Île Charron: pas de trace de vente au Groupe Cholette

Selon Québec, la vente de 20 hectares de l'île Charron au prix de 130 millions de dollars n'aurait pas eu lieu.

Île Charron - de la spéculation à la corruption appréhendée

(Photo Martin Chamberland, La Presse)

Denis Lessard et André Duchesne - Un promoteur immobilier vend un terrain de l'Île Charron 22 fois plus cher que payé en début d'année, mais ne présente aucun document pour l'attester. Sceptique, Québec s'en tient aux 6 millions initiaux. Tandis que Longueuil voit des taxes juteuses lui passer sous le nez à cause de l'imposition d'une réserve foncière. Dans cette affaire, seuls les chevreuils du parc national voisin semblent garder leur sérénité...


Le gouvernement Charest réfute les prétentions du propriétaire du terrain de 20 hectares dans l'île Charron pour lequel il a émis une réserve foncière dimanche dernier.
La discussion avec le propriétaire Luc Poirier se fera sur la base des 6 millions qu'il a payés cette année pour l'acquérir et non 130 millions, prix négocié dans une vente prévue au Groupe Cholette, dont on ne retrouve toutefois aucune trace.
Selon la ministre du Développement durable, Line Beauchamp, la montée vertigineuse du prix, en moins d'un an, a de quoi laisser sceptique, surtout quand on considère que la vente de M. Poirier au Groupe Cholette n'a jamais été notariée. «On a fait des vérifications en fin de journée vendredi, puis lundi matin, et il n'y a rien d'enregistré», a précisé Mme Beauchamp.
Surtout, hier, Luc Poirier a dans des entrevues à la radio et à la télévision tenu des propos divergents pour décrire «l'entente» survenue entre lui et le promoteur immobilier. Pour Mme Beauchamp, il est pour le moins surprenant que, s'il a vendu le terrain comme il le prétend, M. Poirier estime encore être l'interlocuteur du gouvernement pour la négociation menant à l'acquisition de la pointe de l'île Charron.
«Pour nous, la base de négociation c'est les 6 millions qu'il a payés pour le terrain», résume Mme Beauchamp. «On va négocier sur la juste valeur marchande, et je trouve très surprenant que M. Poirier dise qu'il a vendu et qu'il garde un lien. C'est surprenant et douteux», a dit la ministre.
Au Mouvement Desjardins qui a cédé pour 6 millions au début de 2007 le terrain qu'elle tentait de vendre depuis 1995, la porte-parole Nathalie Genest explique: «Au moment où on l'a vendu, le terrain valait 6 millions, et même un peu moins selon nos évaluations. Pourquoi en vaudrait-il 130 millions aujourd'hui, on n'en a pas la moindre idée.»
Joint hier, Luc Poirier, avant même avoir discuté avec Québec, prédit déjà que le Tribunal de l'expropriation aura à trancher du litige. «Regardez partout à quel prix se vendent les terrains au bord de l'eau, à L'Île-des-Soeurs, à Longueuil, les prix ont quadruplé depuis quatre ans», dit-il.
Il soutient que le terrain lui avait été vendu parce qu'il était le seul acheteur à ne pas poser de conditions. Les services n'étaient pas rendus, des questions subsistaient quant à la protection des milieux humides et quant à la nécessité de procéder à une décontamination, insiste-t-il.
C'est dans les heures qui ont suivi l'annonce de la ministre Beauchamp, dimanche, que M. Poirier a annoncé par voie de communiqué que le terrain mis en réserve par Québec avait «été cédé au groupe Cholette pour 130 millions». En matinée, Louis Aucoin, porte-parole de M. Poirier, reconnaissait qu'aucun document notarié ne permettait d'attester de la transaction entre MM. Poirier et Cholette.
«J'imagine que l'annonce de Québec est précipitée, la ministre aurait pu vouloir nous parler, parler à la Ville de Longueuil», observe M. Aucoin. Ce dernier indiquait d'ailleurs que les questions sur la valeur du terrain devraient être posées à M. Cholette. À Radio-Canada, Claude Cholette expliquait en matinée que c'est le potentiel du terrain qui en déterminait la valeur et non le prix payé. «C'est une discussion qui dure depuis quatre ou cinq mois, il y a une demande», a dit M. Cholette.
La réserve de Québec est d'une durée de deux ans, renouvelable une fois. «On prévoyait qu'il y aurait une réserve, dans quatre ans les terrains vaudront plus que 130 millions», a prédit M. Poirier.
En fin de journée, M. Poirier parlait «d'une lettre d'intentions» qui n'avait pas été notariée toutefois. «Cela s'est fait à l'interne, c'est courant», explique-t-il.
Dans un communiqué diffusé hier, la Ville de Longueuil disait «déplorer que le gouvernement du Québec ait procédé sans obtenir au préalable l'avis de la municipalité et sans aucune considération quant à l'impact de cette décision sur la municipalité».
Selon le maire Claude Gladu, Québec prive la ville des revenus fonciers attendus des 2500 unités d'habitation. «Québec a cruellement manqué de cohérence et d'imagination», déplore M. Gladu, selon qui les citoyens de Longueuil ne devraient pas à eux seuls faire les frais de cette décision «improvisée».
Mme Beauchamp affirme toutefois que le geste de Québec était prévisible. Les trois partis à l'Assemblée nationale avaient déjà pris position en faveur du maintien de la vocation actuelle de ce terrain.
Selon le registre foncier du Québec, la transaction entre Desjardins Sécurité Financière et Luc Poirier a été signée le 1er février 2007. Le promoteur a acquis le terrain moyennant une somme de 6 millions de dollars. Le registre foncier du Québec indique que le terrain en question a une valeur de 2 713 400$.
Le jour même de la transaction, l'entreprise de Luc Poirier a contracté une hypothèque de 3,2 millions de dollars chez Desjardins Sécurité Financière. Une autre hypothèque de 1,6 million a été contractée le 19 septembre 2007 auprès d'un prêteur privé.
Comment la valeur d'un terrain pourrait-elle exploser d'une telle façon aussi rapidement? Dans le milieu, on explique que le prix de certaines propriétés peut monter en flèche lorsqu'un changement de zonage est imminent et que ce changement est évidemment à l'avantage du propriétaire. Mais ce n'est certainement pas le cas du terrain de l'île Charron. Selon François Laramée, directeur des communications de la Ville de Longueuil, le zonage dans le secteur est le même depuis des années. «C'est zoné blanc, ce qui permet la construction d'édifices de quatre étages, depuis 18 ans», dit-il. Selon M. Poirier toutefois, une décision permettant des constructions plus élevées était attendue.
Du même souffle, M. Laramée indique que Luc Poirier n'a fait aucune demande de changement de zonage. Il n'a même jamais présenté son projet immobilier à la Ville. «Nous savions qu'il travaillait à son projet. Il a demandé des documents. Il faisait ses devoirs. Mais nous n'avons pas reçu de projet officiel», dit-il.
Lorsqu'un propriétaire est insatisfait d'un ordre d'expropriation - et du prix offert -, il s'adresse au Tribunal administratif du Québec. L'organisme doit alors se prononcer sur deux choses: l'État avait-il le droit d'exproprier? Si oui, quelle est la valeur du terrain? La plupart des litiges tournent autour de la seconde question.
Le terrain convoité
> Superficie: 216 511, 4 m 2 ou 2 330 509,3 pi2

> Valeur au rôle d'évaluation: 2,7 millions $

> Nombre d'unités projetés: 2500
Variante des prix selon les deux dernières transactions

> Achat Luc Poirier / Achat Groupe Cholette*

> Prix de vente: 6 000 000 $ / 130 000 000 $

> Prix/unité: 2400 $ / 52 000 $

> Prix/pied carré: 2,79 $ / 60,39 $

* Cette transaction n'est pas concrétisée.
- source


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé