Jamais le CRTC n’a rendu une décision aussi ahurissante que celle demandant à Radio-Canada de s’excuser « publiquement » auprès d’un plaignant.
Comme si la décision n’était pas déjà assez ridicule, le CRTC l’a fait précéder de cet avertissement : « La présente décision contient des mots ou des propos qui peuvent choquer certaines personnes, particulièrement les membres de la communauté noire et les personnes racisées » !
Un peu plus on ajoutait que la décision a été rendue « dans un territoire non cédé » !
Je ne vais pas consacrer les 500 mots de ma chronique pour revenir sur la plainte d’un seul auditeur de l’émission 15-18, objet du litige. Les lecteurs savent tous que la plainte a donné lieu à de longues délibérations du CRTC pour aboutir à une décision que deux commissaires ont eu le bon jugement de contester.
Cette décision irréfléchie en fait douter plus d’un de la compétence du CRTC au moment où plusieurs aspects du projet de loi C-11 à l’étude au Sénat tomberont sous sa juridiction. Du coup, il faut s’inquiéter des décisions que rendra aussi la Commission à la sécurité numérique, qui sera le chien de garde de la loi sur les propos haineux en ligne. Pablo Rodriguez, ministre du Patrimoine, David Lametti, ministre de la Justice, et Marco Mendicino, ministre de la Sécurité publique, doivent présenter ce projet de loi à l’automne. Les lettres de mandat du premier ministre Trudeau leur avaient prescrit 100 jours pour le faire, mais ils décidèrent de consulter.
DÉCISION QUI REPOSE SUR DU VENT...
Si un organisme vieux de 54 ans comme le CRTC peut rendre une décision qui repose sur un courant de pensée et sur un contexte social en évolution sans égard à la Charte canadienne des droits et libertés, que peut-on espérer d’un organisme fédéral tout neuf comme cette Commission à la sécurité numérique, qui devra dessiner les difficiles contours de la haine en ligne ?
La décision que vient de rendre le CRTC augure mal pour celles qu’il devra prendre lorsque la loi sur la diffusion continue en ligne entrera en vigueur. Dès le dépôt du premier projet par le ministre Steven Guilbeault et le dépôt du projet amendé par Pablo Rodriguez, des voix s’élevèrent pour dénoncer les nouveaux pouvoirs qu’aura le CRTC. Tous les députés conservateurs se liguèrent derrière Michael Geist, gourou de la chaire de l’Université d’Ottawa sur l’internet, Peter Menzies, ex-vice-président du CRTC, et Konrad Finkelstein, ancien président, trois alliés qui furent les plus farouches opposants au projet de loi.
FAIRE CONFIANCE AU CRTC ?
Durant la saga qui a culminé en juin par l’adoption de C-11 en troisième lecture et son envoi au Sénat, Ian Scott, l’actuel président du CRTC, n’a pas cessé de clamer que jamais le CRTC n’outrepasserait ses nouveaux pouvoirs, qu’il fallait faire confiance à cet organisme qui régit depuis plus d’un demi-siècle la radiodiffusion et les télécommunications canadiennes. Les conservateurs, Michael Geist en tête, craignent que le CRTC finisse par réglementer et même « taxer » le contenu versé en ligne sur YouTube ou sur TikTok par un simple citoyen. Malgré les dénonciations indignées d’Ian Scott, il n’en a pas moins tenu, à l’occasion, des propos ambigus, tout comme Scott Hutton, son directeur de la recherche et des communications.
À l’heure où souffle un tel vent de wokisme sur le gouvernement fédéral et sur les dizaines d’organismes qui en dépendent, le pire est à craindre pour cette liberté d’expression dont nous ne cessons de nous péter les bretelles.