moins, et la nuance est importante, durant son premier mandat historique de 1976 à 1981.


Or, malheureusement pour le mouvement souverainiste, il fut en même temps un bien piètre stratège politique et un mauvais tacticien lorsque venait le temps de promouvoir et de faire avancer le projet souverainiste du parti qu’il avait pourtant lui-même fondé.


Sa longue guerre d'attrition contre Pierre Bourgault en fut un symptôme parmi plusieurs d'autres.


Mais surtout, à preuve, lors de son deuxième mandat, la descente aux enfers du premier ministre Lévesque fut proprement fulgurante.


Après une défaite référendaire claire en mai 1980, le chef péquiste et premier ministre ira en campagne électorale sur la promesse de ne pas tenir un autre référendum pendant son deuxième mandat.


Comme le rappelle souvent le nouveau chef péquiste, Jean-François Lisée, la victoire des troupes de René Lévesque fut en effet très forte. Le PQ raflait 49,26% des voix et le PLQ, 46%.


Rappelons toutefois que l’Union nationale agonisait. Bref, contrairement à aujourd’hui, nous étions encore en situation virtuelle de bipartisme.


Malgré sa victoire, le Parti québécois vivrait néanmoins un mandat tout simplement cauchemardesque.


En 1981-82 : rapatriement de la constitution canadienne sans l’accord de l’Assemblée nationale et perte du véto traditionnel du Québec. Face au grand «stratège» qu’était Pierre Elliott Trudeau, René Lévesque n'a tout simplement pas fait le poids.


En 1982 : décrets imposant les «conditions de travail des 320 000 employés de l'État pour les trois prochaines années. Cette décision entraîne une série de grèves dans les divers syndicats du secteur public et parapublic». La cassure entre les syndicats et le PQ, jusque-là des alliés précieux, laisserait des séquelles pour longtemps.


En 1984, René Lévesque prend le «beau risque» fédéraliste du nouveau premier ministre conservateur Brian Mulroney et de son lieutenant québécois, Lucien Bouchard.


En réaction, un schisme éclate au Parti québécois avec le départ de plusieurs ministres de premier plan, dont Jacques Parizeau et Camille Laurin.


En 1985, René Lévesque démissionne dans l’indifférence de son propre parti.


Par la suite, son successeur à la chefferie péquiste, Pierre-Marc Johnson, confirme le virage avec son «affirmation nationale».


Après le décès de René Lévesque, le retour au bercail de Jacques Parizeau sonne la fin du virage et annonce à terme la réhabilitation du projet indépendantiste au PQ.


Sans ce retour, le PQ glissait inexorablement vers sa propre «union-nationalisation». Ce qui, il va sans dire, aurait fort probablement sonné le glas du mouvement souverainiste lui-même.


En d’autres termes, il serait peut-être temps d’en finir avec la déification posthume de René Lévesque. Et ce, tout en reconnaissant ses nombreuses contributions à la démocratie québécoise.


***


Et pourquoi tous ces rappels?


Essentiellement, parce que le successeur même de Jacques Parizeau – Lucien Bouchard -, se réclamait solennellement l’autre soir de René Lévesque.


Du moins, dans le dossier controversé de la défunte «charte des valeurs» de Pauline Marois. Et surtout, face aux questions identitaires que Jean-François Lisée disait vouloir ramener sur le tapis. Tout au moins, pendant la course à la chefferie du Parti québécois.


Voici ce qui en fut rapporté :


«L'ancien premier ministre péquiste Lucien Bouchard a affirmé jeudi soir, lors d'un discours sur l'œuvre de René Lévesque, que ce dernier se serait inquiété des débats en cours actuellement au Parti québécois sur les questions identitaires et de l'immigration.


Lucien Bouchard a affirmé que le fondateur du PQ, René Lévesque, s'inquiéterait de tout dévoiement identitaire, craignant l'effet d'exclusion qu'en subiraient les nouveaux arrivants et les minorités issues de l'immigration.


René Lévesque n'aurait pas apprécié le discours cherchant à limiter l'immigration ou à imposer des normes particulières aux immigrants, selon M. Bouchard. M. Lévesque était « à l'affût de tout dérapage » de son parti sur ces questions, selon l'ancien premier ministre. M. Lisée prône une réduction des seuils d'immigration.


Dans le même esprit, « il aurait pris ses distances avec la malencontreuse charte des valeurs » de l'ex-gouvernement Marois, a-t-il estimé.


Après son discours, prononcé au pavillon Lassonde du Musée national des beaux-arts du Québec, M. Bouchard a refusé de préciser sa pensée devant les journalistes. « Vous me permettrez de m'en tenir à mon texte », a-t-il dit.»


***


Que dire?...


S’il est fortement probable qu’à la lumière de ses hésitations même devant la loi 101, René Lévesque aurait en effet pris ses distances du volet plus contentieux de la défunte charte - soit celui sur les signes religieux -, il n’en reste pas moins que le simple fait d’invoquer son nom ne constitue pas en soi un «argument».


Cela tient plutôt de cette déification de René Lévesque dans laquelle certains versent lorsque cela fait leur affaire. Tout au moins sur la souveraineté, René Lévesque a commis trop d’erreurs de jugement sur le plan stratégique pour en faire LA référence en toutes matières politiques au Québec.


Et surtout, René Lévesque n’a jamais vu la dite charte des valeurs. Point.


Il existe pourtant suffisamment d’arguments rationnels et contemporains contre ce même volet plus contentieux.


Exemple : Jacques Parizeau, pour sa part en plein débat sur la charte en 2013, avançait lui-même des arguments solides contre toute législation formelle sur les signes religieux.


Sur cette question, l'ancien chef du Parti québécois et premier ministre fut d'ailleurs loin d’être le seul souverainiste notoire à le faire au Québec.


Au moment où l’Assemblée nationale se penche plus ou moins à nouveau sur le sujet et au moment même où le PQ et la CAQ se disputent la couronne du parti «le plus identitaire» des deux -, il faudrait peut-être s’en souvenir...


 


 


 




Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé