Il est devenu banal pour un chroniqueur, un politicien ou un intellectuel d’être traité de « raciste », de « xénophobe », de « sexiste » ou d’« islamophobe ».
Ces accusations sont habituellement lancées par deux principales catégories de gens.
Vous avez, d’une part, des jeunes qui connaissent mal le sens des mots et n’en mesurent pas la portée.
Ils valorisent leur liberté de parole plus que celle des autres et semblent s’imaginer qu’il existerait un droit de ne pas être choqués par un propos déplaisant.
Vous avez, d’autre part, des militants aguerris, qui savent exactement ce qu’ils font.
Dans ce dernier cas, Lise Ravary notait qu’il y a des gens qui peuvent s’estimer heureux de ne pas être poursuivis pour diffamation.
Peur
Il y a, au cœur du climat social actuel, trois paradoxes intéressants.
Le premier est que tout ou presque est permis pour ce qui est des actes, alors que l’espace laissé à la parole, lui, se restreint.
Faites ce que vous voulez en privé, mais attention de ne pas dire quoi que ce soit qui fera de la peine à un groupe !
Le second est ce qu’on pourrait appeler la privatisation de la censure.
Jadis, c’étaient les gouvernements et l’Église qui censuraient.
Aujourd’hui, ce sont généralement des lobbies qui patrouillent dans l’espace public et disent parler au nom des minorités.
Le troisième est que le moralisme bien-pensant logeait traditionnellement à droite. Il campe aujourd’hui largement à gauche.
Peu de choses suffisent pour que les plus fragiles fassent dans leur culotte : Louis-Jean Cormier s’est rapidement excusé après avoir « osé dire » qu’il était contre une parité imposée dans les festivals de musique.
Dans le monde universitaire, les controverses sont souvent loufoques.
En 2017, le célèbre biologiste Richard Dawkins fut accusé d’« islamophobie » pour avoir soutenu que toutes les religions étaient de très improbables superstitions.
Ces incidents sont maintenant innombrables.
Ce climat toxique est porteur d’un danger d’autant plus grave qu’il est invisible : le basculement dans l’autocensure.
Pour ne pas subir d’attaques, il est tentant de s’éloigner de tout sujet délicat ou de ne l’aborder que sous l’angle souhaité par les puritains de la pensée.
Pour toutes les controverses publiques, combien de petites démissions intérieures jamais confessées, combien de pensées gardées pour soi ou de petits mensonges pour avoir la paix ?
C’est d’autant plus insidieux que la liste des sujets chauds s’allonge continuellement, que personne n’avouera s’autocensurer, et qu’il est facile de déguiser une démission en un «il-s’agit-seulement-de-ne-pas-blesser-inutilement».
Lutter
Quel est le premier mobile, le seul en fait, de l’autocensure ?
La peur, évidemment : la peur pour sa carrière, pour sa promotion, pour ses contrats, pour sa réputation, pour sa tranquillité d’esprit, etc.
Bref, si la liberté de parole recule, c’est parce que nous laissons faire par lâcheté.
Que faire ? C’est à la fois simple et difficile.
Il faut lutter, lutter sans relâche, lutter sans céder un pouce, lutter en démontrant le ridicule, les sophismes, l’ignorance, et, surtout, lutter contre l’autocensure.