Le cirque de l'île Charron

Île Charron - de la spéculation à la corruption appréhendée

Un projet immobilier dans l'île Charron serait-il automatiquement un scandale? Je ne dis pas que ce projet est souhaitable. Je n'en ai pas la moindre idée. Mais je sais que je n'aurai pas de réponse à ma question, parce qu'il n'y a jamais eu de débat ordonné sur la question.

Ce dossier illustre à merveille à quel point nous sommes mal équipés pour réfléchir au développement harmonieux de la région métropolitaine. Dans ce cas-ci, le processus de décision a essentiellement reposé sur le hasard, sur les rapports de force entre des écologistes militants, un gouvernement impuissant, un maire absent et un promoteur indécent.
Le promoteur immobilier, Luc Poirier, a pris tout le monde par surprise cet été quand on a appris qu'il avait acheté à la Financière Desjardins un gros terrain dans l'île Charron et qu'il voulait y construire un complexe immobilier. Les réactions ont été immédiates, et vives, ce qui est normal, parce que ce terrain est sur la limite du parc des Îles-de-Boucherville.
Pourtant, ces 20 hectares ne sont pas une réserve écologique. C'est, au contraire, une zone assez ingrate, à côté du pont-tunnel Hippolyte-Lafontaine, un terrain en partie contaminé, qui a servi au remblayage, et qui est boisé tout simplement parce que des arbres ont repoussé dans les dernières décennies sur les sols en friche.
L'aménagement de ce lieu s'inscrirait en outre à plusieurs égards dans une logique de développement éclairé. Tout d'abord, il contribuerait à réduire l'étalement urbain, puisqu'on est à côté du pont-tunnel et très près de Montréal. Ensuite, il contribuerait à la qualité de vie en choisissant de localiser les habitats dans des lieux agréables, surtout on réussissait à un faire un modèle au plan architectural et environnemental. Enfin, il contribuerait à la réappropriation par les Montréalais d'un fleuve dont ils ont été coupés par un port et des autoroutes. Cette reconquête ne doit pas seulement se faire avec des parcs et des pistes cyclables, mais aussi avec de véritables milieux de vie.
Face à ces avantages réels, un inconvénient considérable, la proximité du parc. Le risque que le projet menace l'équilibre écologique du parc. Qu'il y ait incompatibilité des fonctions. Que la construction de bâtiments et l'arrivée de milliers d'habitants affecte l'intégrité et le charme du parc.
Si on avait mis dans la balance les éléments potentiellement positifs du projet sur le développement urbain et les risques réels pour le parc, on en serait sans doute arrivé à réduire l'ampleur du projet, ou plus probablement encore, à carrément le bloquer. Mais ces réflexions sérieuses, à la fois environnementales et urbanistiques, méritaient des réponses sérieuses. On ne les a pas eues.
D'abord, parce que les mouvements écologistes ont décidé qu'il valait mieux tirer avant de réfléchir, et ont rapidement organisé une mobilisation dont on ne connaît pas l'enracinement, avec des arguments pas toujours convaincants, sur la qualité de ce boisé, mais aussi sur l'idée que les espaces verts en milieu urbain doivent être dans une bulle.
Ensuite, un pouvoir politique, échaudé par le mont Orford. Prononcez les mots «parc national», et vous savez quoi faire, encore plus si vous êtes minoritaire. Le PQ et l'ADQ ont tous deux souhaité que le gouvernement rachète le terrain. La ministre Line Beauchamp n'avait pas d'autre option que d'imposer une réserve foncière pour bloquer le projet.
Ajoutez le silence du maire de Longueuil, Claude Gladu. Sans doute indifférent au débat parce que si le terrain est situé dans sa ville, le parc, lui, se trouve à Boucherville. M. Gladu n'a rien fait, n'a rien dit, sauf pour déplorer la décision gouvernementale qui le prive de revenus fiscaux. Les petits maires, trop dépendants de la taxe foncière, sont trop accros au développement immobilier pour exercer un quelconque leadership.
Et pour coiffer le tout, un promoteur qui a réussi à renforcer les préjugés les plus tenaces. En achetant ce terrain, Luc Poirier savait qu'il affrontait des obstacles environnementaux et politiques qui exigeaient du doigté. Ce n'est pas le cas de cette passe-passe minable où, pour réagir à l'imposition d'une réserve foncière du gouvernement, il a vendu 130 millions à un collègue promoteur le terrain qu'il avait payé 6 millions quelques mois plus tôt. Un véritable cirque. Cette manoeuvre grossière nous rappelle que la méfiance face aux promoteurs, un des facteurs qui nourrit l'immobilisme, s'explique aussi par l'irresponsabilité de certains d'entre eux et l'absence d'autodiscipline du milieu de l'immobilier.
Il ne semble pas y avoir de juste milieu, dans le développement immobilier de la métropole, entre le lynchage et le bulldozage. Ni de lieu pour aborder sereinement ces enjeux.
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