L'illusionniste

Budget Audet 2006

Éditorial - Pour une fois, un budget du gouvernement Charest répond de façon équilibrée aux attentes les plus souvent manifestées par les uns et les autres, qu'il s'agisse du fardeau fiscal ou du système de soins de santé, de l'éducation, du logement social ou de la dette. Mais voilà, il y a aussi tellement d'astuces dans ce deuxième budget du ministre Michel Audet qu'on cherche désespérément à savoir où tout cela nous mène... sinon à des élections hâtives.
Pour les salariés, le budget Audet double à 1000 $ par année la déduction pour les dépenses de travail et prévoit une formule de remboursement du coût des transports en commun par les employeurs. Pour les personnes âgées, il bonifie le crédit de maintien à domicile et la création de places en centre d'hébergement de longue durée. Aux PME, il offre une petite diminution de l'impôt sur les profits et diverses mesures d'aide à l'industrie forestière. La culture n'est pas en reste, pas plus que les jeunes des régions, les familles qui attendent un logement social et les municipalités qui pourront investir dans les transports en commun. Même les producteurs de porcs ont droit à un petit cadeau ! En somme, il y en a pour tout le monde, pour pas cher, dans ce budget ni trop lucide ni trop solidaire, juste un peu.
Plusieurs voulaient que le gouvernement s'attaque à la dette, le voilà qui répond avec la création d'un fonds des générations. Modeste, ce fond, mais qui aurait approuvé une augmentation massive des tarifs d'électricité pour rembourser la «maudite dette» ? Quant à l'idée de confier l'argent à la Caisse de dépôt pour obtenir des rendements supérieurs au taux d'intérêt payé sur cette dette, là encore, le choix est acceptable. À la condition, bien sûr, que les milliards qui seront placés dans ce fonds au fil des ans ne servent pas à autre chose...
Habile, tout cela, de la part d'un gouvernement qui n'est surtout pas reconnu pour ses bons coups. Les fonctionnaires du ministère des Finances du Québec sont des gens capables de vrais petits miracles quand on leur demande d'innover au coût le plus bas, même en pigeant un peu plus dans la poche des contribuables.

Il y a aussi une bonne part d'illusionnisme dans ce budget. Comme l'ont mentionné les partis de l'opposition, au moment même où on versera quelques dizaines de millions dans le Fonds des générations, la dette continuera d'augmenter de plus de deux milliards par année. Or, puisque la somme déposée chaque année sera modeste et ne servira pas à rembourser le capital emprunté, l'effet total sera de seulement ralentir la croissance de la dette à long terme.
Autre subtilité que le ministre Audet n'a pas dite ouvertement : en harmonisant la méthode de taxation des dividendes avec Ottawa, comme il l'annonce, les investisseurs québécois paieront non pas moins mais 88 millions de plus d'impôt par année puisque la règle en vigueur au Québec était jusqu'ici plus généreuse que celle d'Ottawa.
Quant à la mesure de remboursement d'impôt par les employeurs du coût des transports en commun, ce n'est pas un hasard si Québec prévoit qu'elle ne lui coûtera que la somme ridicule de six millions par année puisque très peu d'entreprises ont les moyens d'offrir un avantage aussi coûteux à leurs employés sans profiter en échange d'un crédit d'impôt. En effet, seules les entreprises qui font beaucoup de profit tireront un avantage à introduire une telle mesure. Les autres n'en auront pas les moyens. De façon pour le moins paradoxale, le plan gouvernemental n'a même rien prévu pour ses 450 000 employés, pas plus que pour les jeunes, les organisations sans but lucratif, les villes ou les commissions scolaires...
Par ailleurs, le monde syndical, la FTQ au premier plan, a bien raison de mentionner l'absence de mesures destinées à faire face à la saignée d'emplois dans le secteur manufacturier. À cause de la mondialisation, l'emploi a fondu depuis deux ans dans le textile, le meuble et l'aéronautique. Pourtant, seul le secteur forestier profitera d'un coup de pouce de l'État. Comme si nos élus étaient une fois de plus en retard d'une révolution sur la réalité économique.
Ce quatrième budget libéral renoue avec la tradition des budgets québécois remplis autant d'imagination que d'astuces comptables. Mais pour être réalistes, avouons qu'il en faudra beaucoup plus pour convaincre les électeurs que ce gouvernement a bien en main la gestion et l'avenir du Québec.
j-rsansfacon@ledevoir.com


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->