L'homme de Rome

La Lettre du cardinal Marc Ouellet



Les spécialistes des choses de l'au-delà ont vu un message dans l'arrivée de Marc Ouellet comme archevêque de Québec, et ensuite comme cardinal, la volonté du Saint-Siège d'imposer un homme capable de défendre sa doctrine avec ferveur. Eh bien! nous avons maintenant le résultat de l'opération.


Avec son cri du coeur à la commission Bouchard-Taylor et sa lettre de repentir, le cardinal Ouellet a réussi à nous rappeler pourquoi les Québécois avaient rejeté si massivement et si brutalement leur Église au cours des années 60. Les réactions ont été très vives, parce que Mgr Ouellet, avec sa rigidité et son arrogance, nous replonge dans cette période que les plus vieux d'entre nous veulent oublier.
Mgr Ouellet, je le dis en pesant mes mots, après une lecture attentive de ses sorties publiques, est un réactionnaire dans le sens le plus pur du terme, quelqu'un qui s'insurge contre l'évolution de la société qui l'entoure, veut résister au changement et défend des pratiques et des valeurs qui appartiennent au passé.
C'était évident dans sa lettre de pardon. Elle reposait sur une contradiction fondamentale qui n'a échappé à personne, le fait que les dogmes et les attitudes ayant mené aux abus dont il s'excuse du bout des lèvres sont toujours présents. Une doctrine qui exclut toujours les femmes, une théologie homophobe qui contribue toujours à l'exclusion et une obsession pour l'appareil reproducteur et ses multiples usages qui maintiendrait les Québécoises dans l'esclavage si elles obéissaient encore à leurs pasteurs.
Heureusement, les abus ont cessé, mais c'est aussi parce que les contacts entre les enfants et les hommes d'Église sont moins nombreux et que la baisse de libido d'un clergé vieillissant nous protège contre les égarements d'une sexualité réprimée.
La rigidité du prélat est davantage visible dans son mémoire à la commission sur des accommodements raisonnables. Il y présente une vision du monde simpliste, pleine de raccourcis, où pointe la nostalgie du passé. Mon père, Carl Dubuc, a écrit au début des années 60 un petit livre humoristique, Les doléances du notaire Poupart, le pastiche des épîtres enflammées d'un notaire de campagne qui dénonçait les changements qui bouleversaient sa province. C'est le même ton vindicatif et pompier que je retrouve dans les propos du cardinal: «Des cours d'État imposés tout azimut comme dans les pays totalitaires», «colonialisme laïciste», «rhétorique anti-catholique farcie de clichés qui se retrouve trop souvent dans les médias».
Il y a plus que le ton, il y a le fond, une attaque contre la Révolution tranquille qui reprend la bataille là ou ses prédécesseurs l'avaient laissée, il y a 45 ans. «Qu'on veuille ou non le reconnaître, il faudra un jour se dire toute la vérité à propos de la Révolution tranquille et avoir le courage de reconnaître que si des gains ont été réalisés au plan social et économique, un véritable fiasco en résulta sur le plan religieux et aussi sur le plan humain.»
Selon le cardinal, un peuple ne peut pas si rapidement «se vider de sa substance» sans conséquence graves. «D'où le désarroi de la jeunesse, la chute vertigineuse des mariages, le taux infime de natalité et le nombre effarent d'avortements et de suicides pour ne nommer que quelques unes de ces conséquences qui s'ajoutent aux conditions précaires des aînés et de la santé publique.»
Ce portrait apocalyptique gomme commodément les misères de cette époque révolue, les effets de la pauvreté et de l'ignorance. Il attribue à la Révolution tranquille un phénomène que l'on retrouve partout en Occident. Et surtout, il oublie de se demander si cet abandon brutal de la religion n'est pas dû aux manquements de l'Église plutôt qu'aux complots des artisans de la Révolution tranquille.
L'Église, au lieu d'accompagner ses fidèles dans une période de changements difficiles, les a abandonnés, fière dans sa rigidité, et a ainsi failli à sa mission. D'autres Églises, porteuses des mêmes valeurs, ont choisi un autre chemin, notamment les Anglicans, notre église soeur, où les prêtres sont mariés, où on ordonne les femmes et où le mariage gai commence, difficilement, à être accepté.
En fait, ce qui est le plus dommage, c'est que la sortie de Mgr Ouellet, une initiative individuelle, compromette le véritable dialogue dans lequel se sont engagés plusieurs de ses collègues. Mais il serait étonnant qu'il ait un grand impact, électoral ou autre, parce que le cardinal est en fait un personnage marginal pour les moins de 70 ans. Sauf pour nous rappeler pourquoi la séparation entre l'Église et l'État est une si bonne chose.
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