L’euro contre l’Europe

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Imposer le fédéralisme à des peuples qui n'en veulent pas

Coup de tonnerre. C’est l’effet qu’a provoqué la semaine dernière l’annonce par Alexis Tsipras de la tenue d’un référendum. Le gouvernement grec, qui avait toujours souhaité un accord global incluantl’effacement inévitable d’une partie de sa dette, a donc décidé d’en appeler au peuple. Les réactions de vierges effarées n’ont pas tardé.

Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre d’un pays qui pille légalement les recettes fiscales de ses voisins, s’est déclaré « trahi ». L’Eurogroupe a aussitôt expulsé le représentant de la Grèce, signifiant de la sorte que le pays n’était pas très loin de la porte. Rappelons qu’il n’existe pas de procédure permettant d’exclure un pays de l’Union économique et monétaire. Aux dernières nouvelles, la Grèce avait donc toujours, dans l’Eurogroupe, les mêmes droits que chacun des 18 autres pays membres.

Cette réaction n’est guère surprenante. Cela fait déjà un certain nombre d’années que l’Union européenne est fâchée avec la démocratie. On se souvient des référendums de 2005 sur le projet de Constitution européenne. Malgré les « non » français et néerlandais, les élites européennes n’ont pas hésité à adopter le traité de Lisbonne qui reprenait l’essentiel des règles de la défunte Constitution. Mais cette fois, ils prirent bien soin de ne pas consulter les peuples. Cet épisode noir de la démocratie européenne n’est pas unique. Les Grecs y ont déjà goûté. En 2011, l’Union européenne avait forcé le premier ministre Georges Papandréou à abandonner son projet de référendum sur l’accord intervenu avec Bruxelles. L’épisode contribua à l’explosion du PASOK. Le grand parti qui avait défendu la souveraineté nationale et rétabli la démocratie après la dictature ne s’en est jamais remis.

Cette dynamique antidémocratique qui veut imposer le fédéralisme à des peuples qui n’en veulent pas s’est accentuée avec la création de l’euro et la crise qui a suivi. Pour « sauver » l’euro, il faut encore plus d’intégration économique, répète à satiété la Commission européenne. Ce en quoi elle n’a pas tort. Sauf que de cette intégration économique, les peuples ne la souhaitent pas. C’est du moins ce qu’ils disent clairement chaque fois qu’on daigne les consulter.

La recette infernale de Jean Monnet, qui visait à forcer l’intégration par la logique économique, s’est transformée avec les années en une spirale infernale.

On a beau dénoncer la corruption, la fraude fiscale et le laxisme de la Grèce — qui existent par ailleurs —, jamais ce pays n’aurait dû intégrer la zone euro. Si on l’a accepté, c’était pour satisfaire la logique d’une construction politique accélérée qui montre aujourd’hui son absurdité. Offrir à la Grèce les bas taux d’intérêt de l’euro revenait ni plus ni moins à mettre sous le nez d’un diabétique les meilleurs gâteaux du monde. Si l’Europe a fermé les yeux, c’était pour des raisons idéologiques évidentes. Rien ne devait entraver la voie idyllique de l’intégration européenne. Une intégration que les eurocrates veulent toujours plus grande, quitte à passer par-dessus des différences nationales, linguistiques et culturelles incontournables.

Faute de véritable peuple européen, la péréquation et la mobilité pourtant essentielles à la solidité de la monnaie unique seront toujours aléatoires. Pendant des décennies, les Canadiens ont payé des millions pour maintenir Terre-Neuve dans le Canada. Qui aujourd’hui serait prêt, en Europe, à faire la même chose pour la Grèce ou le Portugal ? Certainement pas l’Allemagne, où une majorité de la population souhaite, comme Nicolas Sarkozy en France, que Bruxelles pousse la Grèce vers la porte de sortie.

Ce sont les idéologues de l’Europe et de l’euro-à-tout-prix qui ont mené l’Union européenne dans l’impasse actuelle : celle d’une éventuelle sortie de la Grèce de l’euro. Or, il se pourrait que la sortie de la Grèce de l’euro soit, malgré l’incertitude inévitable, la solution la moins pire de toutes. Celle-ci se ferait évidemment au prix d’une chute dans l’inconnu, mais elle aurait au moins l’avantage de forcer certaines réformes essentielles sans que celles-ci soient imposées de l’extérieur. Elle permettrait de plus à la Grèce de jouir enfin d’une monnaie faible lui permettant de faire valoir ses atouts économiques.

Quant à l’Europe, les milliards qu’elle a déjà engloutis ont surtout servi à protéger son système bancaire et à renationaliser les dettes européennes. Pourquoi les Allemands, les Français et les Espagnols, qui ne sont pas plus Européens que les Québécois ne sont Américains, continueraient-ils à soutenir un pays avec qui ils ne se sentent guère solidaires ?

Mais l’essentiel n’est pas là. Quel que soit le résultat de dimanche, l’Europe en sortira transformée. D’abord parce que ce référendum marque le retour des nations, et donc de la démocratie, dans le jeu européen. Ensuite parce que ces peuples se demandent avec raison pourquoi ils devraient continuer à sacrifier le rêve européen à une utopie fédérale et technocratique qui, contrairement à toutes ses promesses, est en train de monter les peuples les uns contre les autres. On n’a tout de même pas fait l’Europe pour ça !


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