L'opinion de Bernard Landry #76

La Crise pour les nuls

C'est un mélange de simplisme idéologique, de rapacité et d'immoralité qui nous a conduit vers ce marasme, le plus pénible depuis 1929

Crise mondiale — crise financière


On ne sait pas très bien quand et comment elle finira, mais on sait comment a commencé cette perturbation, financière d'abord, économique ensuite, qui affecte encore la vie de milliards d'êtres humains. C'est un mélange de simplisme idéologique, de rapacité et d'immoralité qui nous a conduit vers ce marasme, le plus pénible depuis 1929.
Tout a éclaté au grand jour en 2007, mais c'est un événement survenu il y a quelques dizaines d'années, qui a servi de déclencheur lointain au séisme. Il y a un quart de siècle, le communisme s'est effondré. Ce système extrêmement idéaliste qui devait créer une richesse abondante et la répartir équitablement, a terminé son parcours dans un désastre social, économique, politique et même écologique invraisemblable. Des dizaines de millions de morts sont attribuables dans divers pays, Russie et Chine en particulier, à cette dérive pourtant fondée sur l'espoir.
Après l'implosion communiste, le système capitaliste, qui se dit lui-même basé sur la concurrence, s'est trouvé sans concurrent. Cette situation a conduit certains esprits simplistes, à Chicago d'abord, puis dans l'ensemble du monde anglo-saxon, à conclure que l'offre et la demande constituaient des dogmes religieux. Le Québec lui-même ne fut pas totalement épargné par de tels raisonnements. Par définition, le dogmatisme n'est pas souple. Il fallait donc laisser le marché totalement libre en croyant qu'il finirait par tout régler.
Les États-Unis, qui avaient sagement réglementé le capitalisme dès les années trente, avec le New Deal et le Welfare State mis de l'avant par Roosevelt pour contrer la crise, ont tourné le dos à cette vision équilibrée pour emprunter celle des "Chicago boys" et de leur gourou Milton Friedman. Avant ce virage, la différence entre le salaire moyen et le plus élevé d'une entreprise, était de un à trente, ce qui est déjà un écart respectable.
Aujourd'hui, après ces années de libéralisme effréné, il est passé de un à trois cents! Par exemple, un honnête ingénieur qui gagne 80,000 dollars par an, voit son patron en gagner 24 millions!
On a tout déréglementé dans le monde de la finance surtout, mais même ailleurs. Les syndicats, sorte de cartel, mais indispensables, ont été affaiblis et les salaires minimum négligés. Le marché allait tout régler, et pour le mieux. Résultat: vingt-cinq ans de prospérité, oui, un taux de chômage équivalent au plein emploi, oui, mais l'essentiel de la création de cette richesse s'est fait au bénéfice de 5% de la population seulement. Le pouvoir d'achat de l'immense majorité des Américains est resté stable pendant des décennies. Le marché a bien marché, mais pour une poignée de millionnaires et de milliardaires seulement.
Or ce ne sont pas les revenus des super-riches qui font tourner l'économie. Ils épargnent et placent beaucoup plus qu'ils ne dépensent, évidemment. Et c'est souvent à l'étranger, quand ce n'est pas dans d'odieux paradis fiscaux. Ce sont ceux et celles qui dépensent l'essentiel de leurs gains pour se nourrir, se vêtir, se loger et se déplacer qui font tourner l'économie. Si les revenus de cette immense majorité n'augmentent pas, comment la croissance pourrait-elle se maintenir?
Des esprits simplistes ou rapaces, ou les deux, essentiellement issus du monde de la finance, ont trouvé la réponse. Ce n'est pas en augmentant les revenus du plus grand nombre que nous ferons croître l'économie, mais en les endettant. L'épargne des ménages a cessé d'être une vertu et on les a poussés par tous les moyens à augmenter leur passif. Des cartes de crédit faciles à obtenir, des achats par versements sans versement initial, le tout encouragé par des taux d'intérêt bas, maintenus par la banque centrale américaine. Cette institution étant dirigée par Allan Greenspan, un ultra-libéral honnête mais obnubilé par sa croyance indéfectible.
Le bouquet de ce feu d'artifice d'irresponsabilité, fut l'odieuse machination des "sub primes". On vend une maison à un ménage incapable de la payer, autrement que par une hypothèque à faible intérêt. On lui dit qu'avec la hausse des prix, il n'a rien à craindre et que dans peu de temps, la maison vaudra beaucoup plus que l'hypothèque: il sera riche. La suite fut tragique. Ces familles furent incapables d'affronter les taux croissants. Elles rendirent leur clef. La valeur des maisons s'effondra. Plusieurs prêteurs qui avaient avancé de l'argent qu'ils avaient eux-mêmes emprunté, s'effondrèrent à leur tour. Finalement, c'est le contribuable américain qui, à travers un état surendetté, payera pour le désastre.
Que les nuls se consolent, c'est souvent des Ph.D. formés dans les grandes universités, qui nous ont conduits là. Il ne faut pas craindre de se rabattre sur la vieille sagesse: "qui paye ses dettes s'enrichit, il faut vivre suivant ses moyens". En passant, cela vaut aussi pour les États...
Bernard Landry


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