La Commission Bouchard Taylor et la responsabilité des fédéralistes

Chronique d'André Savard


Le commissaire et éminent sociologue [Gérard Bouchard a eu raison de protester->13888] dans une lettre contre son interprétation abusive. Il s’est fait rembarrer sans trop de nuances malgré l’insistance avec laquelle les deux commissaires ont déclaré que le Québec devait pouvoir s’émanciper de la politique du multiculturalisme canadien.
La lettre de Gérard Bouchard met en cause la réaction généralisée au sein des milieux souverainistes au rapport de la Commission. Pourtant on pourrait renvoyer souverainistes et fédéralistes dos à dos dans cette histoire. Les deux camps ont affirmé haut et fort, avant même la sortie du rapport, que les commissaires réitéraient les principes du multiculturalisme canadien.
Les deux commissaires ont eu beau s’en défendre becs et ongles lors de la conférence de presse, rien n’y fit. Autant les fédéralistes que les souverainistes voulurent croire que le rapport confortait la politique canadienne visant à faire de la nation québécoise un groupe identitaire parmi d’autres.
Il y eut de part et d’autre un navrant réductionnisme, chaque camp voulant se convaincre que l’interculturalisme était une entourloupe. Les indépendantistes se sont cantonnés dans leurs réflexes premiers et les fédéralistes ont nourri leur engouement pour de fausses raisons. Tous ont fait dire aux commissaires ce qu’ils n’avaient pas dit.
Revenons un instant sur la présomption selon laquelle l’interculturalisme ne serait que du multiculturalisme déguisé. Dans la vision multiculturaliste, la nation québécoise est un mode d’être dans l’éparpillement identitaire et communautariste. L’idée même de poser la nation québécoise comme le tronc commun auquel on doit s’agréger y est jugée comme attentatoire au libre arbitre. Dans la vision multiculturaliste, la nation québécoise n’a pas un rôle intégrateur de facto.
L’interculturalisme au contraire ne condamne pas cette disposition intégrative. Les commissaires affirment en fait qu’il en va de la responsabilité et de la survie de la nation québécoise que de l’assumer. Le rapport prend le contre-pied des discours fédéralistes qui ont jugé la cause nationale québécoise dépassée au nom de l’émiettement identitaire et communautariste.
Charles Taylor a été jusqu’à dire que « le multiculturalisme ne s’applique pas au Québec ».
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Cela pose cependant la question de l’imbrication du Québec dans le cadre actuel. Le Québec n’étant qu’une province, il est hasardeux de penser que la nation québécoise pourra se constituer autrement que comme groupe autonome sur le grand marché identitaire canadien.
Des identifications transversales opèrent. L’italophone ou l’hispanophone de Montréal écoutera télélatino basée à Toronto, animés par des torontois hispanophones ou italophones qui se rapportent à l’univers médiatique canadien. L’allemand va adhérer au cercle germano-canadien basé aussi à Toronto. En outre, les groupes identitaires sont devenus une clientèle de base du parti libéral qui s’est identifié comme fer de lance du multiculturalisme canadien. Le parti Conservateur qui s’est aperçu de la rentabilité de ce vote y tente une percée.
La grande question, tenue sous silence pendant les délibérations de la commission et qui est à l’origine du malaise est la suivante : la nation québécoise peut-elle être davantage qu’une proposition identitaire au Canada? Et, en admettant qu’elle puisse viser plus que ce minimum, peut-elle être une proposition identitaire présentée avantageusement dans le contexte canadien?
On présente cette nation au Canada comme un retour obligé dans le giron de certains interdits, linguistique surtout, et le multiculturalisme comme le domaine de la liberté pleinement assumée.
Les libéraux, autant au niveau provincial que fédéral, ont présenté le Canada comme le seul projet politique commun dans notre univers de groupes identitaires. Jean Charest a été élu en disant que son système politique était le seul à n’isoler personne, contrairement aux souverainistes qui risquaient de faire du Québec un objet de représailles.
Les politiciens fédéralistes ont utilisé les groupes identitaires pour jouer des quatre fers. La scène où Denis Coderre invite les immigrants à bien voter est emblématique à cet égard. Avant que ne se soulève le débat sur le voile islamique, un immense humus idéologique et politique avait été mis en place par quarante ans de militantisme forcené des fédéralistes au Québec. Il est à se demander si la réaction particulière qui a donné jour à la Commission ne traduisait pas un déplacement de la part d’une population qui s’est fait tellement sommer de ne pas s’inquiéter de sa capacité de résistance au Canada.
Le Canada, dans l’intention de replier la cause nationale québécoise sur des bases raciales, a plus que tout autre pays répété le credo voulant que les particularismes identitaires deviennent l’unique forme de régulation d’un océan à l’autre. Les fédéralistes ont défendu cette logique du libre marché identitaire au Canada avec autant de fermeté idéologique que les néo-libéraux défendent la liberté des marchés économiques. Il doit s’agir d’un destin dans leur optique et on se fait accuser d’outrepasser ses droits en voulant le contrecarrer.
Le gouvernement Charest, empressé de boucler l’aventure, a brandi la charte des droits. Au lendemain de la publication du rapport, il fallait se prononcer au plus vite à l’Assemblée nationale sur l’égalité des hommes et des femmes et sur la séparation de l’Église et de l’Etat. Le gouvernement provincial le voulait d’autant plus que « ça faisait consensus » puisque des chartes, tant au niveau fédéral que provincial, le statuaient déjà.
La réaction du gouvernement Charest pose aussi une autre question : est-ce possible de s’affirmer autrement que comme intermédiaire du gouvernement fédéral et gardien des droits individuels tel que stipulé par la Charte? Le Québec est une province qui a le droit de faire des lois en autant qu’elles n’outrepassent pas ses juridictions. On peut craindre, si le statut du Québec ne change pas, que même la loi 101 ne finisse par s’inscrire parmi les morales résiduelles, les proscriptions et les disciplines. On verra de plus en plus d’immigrants tenir l’anglais pour la langue opposée à la réglementation moralisante.
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Il y a quand même un peu de nouveau dans l’initiative gouvernementale. Le gouvernement promet l’élargissement de l’enveloppe budgétaire réservée à la francisation des immigrants. Reste à voir si cela changera quoi que ce soit et suivra proportionnellement l’élévation du seuil d’immigration. Reste à voir si les fonds supplémentaires parviendront à mieux que simplement maintenir le niveau actuel d’insuffisance.
Face à la francisation forcée, comptez sur les médias anglos pour prôner la fin de la loi du plus fort : remarquable culbute symbolique qui est devenue la spécialité de l’opinion publique canadienne. Le nationalisme québécois est présenté dans leur pays comme une crispation régressive.
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La Commission Bouchard-Taylor se voulait apolitique. Elle ne pouvait donc pas traiter de front la dynamique relationnelle entre les groupes identitaires et la nation québécoise. Elle devait garder le silence sur la dépendance de cette relation avec l’évaluation que le Canada fait du Québec. En fait, viser le cœur du problème lui était interdit.
Pour le moment, il est impossible de dire : Vous êtes au Québec ici, pas au Canada. On ne peut pas dissocier l’identité de ce qui fait office de relais identitaires : associations, journaux, établissements, institutions gouvernementales. Il n’y a que des institutions canadiennes au Canada, le gouvernement québécois inclus.
André Savard


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    17 juin 2008

    Parizeau-Landry, même école ?
    http://www.vigile.net/Bernard-Landry-rabroue-a-son-tour
    Bernard Landry fait la même erreur de jugement que fait Parizeau en prétextant que Taylor, Charest, Johnson, sont exclus du "nous" Canadien de souche. Le pire c'est qu'il se contredit lui-même en précisant qu'ils ont bien une descendance canadienne de souche (française) de par leurs mères !
    Tout comme chez Parizeau, il a une mentalité sexiste qui refuse tout héritage par la femme (nom de famille plutôt que culture maternelle) et il n'accorde aucun libre choix aux messieurs nommés pour décider d'une préférence entre leurs héritages ethnoculturels.
    Parizeau et Landry préfèrent nier la réalité ethnique. Ils nient la forêt (nous).

  • Georges-Étienne Cartier Répondre

    16 juin 2008

    "Pour le moment il est impossible de dire: Vous êtes au Québec ici, pas au Canada! ", affirmez-vous...
    Eh NON ! Il y a des année que je le rétorque aussi brutalement et FÉROCEMENT que possible à quiconque ( PAS D`EXCEPTION AUCUNE) est assez "baveux" pour m`agresser avec un "On est au Canada ici!" . Ce à quoi j`ajoute que "...le Canada commence passé Rigaud et pas avant!" .
    L`effet en est FOUDROYANT, et FORCE le RESPECT !Car l`autre ne s`y attend jamais ( !!! )
    L`intérêt de cette attitude ? Évident, ce me semble: à force de répétition, CRÉER un ÉTAT DE FAIT PSYCHOLOGIQUE. C`est ainsi à la longue, et à la condition d'être aussi généralisée, que se forge, une COUTUME, source de DROIT !
    Sans compter que le succès immédiat de cette contre-attaque d`affirmation sans appel a un effet merveilleux sur son auteur qu`il consolide chaque fois un peu plus dans sa VOLONTÉ politique.
    "Illégale" ? Mais On s`en fout, et c`est là précisément, dans cette "désobéissance civile" mentale d`abord, puis verbale et concrète quand elle est suivie du refus de recevoir et parler l`anglais que l`autre prétend imposer, que se situe toute sa force !
    Non seulement on refuse la règle que l`autre prétend imposer, on la casse et marche dessus !
    Une guerre ( et c`en est une ! ) faite à coups de principes philosophiques et de textes de loi , fussent ils ceux de "Chartres", est perdue d`avance...sauf si l`autre est assez bête pour se limiter aux mêmes armes, ce qu`il n`est pas !
    Et NOUS sommes responsables de la gagner.

  • Archives de Vigile Répondre

    16 juin 2008

    "Revenons un instant sur la présomption selon laquelle l’interculturalisme ne serait que du multiculturalisme déguisé."(André Savard)
    C'est l'inverse.
    Le multiculturalisme est un interculturalisme déguisé.
    Partout au Canada et au Québec nous voyons une société multiethnique qui intègre la culture majoritaire anglo-saxonne. C'est l'interculturalisme à la culture dominante.
    Aucune culture minoritaire n'a le rapport de force pour pratiquer un interculturalisme parallèle ou à l'intérieur de l'anglophone. Ni les Québécois de souche ni les Chinois de Vancouver (qui ont l'anglais comme langue seconde).
    L'interculturalisme se fait vers l'anglais.
    Ce qui conserve les identités est l'ethnicité.
    Ce qui assure la disparition et le recul du français au Québec est le rejet de son identité ethnique et donc de sa cohésion identitaire. Sa langue est la première à en souffrir.