Le PQ a déjà une riche tradition d'anciens chefs qui ont enquiquiné leurs successeurs en jouant les gérants d'estrade. À l'époque où il était dans l'opposition, Jean Charest se bidonnait des remontrances que Jacques Parizeau faisait régulièrement à Lucien Bouchard.
Plus disciplinés, les libéraux nous ont habitués à une certaine entraide. Après avoir été forcé à la démission par les amis de Robert Bourassa, Claude Ryan était même devenu son homme à tout faire. Jusqu'au débat sur l'emplacement du futur CHUM, Daniel Johnson n'avait ménagé aucun effort pour aider M. Charest, qui avait pourtant pris sa place.
À défaut d'anciens chefs, c'est dans les rangs des anciens ministres que le PLQ semble vouloir recruter ses enquiquineurs. Même relégués aux banquettes arrière, Pierre Paradis et Thomas Mulcair sont astreints à une certaine retenue dans leur apologie des «valeurs libérales», mais Yves Séguin peut maintenant laisser libre cours à toute sa compassion pour les petits contribuables.
Jacques Parizeau ou Bernard Landry auraient eu l'air mesquin, voire ridicule, s'ils avaient pris l'initiative de publier un budget fictif dans un journal à grand tirage quelques jours avant que le ministre des Finances dans un gouvernement Boisclair ne présente le sien.
Le personnage un peu bonhomme que s'est créé M. Séguin le met à l'abri de ces reproches. Au contraire, plusieurs l'ont trouvé bien bon d'encaisser avec autant de grâce l'affront qu'on lui a fait. Pour préparer ce «budget du peuple», Le Journal de Montréal avait lancé un appel à tous. Sur les centaines de courriels reçus, un seul soulignait que M. Séguin aurait dû appliquer ses idées quand il en avait la chance.
Son successeur, Michel Audet, dont la marge de manoeuvre est tout aussi étroite, a dû avaler son café de travers samedi dernier. Il est tellement plus facile de jouer à Robin des Bois assis devant son ordinateur.
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M. Séguin n'est pas aussi naïf que certains peuvent le penser ou qu'il se plaît lui-même à le laisser croire, mais il ne mesure peut-être pas toujours l'impact d'une petite phrase lancée ici ou là.
Dans son «budget», l'ancien ministre propose d'assurer un financement plus stable -- environ 100 millions par année -- aux organismes communautaires qui luttent contre la pauvreté. «Je n'en ai jamais vu un qui gaspillait les fonds publics», assure-t-il. Mais, évidemment, «si le Parti libéral pense vraiment que le communautaire est de la bouillie pour les chats, qu'il le dise et qu'il coupe leur financement».
D'avance, il déplore l'insensibilité de son successeur si celui-ci n'annonce pas l'indexation des prestations pour tous les bénéficiaires de l'aide sociale, peu importe qu'ils soient aptes ou inaptes au travail. «On a tendance à oublier les personnes démunies, mais le gouvernement a le devoir de les appuyer.»
Dans plusieurs pays, la taxe de vente est modulée selon le type de biens, mais M. Séguin propose aussi d'en exempter les personnes de 65 ans et plus. M. Audet ne serait-il pas terriblement ingrat de leur refuser «une reconnaissance sociale qu'elles méritent bien» ?
Bien entendu, cela suppose que le gouvernement tienne serré les cordons de la bourse. Or son séjour au conseil des ministres lui permet de témoigner que «la discipline a duré à peine dix mois» après les élections d'avril 2003. Après quoi, «le gouvernement a recommencé à dépenser comme le gouvernement d'avant». À l'en croire, il faudrait arrêter tous les gros projets : le CHUM, le CUSM, le prolongement de l'autoroute 25, la réfection de la rue Notre-Dame, etc.
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Se pourrait-il que le beau discours sur le remboursement de la dette qu'on entendra cet après-midi à l'Assemblée nationale ne soit finalement que de la poudre aux yeux ? «La dette augmente annuellement de deux à trois milliards, ce qui signifie que son remboursement et l'équilibre budgétaire ne peuvent être envisagés qu'une fois ces nouveaux emprunts éliminés.»
Il serait pourtant injuste d'accabler M. Audet. Dans une entrevue qu'il a accordée mardi au collègue Pierre Maisonneuve, M. Séguin a expliqué que, dans le gouvernement de Jean Charest, le ministre des Finances n'a presque aucune latitude pour agir. Tout se décide au bureau du premier ministre.
Remarquez, après le Suroît, les subventions aux écoles privées juives et le mont Orford, on s'en doutait un peu. Tout se passe comme s'il n'y avait plus que deux ministères : le Conseil exécutif et la Santé. Ceux qui rechignent à exécuter une commande sont tout simplement mis à la porte.
Il est tout à fait normal que le premier ministre ait son mot à dire sur les orientations du budget, mais tous n'exercent pas le même contrôle. Robert Bourassa tenait le crayon de Gérard D. Levesque, qui se contentait de lire ce qui était écrit sur la feuille, alors que Lucien Bouchard s'en remettait largement à Bernard Landry, comme René Lévesque à Jacques Parizeau. M. Charest, lui, ne se fie à personne.
Ses conseillers estiment que l'opinion publique est maintenant suffisamment sensibilisée à la nécessité de commencer à rembourser la dette, ne serait-ce que symboliquement, pour qu'il s'agisse d'une solution de rechange crédible à sa promesse non tenue de diminuer les impôts.
Si le gouvernement veut utiliser les profits d'Hydro-Québec pour alimenter le «Fonds des générations», il serait bien inspiré de retenir au moins une suggestion faite par M. Séguin en accordant aux ménages moins nantis un crédit d'impôt qui compenserait la hausse des tarifs d'électricité. L'équité intergénérationnelle est sans doute une noble préoccupation, mais il sera plus facile de la faire partager au «peuple» s'il n'a pas l'impression d'en porter tout le poids.
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