Pablo Rodriguez avait 100 jours pour présenter un projet de loi sur l’internet, mais il lui faudra peut-être 100 ans !
Quand Steven Guilbeault était ministre du Patrimoine, on l’a abîmé de bêtises lorsqu’il a déposé son projet de loi C-36 sur les discours haineux en ligne. « C’est une loi liberticide », s’était exclamé Michael Geist, le donquichottesque gourou de l’Université d’Ottawa. Des propos qui furent aussitôt repris en chœur par toute la presse anglophone. Le projet est mort au feuilleton quand le premier ministre, Justin Trudeau, a déclenché l’élection générale.
Après l’assermentation du cabinet, dans ses lettres de mandat, le premier ministre a donné instruction à Pablo Rodriguez, redevenu ministre du Patrimoine, et à David Lametti, renommé ministre de la Justice, « de modifier le Code criminel, de renforcer la loi sur les droits de la personne et de présenter un nouveau projet de loi sur les discours haineux en ligne ».
Comme le projet C-36, le nouveau entend assainir l’internet et éliminer les discours haineux contre les femmes, les groupes raciaux, les minorités religieuses et la diversité de genres en bloquant certains sites ou en obligeant les plateformes à retirer de leurs sites les contenus fautifs. Cette fois, pour s’assurer que le projet de loi repose sur une base solide, Pablo Rodriguez l’a soumis à un comité de 12 experts qui l’étudiera dans ses moindres détails.
INTOUCHABLE, L’INTERNET ?
Mais la partie est loin d’être gagnée. Quelle que soit la manière qu’Ottawa voudra prendre, Michael Geist et ses suppôts ne voudront rien entendre. Pour ces indécrottables libertariens, l’internet est intouchable. Les grandes plateformes sont tout aussi intraitables. L’extravagant multimillionnaire Elon Musk, qui vient d’acheter Twitter, ne sera pas plus souple que ses prédécesseurs. Quand on met 45 milliards $ US sur la table, on devient très dur d’oreille.
L’été dernier, Michele Austin, directrice des affaires publiques de Twitter pour le Canada et les États-Unis, a fait parvenir à Ottawa une lettre de sept pages. Elle y écrit sans gêne que les pouvoirs qu’on entend donner au CRTC sur Internet sont ceux que s’arrogent les dictateurs de Chine, de Corée du Nord et d’Iran. Les plateformes veulent être les seules juges de ce qu’elles diffusent.
Même nos minorités crient au loup. Après avoir supplié Ottawa d’agir contre la haine en ligne, les organisations juives, musulmanes, sikhes, autochtones et noires s’inquiètent maintenant qu’une loi sur l’Internet puisse leur nuire. Les musulmans s’opposeront au projet de loi s’il n’est pas assez précis sur la définition du terrorisme. Les Autochtones, de leur côté, craignent que la police profite de pouvoirs accrus pour censurer leurs discours et contrer leurs manifestations. Les Noirs ont peur que leurs messages de promotion du mouvement « Black Lives Matter » soient censurés.
EN EUROPE, C’EST RÉGLÉ !
Les prostituées elles-mêmes montent au créneau. Les travailleuses du sexe de Winnipeg ne veulent pas qu’on entrave la sollicitation qu’elles font désormais en ligne. En termes clairs, tous veulent être protégés contre les propos que peuvent tenir les autres, mais ils veulent rester libres des leurs !
Pendant qu’Ottawa tergiverse et espère que tous finiront par tomber d’accord, l’Union européenne vient d’adopter le Digital Services Act. Cette loi permettra de poursuivre en justice les sites qui se rendent complices des « fake news », des appels à la haine, du harcèlement, des incitations au terrorisme, de la pédopornographie, de la vente de produits contrefaits ou dangereux, etc.
Notre ministre du Patrimoine n’est pas sorti du bois !