L'enseignement de l'anglais - se recentrer sur le but

Chronique d'André Savard


Les réactions entourant la déclaration de Pauline Marois n’honorent personne. D’abord Pauline Marois, parlant d’immersion longue durée et de cours d’Histoire en anglais, a dit tout ce qu’il fallait pour hérisser. Heureusement s’est-elle empressée de rectifier. Il y a tout de même un bon point. Ceux qui la soupçonnaient du pire en raison de son anglais déficient sauront maintenant qu’elle ne veut pas isoler les citoyens du Québec de la principale langue du continent.
Les fédéralistes, pâmés, confondirent romantiquement le bilinguisme avec la culture. En fait, vous pouvez fort bien parler six langues et être un parfait inculte ou n’en parler qu’une seule tout en étant plus ouvert aux cultures étrangères que le plus fieffé polyglotte. Mais va, les deux camps politiques se livrèrent à des déclarations outrancières.
[Victor-Lévy Beaulieu a excellé particulièrement dans l’outrance->11749]. Il a cette manie de caractériser les phénomènes par leurs manifestations les plus extrêmes et les plus déviantes. Il y a quelques mois, il devisait de Robespierre, meneur de purges sanglantes, pour disserter sur les effets de la religion. Cette fois, pour parler des effets du bilinguisme, ce n’est pas chez Robespierre qu’il a pigé mais chez Staline.
Il reste que chaque fois que l’indigence des étudiants en anglais est constatée, les mesures de redressement évoquées sont tellement drastiques que, pendant un moment, on se demande quel chemin cela va prendre. Séjour d’immersion de six mois ou plus, enseignement de l’anglais dès la première année, différentes matières académiques transmises dans la langue seconde, le tableau avait de quoi faire peur.
L’anglais est un programme d’enseignement qui se formule en critères stricts comme toutes autres matières d’enseignement. À la fin de l’école secondaire, un étudiant devrait avoir acquis une maîtrise fonctionnelle de l’anglais. Cela signifie une capacité de mener des échanges courants qui lui permettront grosso modo de voyager, comprendre les renseignements donnés, solliciter des services ou en offrir.
L’objectif n’est pas de rendre l’étudiant parfaitement bilingue. En principe, une maîtrise fonctionnelle de l’anglais correspond à un classement intermédiaire de niveau inférieur ou moyen dans les écoles de langues spécialisées. Quatre années d’enseignement de l’anglais devraient y suffire amplement.
Les manuels actuels d’anglais de secondaire V dépassent le simple niveau intermédiaire. Les textes sont étoffés, dépassant les structures journalières et le vocabulaire courant. En théorie, on a donc un programme qui dépasse ses objectifs mais, sur le terrain, la réussite académique des étudiants ne se vérifie pas. Beaucoup d’étudiants réussissent leurs examens en anglais quoique leurs capacités réelles soient bien en-dessous de leur capacité à répondre convenablement aux examens.
Pour qu’un tel fait se produise, il faut que les étudiants aient tout compris en pièces détachées sans que jamais ne s’opère la synthèse qui permet de saisir d’instinct la langue anglaise. Il manque un principe d’assimilation par l’intuition.
Il y a là un problème dont les causes sont variables. D’abord, l’anglais se présente comme un échelonnement progressif de connaissances. On aborde des difficultés précises étape par étape. En secondaire III, l’étudiant fera des exercices avec les prépositions et s’il met la préposition « at » dans le bon espace, s’il sait distinguer quand utiliser « to » et quand « into » s’applique mieux, il aura une bonne note.
L’étudiant pioche sur les propositions comme il a pioché sur les verbes irréguliers. Il obtient sa bonne note quand il a bien mémorisé la liste des verbes irréguliers. Ainsi va-t-on d’année en année à la rencontre d’objectifs pédagogiques précis. Les étudiants obtiennent des notes acceptables sans pouvoir se repérer dans la pratique de la langue anglaise. On devrait donc s’interroger sur le découpage actuel en tranches d’enseignements de la langue seconde.
À chaque fois que l’on accuse les maigres aptitudes de nos étudiants en langue anglaise, on prône plus de temps alloué à l’anglais. Mais est-ce vraiment la solution? Avant de parler d’ajouter des heures, on devrait s’interroger sur les méthodes existantes.
Un pays bien différent du nôtre doit le faire en ce moment. Le Japon a constaté au cours des dernières années que son programme d’enseignement de l’anglais était un échec. Les fameux étudiants japonais si prompts à l’étude, si disciplinés, parviennent à de bons résultats dans l’ensemble des matières enseignées. Il n’y a que dans le cas de l’anglais au Japon où le dévouement scolaire ne rapporte à peu près rien.
Pourquoi? Beaucoup d’écoles de langues l’ont bien compris. Le cadre scolaire est trop formel pour l’enseignement des langues. Une langue s’apprend en groupe mais elle est un processus d’auto-apprentissage. Chacun à son rythme. Beaucoup d’écoles de langues divisent leur programme en trois grands niveaux : Élémentaire, Intermédiaire, Avancé, eux-mêmes divisibles en trois degrés.
Au lieu de vouloir multiplier les cours d’anglais au point d’affecter tout le corpus scolaire, il serait préférable de partager l’expérience de certaines entreprises qui se sont spécialisées dans l’apprentissage des langues. Pour ma part, j’ai été parmi ces nombreux étudiants à la fois bien notés en anglais et bizarrement inaptes au sortir de l’école secondaire. De mon propre chef, je décidai d’utiliser la méthode Assimil. Je fis en six mois plus de chemin que pendant toutes ces années de classe. J’ai aussi utilisé cette méthode pour l’apprentissage de l’espagnol et de l’allemand.
Je suis d’accord avec ceux qui disent que cette méthode ne saurait suffire mais elle donne une base appuyée sur une compréhension globale et intuitive de la langue. À partir de cette base, tous les aspects de la langue s’agrègent facilement au tronc. On part de la phraséologie journalière et on développe une aptitude pour couvrir l’ensemble des situations courantes. Quand je suis allé ensuite me perfectionner, j’étais outillé pour tirer le maximum de mes cours et de mes expériences d’immersion.
On parle beaucoup de l’immersion comme d’une solution magique. Or, chez beaucoup d’étudiants, une expérience d’immersion ne porte pas tous ses fruits car ceux-ci manquent de prises. Dans une expérience d’immersion, vous êtes jeté çà et là dans des échanges courants qui disparaissent instantanément sans que vous puissiez y revenir. Ceux qui vantent l’immersion comme une panacée parlent beaucoup des enfants qui se fondent dans le groupe où on s’exprime dans une langue étrangère. Ils parlent moins de ceux qui s’abattent dans une mélancolique apathie car ils ne comprennent que de minces intervalles des conversations.
Avant, on ne pouvait songer à recréer des laboratoires de langues dans un réseau scolaire car l’équipement était trop coûteux. Avec l’élargissement du parc d’ordinateurs, les dispositifs nécessaires se sont démocratisés. Il serait peut-être temps de vérifier l’impact des cours enregistrés sur disques auprès de larges clientèles.

On devrait se recentrer sur le but : faire atteindre le niveau intermédiaire aux étudiants. Pour cela il n’est pas nécessaire de commencer trop tôt ou de multiplier les heures mais de savoir les utiliser. Bien que la population soit à cran contre les expériences pédagogiques, il serait peut-être temps pour un banc d’essai avec un nouveau matériel pédagogique. Ce matériel endisqué devrait mettre l’élève en contact avec les phraséologies courantes dans des conversations suivies d’abord à l’aide du texte de la conversation. Les nouveaux éléments impliqués dans les conversations d’une difficulté progressive seraient élucidés dans des volets explicatifs écrits.
Si on s’en tient à plus de manuels, plus d’exercices, plus d’immersion, on aura plus de la même chose. L’étudiant sera obligé d’aller recourir à une vraie méthode efficace au sortir de l’école secondaire. Il ne sera pas tellement plus bilingue. On aura juste empêché l’école française d’être française.
André Savard


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6 commentaires

  • Serge Gingras Répondre

    20 février 2008

    L'apprentissage d'une langue seconde, dans ce cas-ci l'anglais, se fait par des efforts constants et variés. J'ai fait des progrès remarquables en anglais lorsque je me suis attelé à la lecture, dictionnaire bilingue à mes côtés. Graduellement, mon dictionnaire est devenu unilingue anglais, car j'avais acquis un vocabulaire et une connaissance grammatical, en plus de la syntaxe qui me permettaient de consulter ce dictionnaire " en anglais dans le texte ", comme on dit.
    De plus, j'avais la chance de travailer en millieu anglophone où les gens bilingues étaient tous francophones. C'était marche ou crève. Il n'y a pas de meilleur incitatif à l'apprentissage. S'ajoutait à ça, l'écoute de la radio et de la télévision, sans parler du cinéma. Tous ces facteurs mis ensemble ont fait de moi une personne bilingue qui en était rendue à enseigner le vocabulaire à des anglophones. Ce que je pouvais m'amuser.
    Il n'est pas donné à tous de travailler en millieu anglophone, néanmoins, tous peuvent lire, aller au cinéma, écouter la radio et la télévision. Que dire des DVD... Etudier à l'école ne suffit pas, il faut y mettre du siens après les heures de classes. C'est pas sorcier.
    Personnellement, je m'oppose à l'enseignement de l'anglais au primaire. N'importe quelle langue seconde sauf l'anglais. L'enseigner au secondaire, pendant quatre ans, devrait donner des résultats plus que satisfaisants, si on sait s'y prendre.
    Entre nous, l'anglais est une langue très rigolotte. Les anglais, habitants de l'Angleterre, sont d'une drôlerie extraordinaire. Je ne m'en lasse pas. On peut très bien être francophone, ce qui est mon cas, et être anglophile, ce qui est aussi mon cas.
    Je vous souhaite bien du plaisir dans l'apprentissage et la pratique de cette langue merveilleuse.

  • Archives de Vigile Répondre

    20 février 2008

    Même si je comprend très bien votre raisonnement M. Raymond Poulin, je crois que nous ne vendons pas aux Américains parce qu'ils sont anglophones mais parce que ce sont nos voisins et que ça coûte moins de "shipper" nos marchandises là. Votre idée de diversifier nos exportations est bonne, faut juste former un bon nombre de Québécois polyglottes et forcer plus pour chercher et trouver les marchés où nous pouvons être compétitifs.
    Les humains en général et les Québécois en particulier, n'aiment pas, par leur nature, choisir les chemins plus difficiles dans sa vie sauf quand ils ont un but très précis, exemple :
    Quand notre Québécois francophone voulait aller au ciel, sa religion catholique lui enseignait qu'il fallait prendre les chemins arides de la pureté pour ainsi éviter le péché et l'anglais protestant pour ne pas être contaminé par la mauvaise religion que ce dernier véhiculait. Quand le Québécois a réalisé que, peut-être, de ciel il n'y en avait point, il a lâché sa religion, sans même avoir été contaminé par le protestant.
    La morale de cette histoire "presqu'une fable" est que le danger ne vient pas toujours d'où l'on craint. M. Yvon Deschamps disait que le Québécois est socialiste de coeur et capitaliste de poche. Même chose pour la langue qui peut nous être utile, elle ne remplacera pas notre langue maternelle sauf si nous ne réussissons pas à nous faire un environnement plus français au Québec. Ça, on ne le réussira pas, même si nous bannissions tous les cours d'anglais dans nos écoles françaises. Faut simplement qu'il soit plus intéressant de parler français au Québec, par divers moyens, afin de mieux attirer nos immigrants vers nous.

  • Raymond Poulin Répondre

    19 février 2008

    Monsieur Bousquet,
    André Savard ne propose pas de boycotter l'anglais. Par ailleurs, le Québec a besoin de locuteurs qui connaissent d'autres langues, en particulier l'espagnol et l'allemand, enfin le russe et le chinois. Pourquoi interpréter négativement tout ce qui souligne notre dépendance psychologique à l'anglais? Voilà des décennies que la plupart des Québécois s'imaginent que tout le monde devrait parler anglais. Le résultat: 80% de nos esportations se dirigent vers les USA, ce qui fait de nous un client prisonnier de cet empire, alors qui'il serait beaucoup plus sécuritaire, stratégiquement parlant, de se "forcer le cul" pour diversifier nos exportations afin de ne pas dépendre que d'un seul marché. Il arrive que nous nous créons des dépendances qui font notre vulnérabilité parce que nous nous imaginons qu'il n'existe rien en-dehors de l'univers anglo-américain. Cela se nomme, en réalité, de l'auto-colonialisme, un prolongement du colonialisme britannique et canadien. Nous nous condamnons ainsi à subir le sort de la décadence usaméricaine. Notre auto-colonialisme, d'abord psychologique, nous mène à des lendemains qui ne chantent pas. En tout, vous semblez privilégier la pente que nous suivons depuis des décennies plutôt que d'imaginer un autre avenir possible. Il est vrai que c'est plus facile, mais la facilité n'est pas un gage de réussite. Les politiques ne sont pas là pour suivre toujours et en tout leurs mandants mais pour les renseigner et les orienter.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 février 2008

    M. Louis Méthé écrit : « Il est inutile que tout le monde connaisse l’anglais»
    La question à se poser serait : Est-ce qu'il est dommageable de connaître l'anglais ? Est-ce que ça peut nous angliciser ? Non, si on habite dans un Québec où la langue commune est le français.
    Connaître l'anglais au Québec est très intéressant, même si on n'en a pas trop besoin à son travail. Intéressant pour voyager chez nos voisins immédiats, pour comprendre 80 % des canaux de télé qui sont en anglais etc...
    Si le Québec était situé entre la France et la Belgique, peut-être qu'on pourrait laisser faire un peu plus mais, ici, en Amérique du nord, posséder une bonne connaissance de l'anglais "M. Yvon Deschamps est même allé jusqu'à la connaissance de l'Anglaise", c'est un MUST...me semble, pour ne pas être trop handicapés.
    Si on veut protéger le français, qu'on améliore son enseignement et qu'on se force pour mieux le parler, ça serait plus efficace que de boycotter l'anglais.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 février 2008

    Je suis tout à fait d'accord avec la proposition d'élargir le choix de la langue seconde. Il est inutile que tout le monde connaisse l'anglais. Nous avons déjà une langue commune, le français. Ce qu'il faut c'est avoir le plus grand nombre de personnes pouvant communiquer dans le plus grand nombre de langues possible. C'est cela la véritable ouverture du Québec sur le monde. C'est la seule façon d'avoir une véritable communication avec l'étranger. Se limiter à l'information qui existe en anglais de par le monde, c'est vivre dans une bulle artificielle.
    De plus, apprendre une langue étrangère demande une implication importante de la part de celui qui apprend. Il faut que cela l'intéresse. On peut ne pas s'intéresser à l'anglais tout en étant intéressé à une autre langue. Donner le choix, c'est augmenter les chances d'obtenir que les élèves acceptent d'apprendr une langue seconde.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 février 2008

    Penser anglais dès qu'il s'agit de langue seconde me semble être un mauvais réflexe. Il faudrait justifier cet automatisme réducteur. Dans une perspective d'écologie culturelle, la prépondérance du français se trouvera favorisée par une plus grande ouverture sur le monde. Une vision d'avenir devrait préconiser d'étendre les choix plutôt que de favoriser bêtement une seule langue seconde.
    G. Verrier