La Belgique brisée

Belgique - des leçons à tirer...

Les quotidiens de Belgique ont largement fait écho à la crise politique actuelle, qui divise littéralement le pays en deux. - Photo AFP
Le 10 juin dernier, les élections fédérales belges consacraient la défaite du gouvernement mené par le libéral flamand Guy Verhofstadt, au pouvoir depuis huit ans.



La Belgique n’ayant pas de partis politiques nationaux, c’est-à-dire des partis qui présentent des candidats à la fois chez la population flamande et francophone, la lecture des résultats doit se faire de la perspective de chacun des groupes linguistiques. Du côté de la majorité flamande, les gagnants de ces élections furent les chrétiens-démocrates (la force politique historique de Flandre) et leurs partenaires d’un petit parti nationaliste flamand modéré (avec 30 sièges sur 150) tandis que les libéraux suivent avec 18 sièges. Chez les francophones, le parti libéral Mouvement réformateur a devancé, avec 23 sièges, le parti socialiste, traditionnellement dominant en Wallonie, qui en a récolté 20.
Dans ce contexte, il en incombait au chef des chrétiens-démocrates flamands, Yves Leterme, de tenter de former un gouvernement. En vertu des règles politiques belges, cet exercice nécessite l’inclusion de partis politiques francophones, typiquement ceux de même famille politique. Après plus de 10 semaines de négociations, Leterme a annoncé au roi que ses efforts se sont avérés infructueux, laissant la Belgique non seulement sans gouvernement légitime (la coalition sortante continue de s’occuper des affaires du pays) mais en proie à une nouvelle crise politique.
Impasse grandissante
L’incapacité du chef chrétien-démocrate flamand à former un gouvernement traduit une impasse toujours grandissante entre politiciens francophones et flamands sur l’avenir de la Belgique. Pour les partis flamands, la Belgique, déjà une des fédérations les plus décentralisées au monde, doit continuer d’accroître l’autonomie politique et financière de ses entités fédérées. Ces partis prônent, entre autres, de décentraliser plusieurs aspects de la politique sociale de façon à éviter que la Flandre, plus riche, ne paye pour les services utilisés par les francophones, plus pauvres. Du côté francophone, une plus grande décentralisation rendrait difficile le maintien de la protection sociale actuelle. Peut-être encore plus important est le fait que décentraliser encore plus la fédération belge entraînerait, pour les francophones, la fin de la Belgique, sinon en droit du moins en fait.
Un observateur non averti de la politique belge aurait pu croire qu’Yves Leterme, bilingue et fils de parents flamand et francophone, soit l’homme parfait pour naviguer à travers cette situation. Mais, à la différence de Guy Verhofstadt et de Jean-Luc Dehaene avant lui, Leterme est un nationaliste flamand qui n’a jamais cherché à cacher que sa loyauté première allait à la Flandre, comme en font foi plusieurs de ses déclarations et comportements publics : il a, par exemple, suggéré que la Belgique n’était qu’un accident de l’histoire et il s’est dit incapable d’expliquer pourquoi la fête nationale du pays est le 21 juillet ou de réciter les paroles de son hymne national !
Le comportement de Leterme traduit une réalité politique fondamentale en Belgique : tous les partis flamands, avec l’exception partielle des socialistes, voient le fédéralisme belge comme un processus qui ne saurait s’arrêter que lorsque l’État fédéral belge aura été dépouillé de presque tous ses pouvoirs, tandis que tous les partis francophones jugent que le pays est assez décentralisé et s’opposent à toute nouvelle réforme.
Des leçons
Quel enseignement peut-on tirer de cette nouvelle crise politique en Belgique ? Elle met en lumière l’importance des partis politiques rassembleurs dans un contexte de décentralisation institutionnelle et politique. En Belgique, il n’y a pas de partis nationaux, ce qui fait que les partis flamands n’ont pas à chercher à plaire aux électeurs francophones, et vice-versa. Ils n’ont pas, en d’autres termes, d’incitatifs à adopter un discours modéré sur les questions d’ordre constitutionnel. Le résultat est la construction de sociétés partageant une citoyenneté mais isolées l’une de l’autre, malgré le fait que les sondages montrent qu’une majorité de francophones et de Flamands sont toujours attachés à la Belgique et souhaitent sa survie.
Qu’arrivera-t-il à la Belgique ? À court terme, le roi Albert II invitera un autre chef de parti à former un gouvernement, possiblement le libéral francophone Didier Reynders. À plus long terme, il sera difficile pour les francophones d’arrêter complètement la poussée des partis flamands pour une plus grande décentralisation.
La Belgique survivra sûrement, ne serait-ce qu’en raison du problème que représente Bruxelle pour les nationalistes flamands, une ville située dans leur territoire historique mais dont ils ne veulent pas les francophones. Par contre, elle pourrait éventuellement cesser d’exister comme communauté politique.
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André Lecours
L’auteur est professeur agrégé au département de science politique de l’Université Concordia.

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Professeur agrégé au département de science politique de l’Université Concordia.





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