L'intégrisme de Son Éminence

Que cela vous plaise ou non, la séparation de l'État et de l'Église, de l'école et de la religion, sont fondatrices de la société qu'une majorité de Québécois souhaitent aujourd'hui

Laïcité — débat québécois



Dans une autre vie j'ai vécu à Sherbrooke où sévissait à l'époque un évêque, monseigneur Cabana qui, par deux fois, me fit l'honneur de me dénoncer en chaire. J'avais osé souhaiter la laïcisation de l'éducation. C'était il y a 40 ans tout juste. Pour vous dire comme les choses changent rapidement dans ce pays, 40 ans plus tard, le cardinal Ouellet reprend exactement le même discours que monseigneur Cabana. Réévangéliser le Québec en profondeur. Les mêmes combats: guerre à la contraception et à l'avortement. Mais surtout guerre à l'ennemi suprême: ben Laden? Non, non, l'intégriste laïque. Moi.



Vous avez un certain culot, votre Éminence, d'évoquer l'intégrisme. Vous êtes pourtant bien placé pour savoir que la laïcité est née, en France, au début du siècle dernier, de l'intégrisme de votre Église.
De la prétention de votre Église à se mêler des affaires de l'État, de sa putassière habitude de coucher avec l'État dont elle bénissait les turpitudes en échange de mille privilèges. La laïcité est née aussi d'un ras-le-bol de religiosité, d'une envie de respirer, et de disposer de notre cul comme on l'entendait (le droit des femmes de disposer de leur ventre comme elles l'entendaient est venu beaucoup plus tard).
La laïcité n'a jamais eu pour but d'ignorer "le fait religieux". Depuis le début de l'autre siècle, la laïcité n'a pas empêché des millions de chrétiens de vivre leur foi, n'a jamais porté atteinte à leur liberté de conscience. Un pape comme Jean-Paul II, foncièrement attaché aux droits de l'homme, reconnaissait la laïcité comme légitime.
Si la laïcité est soudainement revenue dans l'actualité, si elle suscite de nouveaux débats fébriles, c'est que 100 ans plus tard, les droits fondamentaux qu'elle défend sont à nouveau contestés par un autre intégrisme religieux, celui de l'islam.
Vous ne manquez pas de culot sous votre calotte, votre Éminence, d'aller prendre ce train-là de la liberté religieuse, ce train-là plein de barbus, de foulards et de turbans qui, espérez-vous, va vous ramener à l'école par la porte d'en arrière.
Contrairement à la réforme scolaire dont on n'a jamais discuté publiquement, il y a eu un débat public sur l'enseignement religieux dans les écoles, même que les évêques du Québec en ont accepté les conclusions, celle-ci entre autres: on n'enseignerait plus la religion à l'école. Soyons clair: on ne catéchiserait plus les enfants.
Je vous entendais ce midi, Monseigneur, confondre (exprès?) espace civique et espace public. Il y a de la malhonnêteté à affirmer que les laïcs s'élèvent contre le fait religieux dans l'espace public. Ils veulent l'empêcher de se manifester dans l'espace civique, c'est très différent. L'école, les cours de justice, l'armée sont des espaces civiques. Pour plus de clarté encore, c'est parfois la fonction qui fait la différence entre espace civique et public.
La musulmane qui se rend à la Cour comme témoin ou prévenue évolue dans un espace public, elle peut porter le foulard, la burqa ou un chapeau breton si ça lui chante. Madame la juge, elle, par contre, ne devrait pas pouvoir rendre justice voilée, son espace est civique.
Mais je reviens au plus fondamental des espaces civiques: l'école. L'école publique est par excellence le creuset de ce grand Tout dans lequel doivent se fondre les différences entre 8h et 14h, cet espace dans lequel doit se produire cette alchimie du vouloir vivre-ensemble, un espace où devrait dominer le sentiment d'être partie d'une société ou d'une nation.
Rien n'empêche les enfants (et les profs), à 14h03, de courir à la mosquée ou à l'église. Rien n'empêche les parents d'introduire leurs enfants à la prière, de les amener à une pratique régulière de la religion.
Que vous manquiez de curés, votre Éminence, pour évangéliser les petits Québécois, c'est votre foutu problème. Que leurs parents aient déserté vos églises, c'est votre foutu problème encore. N'attendez pas que l'école publique fasse votre job. Que cela vous plaise ou non, la séparation de l'État et de l'Église, de l'école et de la religion, sont fondatrices de la société qu'une majorité de Québécois souhaitent aujourd'hui.
LE MÉPRIS
Dans son reportage d'hier, notre envoyée spéciale à Kandahar, Michèle Ouimet, nous dit que le Canada supervise environ 1000 projets de reconstruction en Afghanistan. Ce commentaire du capitaine Talbot cité par ma collègue: "Pendant que les Afghans travaillent, ils ne pensent pas à faire des mauvais coups."
Plus que la duplicité des autorités canadiennes (qui laissent torturer leurs prisonniers par les services secrets afghans), plus que l'improvisation, plus que la bureaucratie canadienne, l'incroyable paternalisme exprimé par le capitaine Talbot nous dit pourquoi les Canadiens vont se planter en Afghanistan: pour exactement la même raison que se sont plantées toutes les administrations coloniales. Elles ne peuvent pas s'empêcher, c'est dans la nature même du colonialisme, de mépriser et d'infantiliser les populations locales.
Pendant que les Afghans travaillent, ils ne pensent pas à faire des mauvais coups.
C'est exactement le contraire, capitaine. Ils n'y pensaient peut-être pas, mais vous entendant les mépriser de si haut, ils ne penseront plus qu'à ça.
TROP-PLEIN
De notre sondage CROP d'hier: 55% des Québécois sont plutôt insatisfaits du gouvernement. 43% plutôt satisfaits. 3% sont sans opinion.
Ben oui, ça fait 101%.
Ben non, ce n'est pas une erreur.
C'est une nouvelle catégorie de citoyens dont je fais partie: ceux qui débordent. Le trop-plein. On n'est pas vraiment là, on a sauté du bocal, on écoute les gens de la commission Machin, on écoute le capitaine Talbot et on se dit qu'on s'est sûrement trompé de pays. On écoute le cardinal Ouellet et on se dit qu'on s'est sûrement trompé, aussi, d'époque.
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