L’ambition de la CAQ de gonfler le nombre d’enseignants et de doper de 70 millions les budgets de francisation est fort louable. Mais il reste un facteur de taille sur lequel les millions n’ont aucune influence : l’anglomanie galopante des Québécois eux-mêmes…
À quoi bon, en effet, faire miroiter aux immigrants une intégration harmonieuse en français quand, dans les faits, les Québécois sont devenus, culturellement, parfois plus anglophones que les anglos eux-mêmes ?
L’immigrant francisé à grands frais fréquentera les restaurants, les bars et les commerces de Natashquan à Val-d’Or et de Rimouski à Montréal, et il n’entendra (presque) que de la musique en anglais.
À la radio, si ça et là, quelques chansons en français se faufileront, il apprendra vite que c’est seulement grâce au CRTC, qui gonfle artificiellement à 65 % les quotas de chansons indigènes. Sans force de loi, ce chiffre friserait le zéro. Même Radio-Canada a cessé d’exprimer une affection particulière pour le français ; la radio financée par nos impôts adule désormais le franglais, déroulant le tapis rouge à toutes ces chansons bilingues qui font florès dans les palmarès. Sur les ondes, le franglais fédère, et l’anglais rallie.
La loi 101 le forcera à envoyer ses enfants à l’école française, mais il verra bien que nos écoles promeuvent de plus en plus l’anglais intensif, voire exclusif, tout en comprimant jusqu’à l’asphyxie le programme des cours de français en 5e et 6e année.
Il comprendra que les Québécois, bien qu’issus de la grande civilisation française, la connaissent mal et la sous-estiment, alors qu’en revanche, ils idolâtrent au quotidien les cultures anglaises et américaines.
Il constatera avec quel empressement les employés francophones serviront un client anglophone, subjugués, comme s’il parlait une langue magique. À dire vrai, on se fait souvent servir avec plus de déférence en anglais qu’en français, l’employé étant tout fier de « pratiquer son anglais »…
Il verra des francophones passer docilement à l’anglais dès qu’un anglophone se joint à un groupe de francos. Et là où ils seraient censés pouvoir travailler en français, comme dans la fonction publique fédérale, de pénibles procès jugeront que si les anglophones de Toronto jouissent d’un droit absolu de travailler en anglais, le privilège de travailler en français ne s’applique aucunement aux francophones de Montréal.
Alors pourquoi n’envieraient-ils pas le prestige que leur confère la langue de Margaret Atwood et d’Ernest Hemingway ? Pourquoi n’aspireraient-ils pas eux aussi à ce que les Québécois souhaitent de plus en plus ouvertement, soit devenir des anglophones de plein droit et de pleins privilèges ?
Tant et aussi longtemps que les Québécois n’aimeront pas, ne défendront pas et ne consommeront pas assez la culture dans leur langue, les nouveaux arrivants seront séduits par l’idée de basculer du côté anglais. C’est l’unique façon de contrebalancer le magnétisme hypnotisant de l’anglais sur ce continent.