L'utilisation de l'affaire Michaud

Une affaire est une affaire parce que des gens ont intérêt à ne pas laisser voir ce qui s’est passé.

Chronique d'André Savard

Il y a un point dont il faut se souvenir quand on traite de l’affaire Michaud. Le livre de Gaston Deschênes le fait ressortir. C’est Jean Charest qui a demandé séance tenante à Lucien Bouchard de renier Yves Michaud. Intrigant patenté, Charest savait que Lucien Bouchard avait été accusé d’hitlérisme de longues années.

Il savait aussi que les Québécois ont l’épiderme très sensible aux accusations de racisme en raison de la diffamation qui a régulièrement cours dans les médias anglophones à ce sujet.
L’ancien maire de Toronto a pu dire que le continent africain est un vivier de serpents et de cannibales sans que l’on accuse les Canadiens d’une tare morale. Si une telle déclaration venait d’un ancien maire de Montréal, vous verriez le déchaînement qui aurait lieu contre les francos du Québec.
Charest utilise le contexte de cette culpabilité préfabriquée. Il donne beaucoup d’intensité à la question de la violation des droits individuels chaque fois que l’on blâme le Québec de s’imposer plutôt que d’être un menu alternatif.
Ce n’est pas d’hier qu’il convie les chefs du parti Québécois à se dissocier ou à réitérer des blâmes. Comme on sait, souvent les “affaires” naissent pour allumer des haines. Si on a intérêt à éliminer quelqu’un, il faut se méfier. Comme dit le dicton, “qui veut tuer son chien l’accuse d’avoir la rage”. Il faut également se méfier des “affaires” qui présentent un phénomène d’éclatement au point qu’on peine à trouver le noeud mais dont on évalue la gravité au fait que son impact semble se faire sentir partout.
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L’affaire Michaud en fut un exemple éloquent. Dès la première journée circulait la rumeur que le gouvernement de Lucien Bouchard était derrière la motion et que la vraie raison de la condamnation tenait au fait que Michaud avait critiqué le parti Québécois. Et vous en aviez d’autres qui disaient que la déclaration vraiment coupable de nature raciste avait été tenue avant ou après le propos officiellement incriminé. Y avait-il une phrase coupable ou y avait-il des épisodes d’une nature difficile à déterminer dont Yves Michaud aurait été l’acteur, avant, après et quand et comment? Le seul fait qu'il y ait autant de points en suspension semblait donner un poids incontrolable à l'affaire.
Quand une affaire est supplantée par sa signification et qu’on en amplifie la portée, c’est que certains ont intérêt à la relancer loin de l’endroit où elle avait été posée à l’origine. Les antipéquistes de tout poils, ceux qui détestent le parti Québécois parce qu’il est trop indépendantiste comme ceux qui détestent le parti Québécois parce qu’il ne l’est pas assez, manifestèrent un engouement suspect pour l’affaire. Quand une affaire devient une activité savante et qu’on en intensifie des moments qui n’ont jamais eu lieu, on est face à un fromage qui a autant de pattes qu’un crabe pour marcher.
Quand il y a un beau fromage bleu qui coure, on aime mieux laisser courir. Ça fait plus d’action, plus que si on découvre le grain minuscule de l’histoire. Charest particulièrement aime sonner l’union sacrée de tous les Québécois contre le racisme. Cela permet à son parti de se draper dans la vertu et à lui-même de redorer son blason de politicien.
Jean Charest qui dit vouloir éviter le “tribunal populaire” a souvent pressé les dirigeants péquistes de désavouer des indépendantistes pour des faits et gestes invérifiables. On se souviendra qu’il a invité Bernard Landry, en plein cœur d’un débat télévisé, à désavouer Parizeau pour des paroles prononcées dans un collège contre les votes ethniques. Bernard Landry refusa, citation latine à l’appui, disant qu’il voulait d’abord faire une reconstitution, savoir ce qui avait vraiment eu lieu.
Or, ceux qui ourdissent des “affaires” n’aiment pas les reconstitutions. Charest notamment aime les “affaires”, pas les reconstitutions factuelles. On le voit encore dans son refus de tenir une commission d’enquête. Il veut être en position pour tendre les pièges, pas pour les affronter lui-même. Le tribunal populaire, il le veut pour les autres, pas pour lui.
Charest dit détester les allégations mais il aime les “affaires” qui peuvent être réactivées en utilisant les mêmes mots. “Votre partisan n’a-t-il pas utilisé une catégorisation ethnique!” La question est une affirmation si riche en sous-entendus que peu importe ce qui a été dit par l’accusé, l’accusation pourra envelopper tout le reste, toutes les suppositions, toutes les “allégations” que Charest prétend tant détester.
Une affaire est une affaire parce que des gens ont intérêt à ne pas laisser voir ce qui s’est passé. Les événements sont tellement réactualisés sur le mode imaginaire et on met tant d’énergie à cultiver l’histoire qu’on ne juge pas nécessaire de convoquer la réalité. A ce chapitre, il y eut bien des cas éloquents, dont l’affaire Morin.
Quand la GRC a dénoncé Claude Morin pour ses bons états de service, elle ne se doutait sûrement pas que l’on allait faire un tel film et que, segment par segment, on en viendrait si facilement à faire de Claude Morin un agent secret sous la houlette de puissances occultes internationales. La GRC devait bien craindre que l’énormité disparaisse comme un ballon en baudruche. Après tout, pas besoin d’être un expert en espionnage pour savoir qu’on ne brûle pas un agent secret infiltré au plus haut niveau à moins, justement, qu’il ne soit pas à notre service.
Ce qui a déclenché l’affaire Morin, ce sont les disputes, celles autour de la formule référendaire et d’autres événements comme l’exclusion du RIN, beaucoup d’événements qui avaient laissé des traces et qui avaient besoin de trouver son exutoire dans l’exécution d’un homme. L’affaire s’est métastasée parce qu’elle n’avait pas besoin de faits extérieurs. L’affaire était devenue intérieure à l’affaire elle-même.
Reste toujours à savoir si ceux qui déclenchent une « affaire » veulent la vérité ou une flambée de fausses accusations.
André Savard


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    6 décembre 2010

    Monsieur Savard votre arcticle m'a tellement plu, que dès que j'en aurai la capacité financière je ferai un don à Vigile en Remerciment de votre éclairage Vrai
    roch gosselin

  • Archives de Vigile Répondre

    5 décembre 2010

    Parlant de pensum, pendant de nombreuses années, monsieur Verrier a fait franchir beaucoup d'étapes à l'affaire Michaud devenue dans ses innombrables textes le symbole de tous les relâchements qu'il voulait bien attribuer au parti Québécois. Son commentaire récent me démontre qu'il y a pris goût.
    André Savard

  • Gilles Verrier Répondre

    5 décembre 2010

    M. Savard,
    Si ceux qui ont blâmé Yves Michaud pour des propos dont ils ne connaissaient pas la teneur en 2000 s'étaient excusés en temps utile, ce qui m'apparaît la moindre des choses si la bienséance a encore un sens, il n'y aurait pas d'affaire Michaud en 2010. Et vous n'auriez pas eu besoin d'écrire votre pensum. C'est de l'enfumage.
    GV