La boîte de Pandore qu’est la Constitution Canadienne

IDÉES - la polis



[->20830] Alors que Michael Ignatieff nous a rappelé récemment (fin août 2009) l’importance de l’année 2017, laquelle sera le 150e anniversaire de la fédération –non pas confédération− canadienne, ce texte que j’avais écrit au printemps 2009 s’avère encore d’actualité. Je vous le fournis. Mais pour mieux en saisir la portée, il faut aussi le placer en lien direct avec un essai plus récent, [Le Québec n’est pas encore un pays.
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Étant interpelé par l’amélioration de la société québécoise, j’ai choisi d’effectuer un bref retour en arrière sur l’actualité de notre province.
De passage à l’émission Les Coulisses du Pouvoir, le 22 mars dernier, Michael Ignatieff a tenu des propos qu’il est pertinent de souligner. Il est pour le moins étonnant que le chef du Parti Libéral du Canada (PLC) ait prononcé ce qu’il a dit, et en soi, ses propos peuvent continuer d’alimenter le débat autour de la souveraineté du Québec, voire de sa pertinence, et pas que pour les Québécois-es mais aussi pour les Canadien-ne-s.[1]
Réglé ou non, le débat constitutionnel sera toujours une question pertinente et légitime pour un peuple, non seulement parce qu’une constitution est le reflet d’un moment historique fort, pas nécessairement positif cependant, mais aussi parce que cette constitution doit continuer d’incarner les valeurs d’un peuple, devant l’accompagner dans les changements qu’il a fait au cours de son histoire, ainsi que ceux qu’il se propose d’effectuer en tant que responsable de ses propres actions.
Les propos de Michael Ignatieff sur la Constitution canadienne sont significatifs de tout le malaise qu’éprouve le Canada anglais face à sa propre Loi fondatrice. Voici le passage de l’entrevue qui me préoccupe, et me fait réagir[2] :
« Le Québec ne fait toujours pas partie de la Constitution. Cela vous tenterait de rouvrir ce dossier-là ? », lui demande l’animateur, Daniel Lessard.
« Je crois que les Québécois n’ont pas grande envie d’ouvrir la boîte constitutionnelle, la boîte de Pandore, lui répond Michael Ignatieff. Je crois qu’ils veulent, au contraire, travailler sur les dossiers concrets. Nous sommes en pleine crise ; la plus grande crise économique depuis deux générations […] gouvernement qui se concentre sur le chômage et non sur les aventures constitutionnelles. »
Effectuons une petite parenthèse en rappelant ce qu’était le mythe de la boîte de Pandore. À cette femme d’une grande beauté qu’était Pandore fut remise une jarre, une consigne l’accompagnant : il lui était interdit d’ouvrir cette jarre. Celle-ci ne contenait rien de moins que tous les maux de l’humanité, d’où la mise en garde de Zeus. Mais la curiosité l’emporta, et Pandore ouvrit la boîte, relâchant ces fléaux sur la Terre. L’espérance resta pourtant au fond de la jarre, sans chercher à s’extraire, empêchant les humain-e-s de supporter les malheurs qui s’abattaient désormais sur eux et elles. Le mythe de la boîte de Pandore est venu à symboliser la cause d’une catastrophe, un danger néfaste et désastreux pour les gens sur son chemin.[3]
Que le chef d’un parti politique fédéraliste tienne un tel discours négatif à propos de la Constitution canadienne, la comparant à une source de fléaux, c’est pour le moins étonnant. La Constitution du Canada est le document central sinon fondateur de la vision fédéraliste, que dis-je, de la raison d’être, d’un parti fédéraliste et de la population qui s’y sait comprise et vote pour lui, élection après élection ; il y a de quoi laisser perplexe à entendre un énoncé de la sorte.
Mais par ses propos, comme les Québécois-es souverainistes, Michael Ignatieff reconnaît que l’Acte d’Amérique du Nord britannique (AANB) de 1867, rapatrié en 1982 par Pierre-Elliott Trudeau (PET), est un danger public, qu’elle est source de divisions, de conflits et de menace pour les gens. De tels mots témoignent en fait d’une crainte de la Constitution du Canada, portant en elle-même le germe de la discorde. Pourtant, nous nous serions attendus à ce que celle du Canada inspire un Canadien, le motive, le porte à agir noblement, et ce auprès des gens dont il réclame le vote. Le cas contraire, qui n’est que le cas présent, m’incite à dire que, malgré tous les torts que cette Constitution crée, les Canadiens l’ont en hantise, préférant jouer à l’autruche plutôt que de faire face aux défis de la modernité et d’actualiser leur document fondateur, à la fois nationalement mais aussi internationalement. Après tout, une Constitution stipule aux autres ce que ces constituants sont, d’où ils viennent et vers quoi ils tendent en tant que pays et nation. Peut-être que les Canadiens ont peur du mot « nation », lequel mène assurément à « nationalisme » ?
Certes, avec le coup de force que fut le rapatriement de 1982, et avec les échecs des Accords de Meech (1990) et de Charlottetown (1992), lesquels avaient tant bien que mal tenté de réintégrer le Québec dans le giron canadien, ces événements ont marqué la raison et les sentiments des Québécois-es et des Canadien-ne-s. Il y a désormais de quoi anticiper un désastre sur de futures négociations constitutionnelles alors que, autrefois, le Québec demandait bien plus que ce que les autres provinces et Ottawa auraient accepté de concéder.
Avec les échecs de ces deux accords, les fédéralistes et les souverainistes savent tous qu’il n’y aura pas de réformes constitutionnelles majeures, dignes de ce nom, permettant une saine harmonie des peuples dans un même État. C’est d’autant plus vrai malgré le discours du 26 novembre 2006. C’est à cette date que Stephen Harper a fait son discours sur la reconnaissance de la nation québécoise dans un Canada uni. Nous savons tous que le Canada n’est pas uni ; Meech et Charlottetown, c’était trop concéder aux Québécois-es pour le Reste du Canada, et c’était trop peu pour les Québécois-es et le peuple distinct qu’ils sont et forment au quotidien. Alors, ne nous leurrons pas : ces mots d’unité furent prononcés pour séduire, rien de plus.
Nous pouvons effectuer un parallèle entre le mythe de Pandore et l’AANB. Celle-ci, comme le fut la jarre donnée à Pandore, était un cadeau remis par l’Angleterre à sa colonie du Canada, laquelle réclamait déjà une forme d’autonomie par rapport à l’empire britannique. À l’époque, il y avait une nécessité d’encadrer légalement le développement et l’avenir de cette terre lointaine, cette « terre d’un océan à l’autre ». Pour punir sa colonie de ne pas avoir assimilé le peuple Canadien français, la mère patrie lui remit un document légal stipulant un partage fédératif de compétences plutôt qu’une union nationale, ce qui ne manqua pas de créer des maux entre les provinces et Ottawa, mais surtout entre le Québec et Ottawa. Ainsi, par la création d’un Acte constitutionnel délimitant le partage de compétences, et permettant ainsi au peuple francophone de survivre sur un territoire qui lui était attitré, l’Angleterre pouvait exercer une certaine vengeance sur chacun d’eux, Canadiens français et anglais, les plaçant dans une discorde et des maux qui n’en finissent jamais. C’est certainement ce à quoi faisait référence Michael Ignatieff lors de son entrevue.
Pourtant, ce n’est pas parce que nous sommes dans un contexte économique difficile et incertain qu’il faut se refuser d’effectuer certains débats vitaux ; l’économie, peu importe sa forme, sera toujours présente. Le débat constitutionnel est l’un de ces débats vitaux pertinents à avoir. En 1867, le Québec et les autres provinces d’alors furent forcées à un acte fédératif pour le développement de la colonie, aujourd’hui un pays. Cependant, comme nous le savons, lors du rapatriement de 1982, le Québec a refusé de signer son adhésion au Canada. Les raisons du Québec étaient simples : à l’époque, alors que les provinces étaient plus naïves face à Ottawa, pour effectuer des changements constitutionnels, tel un rapatriement, il fallait leur accord et les avoir préalablement consulté. PET a préféré procéder de façon unilatérale, rompant ainsi avec la pratique constitutionnelle établie.
D’un point de vue juridique, par la Cour suprême du Canada (CSC), le fédéral pouvait agir sans l’accord des provinces. De ce point de vue, le fédéral a pu procéder unilatéralement (sans l’accord des provinces) au rapatriement de la Constitution en 1982, mais la CSC a statué que le Québec ne pouvait procéder unilatéralement à la sécession, ce qui a mené à la Loi C-20 de Stéphane Dion ; deux poids, deux mesures. Le droit canadien ne jugera jamais autrement que dans le sens « Canadian ». Cependant, il y avait en usage des conventions faisant que le gouvernement fédéral ne pouvait agir sans l’accord des provinces. Disons que ces conventions n’étaient pas justiciables, soient d’être passibles de sanctions dans une cour de justice, n’étant pas cristallisées en règles de droit. Ceci faisait qu’aucun Premier ministre, ni l’entité fédérale, ne pouvait être poursuivi en justice pour ne pas avoir agi avec l’accord des provinces. En somme, ce qui s’était passé, c’est que le fédéral pouvait tout de même agir contre le Québec sans craindre les poursuites pour ne pas l’avoir consulté, en plus d’être protégé par la CSC. Beau fédéralisme !
Ainsi, depuis cette époque, le Québec se trouve dans un vide juridique, n’ayant pas ratifié une constitution qui le limite pourtant dans son devenir, ses compétences, en plus de se voir investi dans les siennes par les compétences du fédéral, par les compétences partagées ainsi que son pouvoir de dépenser, lequel impose bien entendu ses conditions d’unité canadienne.
Je considère qu’il est sain de vouloir mettre fin aux vides juridiques lorsqu’ils sont découverts, et ce vide-ci, le vide constitutionnel du Québec, n’est pas difficile à percevoir, à moins d’être aveugle ou de se refuser à un changement de mentalité pour amorcer des changements souhaitables, nécessaires et vitaux. C’est ce que les sots font, jouant l’autruche, et c’est ce qu’Ottawa fait à l’égard du Québec depuis de nombreuses années. Il y a une nécessité de mettre fin au vide juridique dans lequel le Québec se trouve pour ne pas avoir signé le rapatriement en 1982.
Le peuple anglophone du Reste du Canada ne propose rien pour (ré)intégrer le Québec au reste du Canada, non pas que nous le souhaitions d’ailleurs ; pour lui, chaque réforme constitutionnelle est une demande de trop de la part des Québécois-es. Pourquoi accorder quoique ce soit, dans ce cas. Pourtant, pour le peuple du Québec, ce n’est que le minimum vital lié à sa survie en Amérique du Nord, soit de disposer d’une reconnaissance efficace, et qu’elle soit donc munie de moyens pour assurer sa pérennité et son émancipation. Mais, dans notre propre État, nous ferons mieux que de survivre sur le respirateur artificiel canadien : nous serions libres. Libres de respirer notre air et de faire notre devenir.
Avec la motion de Stephen Harper sur la nation québécoise dans un Canada uni, nous ne pouvons manquer de constater, dans le Canada anglais, que cette motion avait suscité des remous réprobateurs à l’égard de la façon de faire du Premier ministre, en concédant quelque chose aux Québécois-es, alors que, pour nous, c’était bien peu, voire inutile de faire cela pour le Québec si cela n’était accompagné d’aucune mesures concrètes et permanentes, comme d’avoir notre propre droit de parole lors des négociations internationales, comme celles à l’UNESCO, ou sur le protocole de Kyoto et même sur la manière d’intervenir en Afghanistan.
Les mots provenant d’Ottawa ne sont guère satisfaisants pour les souverainistes ni pour les autonomistes, deux groupes politiques qui militent pour des changements constitutionnels. Pour le moins, à défaut qu’il y en ait une au Canada, il y a au Québec une nécessité et une volonté d’aller plus loin sur le sujet des changements constitutionnels.
Minimalement, nous nous devons de reconnaître qu’il y a une nécessité légitime pour des réformes constitutionnelles. Les compétences provinciales sont aujourd’hui des compétences prioritaires et vitales, ce qu’elles n’étaient pas en 1867 ; là-dessus, les souverainistes, les autonomistes et les fédéralistes peuvent le reconnaître aisément, soit pour faire un nouvel État, soit pour en modifier un existant. Que de refuser d’effectuer des changements constitutionnels, c’est refuser de reconnaître que le monde a évolué depuis 1867, ce qu’il a pourtant fait, même si certains préféraient vivre dans le passé. D’abord, la majorité de la population des sociétés (libérales) n’est plus centrée sur l’autarcie agricole. Ensuite, il y a eu l’urbanisation, et le développement des économies tertiaire (services) et quaternaire (savoir et communications).
La langue, la culture et les télécommunications sont aussi des compétences nationales qu’il faut développer ; pour mieux les déployer, il faut pour le moins que ces compétences soient imbriquées les unes aux autres. En ce qui concerne le Québec, les télécommunications relèvent du gouvernement fédéral, alors que la culture, la langue et l’éducation relèvent de sa juridiction. Un partage des compétences diminue toute portée des politiques culturelles que voudrait effectuer le Québec pour sa propre préservation et sa future autonomie linguistique. Au Canada, il y a deux mentalités, deux visions, qui ne tiennent pas les mêmes propos, ni pour les mêmes raisons, ce qui cause des frictions et des tensions qui n’ont aucune raison d’être en fait, mais qui perdurent car la Constitution canadienne n’est pas négociable, à cause des modalités d’amendement qui sont incluses en elles, trop exigeantes.
Une autre réforme constitutionnelle majeure qu’il faudrait réaliser, et c’est valable pour toute nouvelle constitution, c’est de mentionner l’existence et de définir les fonctions et devoirs du Premier ministre. Saviez-vous que l’existence du Premier ministre (canadien ou provincial) n’est même pas stipulée dans la Constitution canadienne, autant celle de 1867 que celle de 1982 ? C’est la même situation pour les conditions de sa désignation, dont le fonctionnement est issu de la tradition, non pas d’une loi. Rien d’étonnant à voir le Premier ministre, Harper ou Charest, agir comme un roi élu, et dire une chose avant une campagne électorale (L’économie se porte bien ; automne 2008) pour en dire une autre après son élection (Nous sommes en récession) ! Pour ne pas avoir vu à court terme (4 à 8 mois) que l’économie s’en allait en récession, alors que les Premiers ministres ont accès à tout l’appareil d’État pour les données économiques, il est étonnant qu’ils fussent été borgnes en 2008. Que là-dessus, un chef d’État mériterait d’être destitué. Mais pour cela, outre la prochaine élection, il y a nécessité de baliser les fonctions du chef de l’État.
Malgré tout cela, il n’y aura pas de réformes constitutionnelles qui auront lieu et qui satisferont ET le Québec et le Canada. La boîte de Pandore est là pour rester. Le discours sur la nation québécoise n’y changera rien, non plus. D’ailleurs, les Québécois-es ne forment pas une nation, mais bel et bien un peuple. Cette erreur provient d’une traduction erronée en passant de l’anglais au français. La nation, un peuple en dispose lorsqu’il se donne un pays car, à ce moment, il a librement choisi « de s’associer et de s’unir dans la poursuite d’objectifs communs tout en convenant souverainement d’accorder son allégeance à une forme déterminée d’organisation du pouvoir. »
Cela fait quelques décennies au moins que la question de la vie collective au Québec ne s’effectue plus sur une base ethnique, dite autrefois nationale. Nous, les Québécois-es, sommes un peuple et c’est ce terme que nous utilisons pour nous désigner, souverainistes ou autres. Au Canada, le terme de nation fait référence au multiculturalisme canadien, lequel ne reconnaît aucun peuple –exception faite des premières nations– mais ne reconnaît que des communautés culturelles. Les francophones du Québec et les anglophones du Canada sont des peuples, et l’AANB ne les reconnaît même pas à leur juste titre. Comme si taire le mot peuple allait empêcher cette émancipation nécessaire à laquelle aspire chaque groupe sur un territoire politique, là où chacun ne serait mieux que sur le sien. Ne serait-ce que pour cela, il y a une nécessité vitale pour un changement constitutionnel.
Pour conclure, si la Constitution du Canada crée un tel effet, l’effet Pandore, à un fédéraliste, il est temps que les Québécois-es fassent leur propre Constitution, qu’ils se donnent une Loi Constitutionnelle inspirant la fierté, qui saura se renouveler dans sa chaque nouvelle génération de Québécois-es, plutôt que de chercher à s’imposer à chacun d’eux par le temps, tel un archaïsme répété sans savoir pourquoi, ni quel sens lui donner.
Le peuple du Québec est le meilleur garant de son indépendance nationale, culturelle et politique. Par l’indépendance, les Québécois-es mettront fin au vide juridique dans lequel elles et ils se trouvent, tout en rompant avec le mythe de Pandore qui les afflige encore. Ce geste d’affirmation et de vigueur démontre la seule véritable légitimité pour assurer la pérennité et la reconnaissance internationale.
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[1] : Voir mon texte Le Québec n’est pas encore un pays.
2] : Source : [http://www.radio-canada.ca/audio-video/pop.shtml#urlMedia%3D/medianet/2009/CBFT/LesCoulissesDuPouvoir 200903221100.asx&promo%3DZAPmedia_LesCoulissesDuPouvoir (minute : 4m 9sec). Consulté le 22 mars 2009.
3] : Source : [http://www.linternaute.com/expression/langue-francaise/80/la-boite-de-pandore/. Consulté le 3 avril 2009.

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Jocelyn Parent7 articles

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Je suis un intellectuel qui place ses énergies dans l’émancipation du Québec et des Québécois-es, en vue de participer à leur procurer un État moderne et digne de ce nom. Ma réflexion est mise à la contribution des gens pour susciter la réflexion et l’élargissement de ce qu’est un citoyen, un électeur et une personne vivant en société. Cela se résume en un seul mot : la responsabilité. Faire ses devoirs pour mieux voter et mieux interpeler les élu-e-s, de sorte à ce que ceux-ci remplissent le seul mandat qui leur est dévolu : prendre soin de la population, non pas de façon paternaliste mais en participant avec le peuple à réaliser une société viable, intéressante et qui valorise le respect des gens, non pas qui vise à les berner.





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