L’identité nationale : le vrai problème c’est l’américanisation

Nous sommes dans une situation tout à fait particulière. La France s’acculture non pas au profit d’une autre culture mais au profit d’une non-culture.

FRANCE - débat sur l'identité nationale

Patrick Kaplanian - J’ai lu très attentivement tous les articles parus dans Agoravox sur le sujet identité nationale depuis que notre ministre de l’identité nationale ET de l’immigration a lancé son grand débat. Je les ai imprimés et relus un crayon à la main (je n’ai pas pu par contre imprimer les commentaires).

Pour moi l’identité c’est la culture.
Je voudrais rouvrir le débat en reprenant les arguments de ceux qui voient autre chose dans l’identité nationale.

1 ) Tout d’abord il y aurait le danger que représentent pour l’identité française une invasion d’immigrés qui ne s’intègrent pas. A ceux-là il faut répondre trois choses.
A ) la première est que la France s’est faite d’une succession d’invasions et que le Français aujourd’hui est aussi bien gaulois, romain que franc. Alors pourquoi pas une strate de plus ?
B ) La seconde c’est que si la machine à assimiler les Arabes et autres Noirs fonctionne mal ce n’est pas à ces derniers qu’il faut le reprocher mais à un système éducatif déficient. Évidemment quand on s’acharne enseigner l’anglais à des gosses parlant déjà mal le français on risque d’obtenir des résultats décevants. Et les quelques émigrés qui réussissent à faire des études supérieures ne trouvent pas de travail.
Sait-on que 60 à 70 % des Argentins sont d’origine italienne ? Et les Turcs qui ont construit une nation en assimilant plus nombreux qu’eux (ils étaient de race jaune à leur arrivée, cela ne se voit guère dans la Turquie d’aujourd’hui) ? Et les USA, pays soi-disant anglo-saxon dont la plus grande partie de la population n’est pas d’origine anglo-saxonne ? Et qui encore aujourd’hui assimilent sans problème nombre d’Asiatiques et même de musulmans.
C ) La troisième est que cette attitude ne définit pas une identité nationale. En admettant même que l’immigration met en danger l’identité nationale on ne dit pas pour autant en quoi celle-ci consiste.

2 ) Ensuite il y aurait le cas particulier de l’islam intégriste. Certes l’intégrisme musulman est pour nous inacceptable mais une fois de plus cela ne définit pas une identité. Certes nous ne voilons pas nos femmes, nous ne les lapidons pas lorsqu’elles sont infidèles, nous ne leur imposons ni foulard ni burqa, nous ne coupons pas la main des voleurs etc. Mais cela ne dit pas qui nous sommes. Nous ne sommes pas des Aztèques non plus : nous ne faisons pas de sacrifices humains. Nous ne sommes pas des Papous : nous ne portons pas de coquillages dans le nez. On pourra multiplier les exemples autant qu’on veut : cela dira toujours ce que nous ne sommes pas mais sûrement pas ce que nous sommes.

3 ) Ensuite il en en a pour nous parler du drapeau et de l’hymne national. Or il s’agit là de symboles de la nation pas de son identité. Cela revient à confondre le symbole avec la chose symbolisée.

4 ) Vient ensuite l’étonnant argument comme quoi l’identité française c’est la République et accessoirement son slogan « liberté égalité fraternité ». Les Français auraient inventé la République et celle-ci serait au fondement de son identité. Cet argument mérite d’être étudié de près.
A ) Il est vrai que la Révolution française est le fruit de plus d’un siècle de réflexion de philosophes essentiellement français et qu’il est donc logique qu’elle ait éclaté en France. La France est donc la patrie de la république, des droits de l’homme etc. Mais il ne faut pas oublier que tous les modèles politiques qui ont été véhiculés du XVIIème au début du XXème siècle étaient français. C’est l’absolutisme louis-quatorzième, la monarchie éclairée voltairienne, le bonapartisme, la définition de la nation par Renan etc. Pendant tout le XIXème siècle on s’est entretué au nom de modèles d’origine française. Et quoi de plus naturel lors qu’on se retrouvait à le table de négociations de parler français ? Même l’ultralibéralisme anglo-saxon est en partie français. Les Etats-Unis d’aujourd’hui sont une bureaucratie en comparaison du régime louis-philippard. Qu’on se rappelle Guizot et son « enrichissez-vous ».
B ) Il ne faut pas oublier que la révolution française tout comme celles de 1830 et 1848 furent des feux de paille. Le régime républicain ne s’installera qu’après la guerre de 1870 et la chute de Napoléon III. Et encore avec une majorité monarchiste à la chambre ! C’est parce qu’Orléanistes et Légitimistes ne parvinrent pas à s’entendre que finalement la république triompha.
C ) Mais surtout cela ne fait pas une identité. Aujourd’hui le régime républicain s’est répandu dans le monde entier. Certes il y a des différences par exemple entre une Allemagne très décentralisée et une France jacobine (mais qui évolue). Mais l’essentiel des principes républicains est partagé par une majorité de pays.
Même les monarchies ne se distinguent plus des républiques. Quelles différences entre l’Allemagne et la France d’une part l’Espagne, la Suède et le Japon de l’autre ? C’est toujours un système parlementaire avec des partis qui alternent et qui disent à peu près la même chose. Au point qu’on en oublie souvent que ce sont des monarchies.
Il en est du système républicain ce qu’il en est des caractères latins et du système métrique. Qui pense à Rome lorsqu’il écrit en caractères latins ? C’est devenu un type d’écriture qui appartient à tout le monde (combien de fois pendant mes voyages ai-je entendu dire « les lettres anglaises » !). Quant au système métrique, invention française, il ne véhicule rien de français. Plus quelque chose se répand moins ce quelque chose est national.
Maintenant si cela peut faire plaisir à quelqu’un d’entendre dire « nous » avons inventé le système métrique, les droits de l’homme, la république moderne etc. grand bien lui fasse. Nous avons aussi inventé l’ordinateur. Il faut voir ce que les Américains en ont fait.

5 ) Dernier faux critère d’identité : la laïcité. Il en est de la laïcité ce qu’il en est de la république : la plupart des États sont aujourd’hui laïcs. Même certains pays musulmans. Certes peu ont signé un concordat comme la France mais de toute façon un concordat ne peut concerner que les États catholiques et il n’y a pas besoin de concordat pour appliquer la laïcité. La plupart des pays actuels ne reconnaissent pas le mariage religieux, autorisent, s’ils n’encouragent pas, la contraception et le contrôle des naissances voire l’avortement, au grand dam de l’Église.
En fait la laïcité nous ramène au départ de cet article : il s’agit moins de se définir positivement que contre ces musulmans qui la refusent.

Alors comment définir l’identité nationale de façon positive ?

1 ) Le premier critère est la langue. C’est la langue qui servi de ciment lors de l’unification de l’Allemagne et de l’Italie. C’est la langue qui à l’inverse a servi de critère à l’éclatement de l’Autriche Hongrie d’abord, de la Tchécoslovaquie, de l’URSS et (en partie seulement) de la Yougoslavie. Il existe encore des États multilinguistiques comme l’Inde mais rien ne dit qu’ils ne finiront pas par éclater.
Où bien une minorité linguistique se bat jusqu’à l’indépendance ou bien, lors qu’elle trop petite elle est assimilée (basques, bretons) voire annihilée (tibétains). Aujourd’hui toutes les nations européennes sont linguistiquement homogènes (la Suisse étant l’exception qui confirme la règle) et lorsqu’ils ne le sont pas ils sont déchirés par des querelles linguistiques (la Belgique), soit interminablement en butte à des revendications (problème basque etc.).
Donc s’il y a malaise en matière d’identité c’est parce qu’il y a un recul extraordinaire du français en France même et ce pour deux raisons : le première est le recul du français face à l’anglais (tous ce scientifiques qui publient en anglais, les entreprises françaises qui communiquent entre elles en anglais à l’intérieur de l’hexagone et celles qui ont même adopté la langue d’outre Manche pour leur communication intérieure, sans parler des programme EMILE). La seconde est la baisse de niveau. Je ne vais pas rentrer dans les polémiques sur « le niveau baisse » d’une façon générale mais il est un fait que 15 % des enfants qui entrent en 6ème ont de grosses difficultés de lecture. Tous les chefs d’entreprise vous diront qu’ils s’arrachent tous les jours les cheveux parce qu’ils reçoivent des messages incompréhensibles de personnes qui ne maitrisent pas leur langue maternelle : « mais qu’est-ce que c’est que ce charabia ? Mais qu’est-ce qu’il a voulu dire ? ».

2 ) Ensuite ce qui définit une nation c’est une culture. Il faut entendre ce mot au sens large c’est-à-dire un ensemble de productions artistiques, de coutumes etc. qui caractérisent ladite nation : cela va de la gastronomie à l‘architecture en passant par la littérature, la peinture et même le droit. Lorsqu’on regarde le Parthénon, la cathédrale de Chartres et le château de Chenonceau on reconnaît tout de suite un style, un pays, une époque. C’est cela l’identité.
Après mai 1968 la gauche s’est violemment attaquée à la culture au prétexte qu’elle était bourgeoise et source de sélection sociale. On s’en est tout d’abord pris aux humanités classiques, au latin et au grec. Or l’héritage gréco-latin n’est-il pas un des fondements de notre identité nationale ? On s’en est pris à la religion non pas en tant que religion mais en tant que sujet du savoir. Or comment déchiffrer la plupart des tableaux lorsqu’on ne connait ni la mythologie ni la religion chrétienne ?
Or cette politique n’a jamais rien donné : il y a toujours autant d’inégalités sociales. Mais au lieu de reconnaître l’échec de ses réformes une certaine gauche s’acharne demandant par exemple la suppression d’épreuves de culture générale à certains concours. À quoi sert par exemple d’avoir lu La Princesse de Clèves pour être facteur ou agent de la RATP ? Le problème c’est qu’avec des raisonnements pareils il n’y aurait jamais eu de culture. A quoi servent le Parthénon, la cathédrale de Chartres et le château de Chenonceau ? On aurait mieux fait de construire des HLM ! Mais la culture c’est ce qui ne sert à rien. Et un peuple qui ne fait pas des choses qui ne servent à rien est un peuple entré en décadence.
Résultat la France est franchement entrée en décadence. Fini le cinéma avec Truffaut, fini la philosophie avec Foucauld et Derrida, fini les sciences humaines avec Aron, Dumézil et Lévi-Strauss, fini l’architecture avec Le Corbusier, fini l’époque où Paris était le point de convergence des peintres. D’aucuns diront que Le Clézio vient d’obtenir le prix Nobel. Certes il y a encore quelques beaux restes, mais c’en est fini d’un rayonnement qui avait commencé à la Renaissance et n’avait cessé depuis. Peut-être cela explique-t-il aussi la crise de l’identité nationale.

Quel est le vrai danger ?

« A quoi sert d’avoir lu la Princesse de Clèves ? » c’est exactement l’argument des marchands de soupe qui dirigent certaines entreprises ? C’est aussi l’argument de l’utilitarisme anglo-saxon. Finalement droite et gauche sont d’accord : haro sur la culture !
Nous sommes dans une situation tout à fait particulière. La France s’acculture non pas au profit d’une autre culture mais au profit d’une non-culture. Habituellement au cours de l’histoire on a vu des peuples s’acculturer au profit d’autres. On a vu les Gaulois se mettre à parler latin et se construire des villas sur le modèle romain par exemple. Les raisons de cette acculturation au profit d’un autre sont extrêmement complexes. Pourquoi les Arabes ont-ils à la fois islamisé et arabisé toute une série de peuples de l’Irak actuel au Maroc alors qu’ils n’ont qu’islamisé mais pas arabisé l’Iran et qu’ils n’ont ni islamisé ni arabisé l’Espagne ? Le principal moteur de ce genre d’acculturation est le complexe d’infériorité, ce que l’on a parfois appelé le complexe du colonisé. Or la France est atteinte de ce complexe vis-à-vis des USA.
Mais, et c’est cela qui est nouveau, les valeurs que véhiculent les Américains du Nord sont de la non-culture. Je m’explique : l’anglais par exemple n’est pas la langue de Shakespeare. C’est devenu une sorte de d’espéranto. Un jargon international. Il finit par avoir le même statut que les caractères latins et le système métrique. Il n’est pas lié à une histoire, une littérature, une poésie, un théâtre, une philosophie. La commission Thélot, qui avait conseillé de systématiser l’enseignement de l’anglais dès le primaire, précisait bien de l’anglais pratique et utilitaire.
L’anglais est une langue désincarnée. La meilleure preuve c’est qu’il est soutenu et pratiqué par les pires ennemis de l’Amérique. Ainsi le remplacement du français par l’anglais était au programme des islamistes algériens. Ainsi en Iran, le pays plus anti-américain qu’ait connu l’histoire (sait-on qu’on dessine par terre des drapeaux américains pour que les gens puissent marcher et cracher dessus ?), tout le monde apprend l’anglais. Le lycée français a par contre été fermé après la révolution islamique. Il a discrètement réouvert il y a deux ans dans l’enceinte de l’ambassade …. britannique.
Et l’anglais est la langue des États-Unis, le pays le plus représentatif de l’utilitarisme, du « à quoi ça sert ? », le pays le plus acculturé (acculturé ne voulant pas dire inculte).
C’est ainsi : la culture vis-à-vis de laquelle la France fait des complexes d’infériorité est la culture de la non-culture, de l’utilitarisme terre à terre.
À quoi ça sert de lire La Princesse de Clèves ? Mais tout simplement à acquérir une identité ! Il n’y a pas de culture mondiale. L’américanisation-mondialisation c’est la fin de la culture.


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