La Commission a négligé des preuves importantes

L’influence du crime organisé sur l’industrie de la construction demeure, dit un ex-enquêteur de la SQ

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En agissant de la sorte, la Commission Charbonneau se trouve à se saborder

La commission Charbonneau aurait pu faire beaucoup plus de dégâts au Parti libéral du Québec (PLQ), avec des témoins recrutés par l’Unité anticollusion (UAC), et à la FTQ-Construction, avec le matériel de l’opération policière Diligence. Et des cibles importantes s’en tirent à trop bon compte.

Selon l’enquêteur à la retraite Sylvain Tremblay, la Commission s’est arrêtée en chemin pour des raisons qu’il s’explique mal.

Dès le début des travaux, il a personnellement rencontré les procureurs et les enquêteurs de la Commission pour leur faire un « portrait » de l’influence du crime organisé sur l’industrie de la construction.

« Ils avaient les mains pleines avec le rapport Duchesneau, l’opération Diligence et l’opération Colisée. Ils avaient tout pour décrire le système. Et c’était ça, leur mission. C’était de nous faire découvrir le système. Si on regarde le résultat final, l’objectif n’est absolument pas atteint. Le système est encore en place », dit M. Tremblay.

À la demande du Devoir, M. Tremblay a accepté de faire un bilan des travaux de la Commission Charbonneau. Il fait l’éloge de la Commission pour le volet municipal, mais il s’attendait à une percée beaucoup plus importante au provincial. « On a escamoté des cibles très importantes », se désole-t-il.

M. Tremblay parle en connaissance de cause. Durant sa carrière à la Sûreté du Québec (SQ), il fut l’un des principaux responsables des opérations SharQc et Diligence. La première opération a mené à l’arrestation de la quasi-totalité des Hells Angels au Québec, tandis que la seconde a révélé l’existence de liens entre les membres du gang et des dirigeants de la FTQ-Construction (FTQ-C).

En 2010, il s’est joint à l’équipe de Jacques Duchesneau au sein de l’UAC du ministère des Transports du Québec. Dans un rapport accablant, l’UAC a dénoncé la présence d’un « empire malfaisant » qui finançait massivement les partis provinciaux, afin de mettre la main sur les contrats du MTQ.

Dès le début des travaux, l’UAC a informé la Commission du rôle trouble joué par Marc Bibeau dans le financement du Parti libéral. L’Unité de Jacques Duchesneau avait rencontré un témoin de haut calibre, un homme d’affaires qui connaît très bien la politique provinciale et municipale. Il avait fait des liens qui s’imposent entre le PLQ, le financement et les contrats publics.

La Commission connaissait l’identité de l’individu, à qui l’UAC avait accordé l’anonymat. Il aurait notamment pu établir des liens entre Marc Bibeau, administrateur de Schokbéton, Pierre Bibeau, un militant libéral de longue date employé de Loto-Québec et Tony Accurso. Les deux Bibeau n’ont aucun lien de parenté, mais ils ont un point en commun. Ils ont tous les deux été montrés du doigt pour le financement sectoriel du PLQ à la commission Charbonneau.

Trop peu, trop tard

Comme de nombreux observateurs, Sylvain Tremblay juge que la commission Charbonneau a trop tardé avant d’aborder la question du financement provincial, qui est pourtant centrale à son mandat. La Commission a démontré que les entrepreneurs et les firmes de génie-conseil utilisaient leurs employés et leurs proches comme prête-noms pour financer illégalement les partis provinciaux.

La majorité des témoins ont cependant indiqué qu’ils considéraient ces dons comme « une police d’assurance ». « On ne donne pas pour en obtenir [des contrats], on donne pour ne pas être exclu », a résumé l’entrepreneur Tony Accurso.

La Commission n’a pas été en mesure d’établir l’existence des fameux « renvois d’ascenseur » en politique provinciale, soit l’obtention de contrats publics du MTQ ou d’Hydro-Québec en échange des contributions.

Un seul témoin, Georges Dick, a impliqué Marc Bibeau dans le financement occulte. L’ancien président de RSW, une firme de génie-conseil qui a décroché d’importants contrats d’Hydro-Québec pour la construction de barrages hydroélectriques, a raconté que M. Bibeau lui avait demandé une somme de 60 000 à 80 000 $, à la veille de l’élection de Jean Charest, en 2002.

« Il parlait de trafic d’influence, finalement. Il suggérait qu’il pouvait diriger les contrats puis en enlever, puis en redonner », a déclaré M. Dick.

Marc Bibeau a nié en bloc les propos « mensongers et diffamatoires » de M. Dick dans un communiqué.

Selon Sylvain Tremblay, le témoignage de Georges Dick aurait pu faire boule de neige s’il avait été convoqué plus rapidement. Il aurait pu inciter d’autres témoins potentiels à se manifester. « Ils ont fait un choix de sortir ça à la fin, juste avant que la cloche sonne. Pourquoi on ne l’a pas fait après les six premiers mois ? Était-ce une stratégie ? On dirait qu’il y a des choses qu’ils ne veulent pas voir. »

Des secrets syndicaux

La FTQ-Construction a passé un mauvais quart d’heure à la Commission. L’infiltration de la mafia et des Hells Angels dans le principal syndicat de l’industrie a été largement documentée, entre autres grâce aux écoutes électroniques de Diligence, que Sylvain Tremblay connaît sur le bout de ses doigts.

Encore une fois, l’ex-policier croit qu’il y avait matière à pousser l’examen un peu plus loin. La délivrance de cartes de qualification à des membres du crime organisé ou à leurs pions a été complètement passée sous silence, de même que les inspections de complaisance sur les chantiers et l’émission de certificats de conformité bidon pour des entrepreneurs en situation d’irrégularité.

Sylvain Tremblay garde un goût amer de Diligence. Le deuxième volet de cette opération policière, portant sur l’infiltration du crime organisé à la centrale et au Fonds de solidarité, a été coulé en raison de fuites. Si le passé est garant de l’avenir, Sylvain Tremblay est pessimiste.

Même si l’Unité permanente anticorruption (UPAC) enquête activement sur le financement illégal du Parti libéral par des entrepreneurs et des firmes de génie-conseil, Sylvain Tremblay doute « sérieusement » de la volonté du système judiciaire de mettre en accusation des élus de l’Assemblée nationale (passés ou présents) ou des dirigeants d’organismes publics.


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