L'histoire par les nuls

Quand on voit Lysiane Gagnon défendre l'enseignement de l'histoire, on doit comprendre que les technocrates du ministère de l'Éducation sont les véritables nuls - qui nous débarrassera donc de ces imposteurs ?



François Villon, un poète de la Renaissance! L'affaire Dreyfus? Rien à voir avec l'antisémitisme! Le mur de Berlin? Connais pas. Saviez-vous que l'Inquisition espagnole ne visait que les musulmans? Les Gaulois, les Vikings, les Celtes? Connais pas. François 1er? Henri IV? Inconnus au bataillon. L'Iliade? L'Odyssée? Évacuées au profit d'Astérix.


Voilà un aperçu de ce que les petits Québécois du premier cycle du secondaire apprendront, ou plutôt n'apprendront pas, dans les manuels qui portent théoriquement sur l'Histoire du monde, de l'Antiquité à nos jours.
Ami lecteur, allez vite vous procurer L'actualité du 1er avril, qui est encore dans les kiosques. Magali Favre et Christian Rioux, correspondant du Devoir à Paris, ont parcouru les manuels - tous dûment approuvés par le ministère de l'Éducation - proposés aux enseignants. La lecture de leur article vous fera dresser les cheveux sur la tête.
Non seulement trouve-t-on dans ces manuels des omissions singulières et des erreurs grossières, mais il y a pire: c'est la conception du cours qui est en soi un désastre.
La conception que le Ministère se fait de l'enseignement de l'histoire n'a, tout simplement, plus rien à voir avec l'histoire. Les événements du passé (ceux du moins dont consentent à parler les auteurs des manuels) sont vus à travers le prisme de l'actualité la plus immédiate.
Exemple, cette question: «Aurais-tu aimé être féministe à Athènes?» Passons sur le tutoiement, cette question n'a aucun sens. Même si l'on trouve dans la République de Platon de fascinantes réflexions sur l'opposition nature-culture (un thème développé par les féministes 25 siècles plus tard), la critique de la condition des femmes n'existait pas à l'époque. C'est dénaturer l'histoire de la Grèce antique que d'y injecter une idéologie récente. Autre question oiseuse sur Athènes: on demande à l'élève de comparer la démocratie athénienne à la démocratie canadienne!
Même chose pour ce qui concerne l'Empire romain, que l'on aborde à travers le prisme des États-Unis, les auteurs ayant décidé que nos voisins du Sud, du simple fait qu'ils sont l'unique superpuissance actuelle, constituent un empire analogue à celui de Rome! L'inculture, ici, atteint des dimensions planétaires.
De fait, il ne s'agit pas d'un cours d'histoire, malgré le titre. Le programme du Ministère se propose plutôt «d'amener l'élève à développer des compétences qui l'aideront à comprendre les réalités sociales du présent à la lumière du passé».
Dans l'esprit de cette «réforme», qui a déjà causé tant de dégâts, on ne transmet plus des connaissances. On demande à des élèves qui ignorent tout de l'histoire de développer leur propre vision des choses, en les plongeant dans une grande soupe où se mélangent pêle-mêle des bribes d'information dénuées de cohérence.
Le minestrone donne des choses comme ceci: on étudie la mondialisation à partir de la colonisation, l'analphabétisme contemporain à partir de la Mésopotamie, l'écologie contemporaine à partir de l'époque néolithique
Comble du ridicule, le manuel intitulé L'Occident en 12 événements, indiquent nos auteurs, «pousse la prétention jusqu'à citer le renouveau pédagogique québécois parmi les expressions modernes de l'humanisme juste à côté du préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme!». Les bras vous en tombent...
«Sous prétexte d'éducation civique, écrivent Rioux et Favre, toute l'attention est dorénavant concentrée sur le présent. Dans un manuel supervisé par l'un des principaux concepteurs du programme, le didacticien Claude Laville, on pose la question: Sommes-nous satisfaits de notre présent? Pouvons-nous le changer?»
On se souvient du tollé, ô si légitime, qu'avait déclenché, il y a deux ans, l'absurde projet d'un cours «d'histoire du Québec et du Canada» qui gommait des événements aussi importants que la Conquête et les insurrections de 1837-38. Le Ministère, sous les huées, a revu sa copie.
Le cas soulevé par Rioux et Favre est encore pire. Au moins, quand il s'agit de l'histoire du Québec, la société peut compenser (plus ou moins) pour les failles scolaires, mais quand il s'agit de l'histoire mondiale, les jeunes Québécois, sauf ceux qui viennent de familles très instruites, sont presque entièrement dépendants de l'école.


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