Karim-Pierre Maalej, LE TAURILLON, magazine européen.
On le craignait, on en a désormais la preuve : l’Europe à 27 est arrivée à ses limites. Nice en 2001, à quinze États, avait déjà été extrêmement laborieux, mais depuis l’élargissement toutes les tentatives de la réformer ont échoué : en 2005 à vingt-cinq, en 2008 à vingt-sept, à chaque fois il se trouve au moins un pays pour bloquer le processus (paradoxalement, il s’agit de « vieux » membres, mais la Pologne ou la République tchèque ne sont pas en reste). Une troisième tentative (à trente ?) échouerait inévitablement de la même façon, en raison de la règle inique de l’unanimité.
Pourtant, les peuples de l’Europe restent immensément europhiles. Enquête après enquête, la proportion des citoyens qui demandent un président ou un gouvernement élu par les citoyens, une véritable diplomatie européenne, une politique sociale et fiscale, devient de plus en plus importante. Ceux qui voyagent (et ils sont nombreux parmi les jeunes) ne se voient plus vivre sans l’euro et Schengen. S’ils se défient de l’Union, c’est précisément parce qu’elle s’écarte du rêve fédéral et non parce qu’elle s’en rapproche, n’en déplaise à M. Le Pen ou à Mme Buffet.
À cette constatation, il paraît dès lors évident que la pire des choses serait d’en rester au traité de Nice avec les recettes classiques d’une Commission qui se mêle de tout alors qu’elle n’est élue par rien. Cet immobilisme n’aurait pas d’autre effet que de décourager les citoyens et de les jeter dans les bras des nationalistes de tout poil qui, on l’a bien vu en 2005 et en 2008, comptent bien récupérer le gros gâteau du Non à coup de petites phrases. Pourtant, nous savons tous que la chimère de réécrire un projet nouveau, simple, lisible et ambitieux n’a aucune chance de passer auprès des Vingt-sept. Le TCE était réellement le meilleur compromis que les États étaient prêts à concéder, et c’est bien pour cela que le Traité de Lisbonne n’en est qu’un avatar édulcoré. Il semble bien qu’on soit arrivé dans une impasse. Dès lors, que faire ?
Au-delà de Lisbonne, continuons à avancer
Tout d’abord, il faut respecter la démocratie : avant de tirer les conclusions officielles, chaque État doit avoir pu se prononcer ; il n’est pas question de recommencer la mascarade de 2005 où tout s’arrête au moindre couac. Nous devons pouvoir avoir à la fin de l’année une vue exhaustive des volontés des différents États de l’Union. Bien entendu, le même principe démocratique exigera de ne pas faire revoter les Irlandais ; ils se sont exprimés clairement, avec un taux de participation honnête, leur décision mérite le même respect que les choix des autres États, n’en déplaise à M. Sarkozy. Quant aux dérogations sur ceci ou cela, on en a assez soupé, l’Europe devient invivable avec toutes ces exceptions qui finissent par devenir la règle. En vertu de la règle de l’unanimité le Traité de Lisbonne n’entrera donc pas en vigueur.
Mais parce que l’immense majorité aura accepté le Traité, certaines réformes envisagées (et par ailleurs largement acceptées par l’opinion, y compris par les citoyens qui ont voté ou voudraient voter non) pourront être mises en œuvre, comme le soulignait le regretté député européen Bronislaw Geremek dans l’un des ses derniers articles engagés : des mesures telles que l’initiative législative populaire ou l’amélioration des rapports avec les Parlements nationaux peuvent être décidés par un engagement correspondant de la part du Parlement européen ; d’autres comme la présidence du Conseil européen ou l’extension des droits du Parlement peuvent être actés par une simple décision du Conseil. De la même façon, les traités actuels suffisent pour adopter une série de mesures concrètes pour améliorer la vie des citoyens : livret de famille européen, massification d’Erasmus, etc.
Et avec les européenne de 2009, les partis politiques peuvent enfin donner un enjeu aux élections : si chaque parti européen désigne son candidat à la présidence de la Commission avant l’élection, en faisant campagne autour de lui comme leur leader incontesté, alors les Chefs d’État n’auront politiquement pas d’autre choix que d’accepter le résultat des urnes et les citoyens auront alors enfin élu leur président (pensez à signer la pétition si vous ne l’avez pas encore fait).
Bref : utilisons jusqu’au bout la logique des traités existants et voyons où ça bloque. Parce que ça bloquera, c’est évident. Avec les traités actuels, l’unanimité est la règle et il suffit du refus d’un seul pour bloquer les 26 autres.
Prendre acte du fait que nous ne voulons pas tous la même Europe
Il sera alors peut-être temps de se poser la question qu’on refuse de se poser depuis vingt ans : pourquoi ceux qui sont contents de l’Europe actuelle, principalement économique, n’auraient-ils pas le droit d’y rester, et pourquoi ceux qui veulent aller plus loin, vers une Europe sociale et politique, n’auraient pas le droit d’avancer comme ils le souhaitent ?
Mais attention, car il y a deux manières fondamentalement opposées d’envisager cette solution. La mauvaise manière, c’est l’approche exclusive : on demanderait aux Irlandais, aux Tchèques ou à tous ceux qui ne seraient pas d’accord avec les autres de quitter l’Union. C’est une solution qu’on entend de plus en plus souvent, mais c’est une solution qui va à l’encontre de tout ce pour quoi on a fait l’Europe.
Le projet de Schuman et Monnet a été conçu pour rassembler, et non pour exclure. Nous n’avons pas détruit le mur de Berlin pour diviser à nouveau le continent. Et, pour ceux qui y songeraient, la négociation d’un partenariat privilégié avec les exclus ne changerait rien à l’affaire car si les exclus conservent les acquis, la dynamique reste celle d’une exclusion, et sera perçue comme telle. Or la politique, l’Histoire sont toujours faites de dynamiques.
Heureusement il y a une autre approche, qui permet de parvenir au même résultat sur une dynamique constructive. Cela change tout, car au lieu d’exclure de la maison commune on construit simplement un étage. Ce n’est pas nouveau, on a déjà fait ça auparavant. Mais oui, souvenez-vous : l’euro. Le Royaume-Uni (entre autres…) ne voulait pas en entendre parler. Eh bien, qu’a-t-on fait ? On n’a pas renoncé au projet, on ne les a pas mis dehors, on a simplement fait l’euro sans eux. Et tout le monde est content. On commence justement à réentendre parler de ces coopérations renforcées ces jours-ci, avec par exemple une initiative récente en matière de droit du divorce.
N’en restons pas là, et appliquons la même logique aux institutions : au lieu de réformer sans fin l’Union européenne, créons une nouvelle forme d’intégration. Une organisation liée à l’Union (souvenez-vous, nous voulons rassembler, pas diviser), ouverte, mais qui pourrait avancer sans attendre les autres.
Pour cette nouvelle organisation, on donnerait dès le départ les règles du jeu. Pas d’unanimité, mais une double majorité États-citoyens. Pas de dérogations, mais une construction d’ensemble fondée sur les règles démocratiques classiques, avec décisions par une majorité simple dans un référendum pan-européen, ou par un Congrès constitué du Parlement (pour les citoyens) et du Conseil (pour les États). Pas de technocrates désignés dans les coulisses des diplomaties, mais une Commission libérée des égos nationaux et responsable devant le Parlement.
Alors, l’Europe retrouvera son chemin, celui qu’elle n’aurait jamais dû quitter : rapprocher les peuples.
http://www.taurillon.org
L'Europe à la croisée des chemins
Après le non irlandais, comment poursuivre le rêve européen en respectant les vœux des citoyens ?
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