Pourquoi la Belgique n'éclatera pas

Belgique - des leçons à tirer...


Vincent Laborderie - Plus de cinq mois après les dernières élections fédérales, la Belgique n'a toujours pas de gouvernement. Les discussions concrètes sur sa formation n'ont en réalité même pas commencé. On est encore à chercher la future réforme de l'État qui devrait satisfaire Flamands et francophones, question qui empoisonne la vie politique belge depuis plus de trois ans. Sur ce point, les positions entre les deux communautés apparaissent inconciliables.
Devant une telle situation, beaucoup d'observateurs envisagent sérieusement l'éclatement de la Belgique, voire la jugent inéluctable à terme. Ce n'est pourtant pas ainsi que se terminera la crise actuelle.
La première raison en est que ni les Flamands ni les francophones ne souhaitent la fin du pays. S'il est vrai que l'on a assisté à une poussée des partis nationalistes flamands aux dernières élections (40 % des votes cumulés), tous les sondages et enquêtes menés depuis plusieurs années montrent que la part de Flamands indépendantistes ne dépasse pas 15 %.
Autonomie fiscale
Mais le plus remarquable est que ce chiffre n'évolue pas avec la crise politique qui se prolonge et s'approfondit. Ce qui est en jeu n'est pas la fin de la Belgique, mais la répartition des compétences entre État fédéral et entités fédérées. Les Flamands souhaitent qu'une large partie des compétences fédérales soient transférées à ces dernières, ce que les francophones refusent, ou plutôt refusaient jusqu'aux dernières élections.
Les Flamands ne rêvent donc pas d'indépendance, mais d'une autonomie très large, qui n'arriverait cependant pas au niveau de celle d'une province canadienne. Ainsi, si une certaine autonomie fiscale devrait être accordée aux régions — qui pour l'instant n'en disposent pas —, celle-ci serait encadrée et probablement limitée à l'impôt sur les personnes physiques. De même, si la gestion des allocations familiales pourrait être retirée au fédéral, les principales missions de l'État providence (sécurité sociale, assurance chômage et caisse de retraite) seraient toujours assurées au niveau national.
Moteur économique
Bien sûr, les choses peuvent évoluer, mais, même en cas de blocage prolongé, on voit mal comment ces 15 % pourraient se transformer en majorité à court ou moyen terme. Même dans cette hypothèse, la séparation serait extrêmement difficile à réaliser du fait de l'interdépendance économique, sociale, et humaine entre les trois régions (Flandre, Bruxelles et Wallonie) de ce pays grand comme la vallée du Saint-Laurent. Le centre de cette interdépendance est bien entendu Bruxelles, ville historiquement flamande, mais peuplée aujourd'hui à 80 % par des francophones.
La capitale de l'Union européenne constitue le moteur économique du pays. Or, son agglomération dépasse de plus en plus les frontières administratives de la région bruxelloise pour s'étendre en Wallonie, et surtout en Flandre. Flamands comme francophones considèrent Bruxelles comme leur capitale, et aucun des deux n'envisage — tant pour des raisons symboliques qu'économiques — de se passer de cette ville au rayonnement international. Si l'on ajoute à cela l'incertitude quant à la reconnaissance internationale des nouveaux États issus de la séparation, on comprend que cette perspective ne soulève guère l'enthousiasme.
Tant la volonté que la possibilité concrète d'une séparation font donc défaut. Mais si la Belgique n'éclatera pas (en tout cas pas maintenant), cela ne signifie pas que la crise actuelle se résoudra facilement. L'enjeu réel n'est pas la survie ou non du pays, mais plutôt son architecture institutionnelle future et, surtout, l'état économique et moral dans lequel il sortira de cette crise.
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Vincent Laborderie - Chercheur au Centre d'étude des crises et conflits de l'Université Catholique de Louvain et invité au CERIUM de l'Université de Montréal


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