L’érosion linguistique

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Lente érosion deviendra grande pourvu qu'on lui prête vie






Le français recule dans la région de Montréal. Il reste aussi particulièrement fragile en Outaouais – cette autre grande région par contre trop souvent oubliée sur cette question pourtant cruciale.


Il est certes commode de pointer le laisser-faire aussi évident qu’irresponsable des libéraux de Philippe Couillard dans le domaine. En cela, l’effet de contraste face à un Robert Bourassa crève bien évidemment les yeux.


Or, ce mouvement de recul, que l’on semble noter tout à coup en tombant brutalement des nues, il est pourtant amorcé et documenté depuis vingt ans déjà.


Il y a deux semaines, sous le titre «Un silence désastreux», j’expliquais d’ailleurs l’origine du premier glissement significatif sur le front linguistique depuis l’adoption de la Loi 101 en 1977. Ce premier glissement étant l’œuvre du premier ministre péquiste de l’époque – Lucien Bouchard.


«L’avenir du français préoccupe-t-il encore nos élites politiques?», demandais-je en début de chronique. «À quelques exceptions près, la réponse est non. Leur silence craintif et leur inaction désastreuse ont fait leur œuvre.»


En 2016, on ne compte en effet plus les effets délétères de ce laisser-faire politique des deux dernières décennies. Au point où plus rien, ou presque, ne nous étonne.


Exemple : le projet de loi 77 déposé en décembre dernier par la ministre de l’Immigration Kathleen Weil, dont le but ultime est de mieux «arrimer» les nouveaux arrivants aux besoins du marché du travail. Quitte à mettre la pédale encore plus douce – si cela est même possible (!) -, sur leur francisation. Pour lire le texte du projet de loi, c’est ici.


Cette réforme, majeure selon Mme Weil, le ministère lui-même la qualifie sans rire de «moderne et performante»...


Non pas qu’un dépoussiérage important du mode de sélection des nouveaux arrivants ne soit pas nécessaire. Le problème réside dans le risque, réel, de voir l’apprentissage ou la connaissance du français relégué au second ou troisième plan.


Ce risque est d’autant plus inquiétant qu’en 2015 seulement, le Québec accueillait près de 50 000 immigrants; plus de 200 000 Néo-Québécois ne parlent pas français; 60 % des immigrants adultes non francophones refusent de suivre un cours gratuit de francisation.


Traduction : le processus de francisation étant déjà vacillant depuis les deux dernières décennies – le prix amer du laisser-faire politique et législatif -, comment peut-on même songer à le rendre encore moins nécessaire?


***


 


Coupables de non-assistance


Que nos gouvernements, tous partis confondus, aient cessé à quelques exceptions près depuis 1996 de vouloir agir résolument pour renforcer le français au sein même du seul État francophone du continent, c’est comme si un parent cessait tout à coup de protéger ce qu’il a de plus précieux – son enfant.


Bref, nos gouvernements sont  coupables de non-assistance au premier déterminant de la société même dont ils se disent les ultimes gardiens - un déterminant en danger.


J’entendais ce matin un collègue à la radio se demander pourquoi est-ce qu’une telle proportion de Néo-Québécois ne suit même pas un cours gratuit de francisation? Le problème, disait-il, est fort complexe.


Mais l’est-il vraiment?


Dans les faits, cette question renvoie précisément aux dommages, nombreux, causés par ces derniers vingt ans d’inaction sur le front politique et législatif.


Adoptée en 1977 sous le premier gouvernement de René Lévesque, rappelons que la Charte de la langue française (loi 101) visait explicitement ceci : «faire du français la langue de l'État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l'enseignement, des communications, du commerce et des affaires.»


Les deux mots-clés ici sont «normale» et «habituelle». En cela, le législateur ne parlait surtout pas pour ne rien dire.


«Normale» visait à faire de l’usage du français la «norme» au Québec. À l’époque où 85% des enfants d’immigrants en situation de «libre choix» étudiaient à l’école anglaise et où l’anglais était la première langue du travail et donc, de la mobilité sociale, parler en termes de «norme» était lourd de sens sur le plan politique.


L’objectif n’étant donc pas de faire du français l’«unique» langue au Québec, mais de lui donner suffisamment de tonus par voie législative pour qu’elle puisse supplanter l’anglais au fil du temps comme langue de travail, de communication, d’enseignement, de commerce. Ce faisant, elle s’imposerait à terme comme langue «normale et habituelle» d’intégration des nouveaux arrivants.


L’objectif ultime de la loi 101 était donc de rendre l’usage du français dans la société québécoise aussi «normal et habituel» qu'est l’usage de l’anglais hors Québec.


L’immense différence étant que contrairement au ROC où l’anglais domine de manière tout à fait «naturelle», au Québec, les deux langues officielles» du Canada sont en compétition ouverte. Résultat: au Québec, seules des mesures législatives en partie incitatives, mais surtout coercitives, peuvent donner au français un rapport de forces réel face à l’anglais.


Et voilà bien tout le drame des vingt dernières années.


Le drame étant le refus de nos gouvernements d’agir de manière conséquente à cette réalité qui est la nôtre. Une réalité politique, linguistique, économique et sociologique pourtant unique au Québec sur le continent.


Refus d’agir face aux tribunaux – seul Robert Bourassa se sera prévalu de la fameuse clause dérogatoire des chartes de droits québécoise et canadienne dans le but de protéger la loi 101 d’un des nombreux jugements de tribunaux visant à l’affaiblir. La clause dérogatoire étant pourtant un moyen d’agir tout à fait légal et constitutionnel. Refus aussi d’agir, entre autres, dans les milieux de travail.


Donc, si nous revenons à la question existentielle de tout à l’heure : pourquoi une telle proportion des Néo-Québécois ne suit même pas un cours gratuit de francisation? En sont-ils responsables? Non.


Les vrais responsables sont ailleurs.


Depuis vingt ans, pour cause d’inaction navrante des élites politiques québécoises, le français est de moins en moins la langue «normale et habituelle» de la mobilité sociale et économique dans la grande région de Montréal où près de 90% des immigrants s’installent.


Si, depuis 1977, le français y était devenu sans équivoque la langue «normale et habituelle», personne n’oserait même songer à s’en passer.


Ou, dit autrement, si le français y était la langue «normale et habituelle», ça se saurait...


La vraie question est donc celle-ci : qui agira, un jour, avant qu’il ne soit trop tard?



 




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