L'énigme PKP en 11 points

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L'appui pragmatique de Falardeau à PKP

« Qu'est-ce que tu penses de Péladeau? » Je crois que cette question, on me l'a posée des dizaines et des dizaines de fois dans la dernière année. Pour certains, il est le grand messie souverainiste à la stature de chef d'État tant attendu, qui mènera le Québec vers son indépendance, le poing en l'air. Pour d'autres, il est le démon patronal, le dictateur anti-syndical à la solde du 1%, le Berlusconi québécois.

Il n'est ni le messie, ni le démon.

Je propose ici de regarder l'énigme PKP en quelques points, qui sont les questions qui reviennent le plus souvent lorsqu'on me parle du député de St-Jérôme et de la course à la chefferie du PQ.

1- Le candidat pro-pétrole, favorable au pipeline Énergie-Est

«M.Péladeau a dévoilé dimanche sa plate-forme sur le sujet des hydrocarbures, où il prévoit l'indépendance énergétique face au pétrole d'ici 2050. Le candidat n'exclut pas l'éventualité d'exploiter le pétrole d'Anticosti ou au large des Îles-de-la-Madeleine. Il mise sur une consultation pour déterminer si cette ressource doit ou non servir à la stratégie de sortie du pétrole. M.Péladeau a évoqué la Norvège, où les redevances pétrolières ont permis de constituer un fonds de 880 milliards. M.Péladeau a toutefois affirmé que les questions de protection de l'environnement et de l'acceptabilité sociale doivent être prises en compte lorsqu'il sera temps de décider ou non d'aller de l'avant. Malgré tout, M.Péladeau a insisté sur les bénéfices de l'exploitation pétrolière.« Moi je considère que c'est un atout majeur, majeur pour la souveraineté et on ne peut pas purement et simplement 'discarter' un potentiel énorme pour faire du Québec un pays riche et un pays prospère. » - Le Devoir, 29 mars 2015

Il ne me semble pas qu'il se soit prononcé pour l'oléoduc de TransCanada, il a dit que les Québécois devraient être consultés. Mais de toute façon, il s'agit pour l'instant, d'une juridiction du fédéral. Alors tant que le Québec est coincé à l'intérieur de la fédération canadienne, il n'a pas vraiment à être consulté. Ensuite, vouloir sortir du pétrole, c'est bien, mais ça ne se fait pas en un jour. Dans un Québec indépendant, l'exploitation du pétrole pourrait être envisagée, préférablement dans l'optique d'une nationalisation ou au pire, en négociant des redevances plus généreuses. Donc ces revenus pourraient alors servir à l'État québécois pour financer sa transition énergétique, pour se diriger vers des énergies propres et pour réduire sa dépendance à l'or noir. Si on regarde la plate-forme énergétique de PKP, c'est un peu ce qu'il propose avec l'exemple du Fond souverain norvégien, avec son plan d'électrification des transports, avec son plan d'efficacité énergétique et son plan de sortie du pétrole :

« Pour réaliser notre transition énergétique, il importe aussi de réduire notre consommation de pétrole par tous les moyens possibles. Il faut consommer moins de pétrole et consommer, autant que possible, notre propre énergie lorsque des substitutions sont possibles. Tous conviennent que le pétrole produit dans l'Ouest canadien est parmi les plus polluants qui soient et qu'il serait plus avantageux de recourir à d'autres sources d'approvisionnement qui bénéficieraient davantage aux Québécois. En nous inspirant des meilleures pratiques internationales, nous souhaitons élaborer un plan de sortie du pétrole qui comporterait des cibles de réduction de 40 % dans le domaine du transport d'ici 2030. »

2- Évasion fiscale

Dans sa plateforme économique, Péladeau a cru bon de mentionner un plan de lutte à l'évasion fiscale. Quant à lui, Alain Deneault a soulevé des questions importantes : « La conversion de M. Péladeau ne représente rien de banal et soulève de légitimes questions. Par exemple, Quebecor World a-t-elle déjà créé une entité appelée "Quebecor World Centro America S. A." au Panama, soit un paradis fiscal des plus opaques?» Sur ce point, il faut dire que certains pays obligent la création et l'enregistrement d'entreprises chez eux, lorsqu'il est question de faire des affaires. Quebecor World qui, en 2003, venait de conclure un contrat d'impression pour Reader's Digest Panama, a donc créé au Panama Quebecor World Centro America S. A. Reste la question du Delaware, où sur ce point Québecor s'est défendu de vouloir se soustraire à ses obligations fiscales, mais Alain Deneault, qui a signé le livre Offshore sur les paradis fiscaux, reste sceptique. Il s'agira vraisemblablement d'une histoire à suivre.

3- Un passé de lock-out

Certains pensent qu'à cause de ce passé, il aura de la difficulté à recevoir l'appui des syndicats. C'est une préoccupation légitime. Pourtant, ce qu'il faut comprendre c'est que le plus grand ennemi du syndicalisme, c'est le gouvernement fédéral. Il suffit de regarder les lois C-4, C-377 et C-525, ainsi que la réponse du fédéral face aux conflits de travail chez Air Canada ou au Canadien Pacifique. C'est sans doute ce qui a pu motiver des syndicalistes à appuyer Pierre Karl.

4- Il ne répond pas aux questions et son plan sur l'accession à l'indépendance est flou

Ce n'est pas quelque chose qui m'inquiète et j'expliquerai pourquoi au point n° 11. De toute façon, depuis que Parizeau a quitté le PQ, nous en avons vu des beaux parleurs avec de jolis plans, tous plus concrets sur papier les uns que les autres... Comme par exemple, le référendum d'initiative populaire et les 850 000 signatures qui s'y rattachaient, plan proposé par Bernard Drainville en 2012, qui n'a jamais vraiment été mis à exécution. Le genre de plan que semble apprécier Alexandre Cloutier puisqu'il voudrait trouver cette fois-ci, un million de signatures.

5- Ses médias

Plusieurs personnes se demandent si PKP, qui était à la tête, on le sait, et qui demeure le propriétaire de l'une des plus grandes entreprises médiatiques au Québec, bénéficiera d'un apport positif des médias de Québecor. J'ai tendance à penser un peu le contraire. N'oublions pas qu'au Journal de Montréal et au Journal de Québec, il y a pas mal de chroniqueurs fédéralistes et d'autres qui prennent un malin plaisir à dénigrer le mouvement indépendantiste. Bien sûr, le Journal de Montréal et le Journal de Québec peuvent toujours plaider la pluralité des opinions, mais je ne suis pas convaincu que ça aiderait vraiment Pierre Karl lors d'une élection ou d'une éventuelle campagne référendaire. Sans compter le temps d'antenne que TVA accorde à Jean Lapierre lors des campagnes électorales. Ajoutons à cela Sun News, dont Québecor s'est départi récemment et dont je n'ai jamais pu m'expliquer la création. Ceci dit, ça m'a fait bien rigoler de voir les journalistes de Sun News devoir se défendre de travailler pour un « séparatiste » lorsque PKP a fait le saut au PQ.

6- Son manque d'expérience en politique

On voit souvent que Pierre Karl déclare quelque chose, puis finalement doit tempérer ses propos ou clarifier sa position. Cela lui arrive justement parce qu'il manque d'expérience et qu'il ne maîtrise pas encore la fameuse « langue de bois » du politicien. Dans un sens, ça peut lui nuire parce qu'à cette époque, plus que jamais, les médias peuvent créer une tempête dans un verre d'eau à partir d'une déclaration anodine. D'un autre côté, sa méconnaissance de la langue de bois et l'impression qu'il crée parfois de se mettre les pieds dans les plats, ça pourra sans doute l'aider. Souvenons-nous que Jean Chrétien savait y faire en terme de « pieds dans les plats » et il a été trois fois premier ministre du Canada.

Parenthèse : prenons la déclaration controversée de PKP sur l'immigration. La déclaration est plutôt maladroite et il y a des chances pour qu'on la lui ressorte en temps d'élection pour tenter de le coincer, comme la déclaration de Parizeau, qui est encore utilisée par les fédéralistes comme un épouvantail, mais elle met le doigt sur quelque chose de réel. PKP s'est finalement rétracté, mais c'est dans les précisions de Maka Kotto qu'on retrouve un élément intéressant : « Il y a un système qui fait en sorte que, quand on vient de l'étranger, tous les symboles [qu'on] traverse nous inculquent de façon subliminale, je dirais, une notion d'appartenance au Canada, pas au Québec ».

Deux choses ensuite : l'immigration est toujours un sujet tabou ici, tout le monde marche sur des œufs de peur de se faire traiter de raciste ou de choquer quelqu'un, et à cause de cela on ne peut jamais avoir de vrai débat, peu importe la nature. Ensuite, le mouvement indépendantiste ne doit pas pointer l'immigrant comme l'artisan de son malheur. Au lieu de pointer l'immigrant du doigt en disant « les immigrants votent non », le PQ doit ouvrir un vrai dialogue avec les différentes communautés culturelles et doit les convaincre de la viabilité du projet indépendantiste québécois et de la contribution que chacune de ces communautés peut y apporter.

Personnellement, ce dialogue, ça fait des années que je le tiens. Ça fonctionne quand on prend le temps de discuter, de questionner et d'expliquer. Je suis allé à l'école secondaire dans St-Michel, j'ai donc côtoyé des Québécois et Québécoises de toutes les origines. J'ai des amis qui sont originaires du Mali, d'Algérie, du Maroc, d'Haïti, d'Argentine, de France, de Belgique, du Chili, du Vietnam, etc. Et contrairement à ce qu'on nous fait croire, l'option indépendantiste est relativement vivante chez les enfants de la loi 101, chez les fils et filles d'immigrants. Fin de la parenthèse.

7- Le PQ est-il le bon véhicule?

Là-dessus, je suis plutôt d'accord avec l'analyse de Jacques Parizeau, pour plusieurs raisons. La charte de la laïcité fut une grave erreur stratégique de la part du Parti québécois et il en ressentira encore les contrecoups pendant un moment. Alors que l'humanité entière s'entretue sur des questions religieuses depuis longtemps, le PQ en a fait un enjeu électoral. Sur le PQ et ce qu'il est devenu, j'avais interpellé Jean-François Lisée à l'époque. Je pense toujours la même chose. Et c'était sans compter l'interminable débat sur la laïcité et la raclée électorale de l'an dernier. Le Parti québécois n'est pas un parti très populaire chez les jeunes et chez les immigrants. L'option indépendantiste est en ce moment plus populaire que le parti. C'est certain qu'il devra mettre un sérieux coup de barre de ce côté. Quant aux « purs et durs » de l'indépendance, ils ne croient plus aux promesses en l'air du parti. Comment les blâmer. Personnellement, je suis écoeuré d'entendre les interchangeables chefs du PQ, scander haut et fort qu'ils feront tout en leur pouvoir pour faire accéder le Québec à l'indépendance, une fois par année au Conseil national. Ensuite, 2-3 vidéos YouTube, un powerpoint, une formule creuse genre « référendum d'initiative populaire », « coffre à outils », ou « livre blanc de la souveraineté », et ils font dans leurs culottes rendues aux élections. Donc de ce côté, j'attends.

8- L'économie

Le prestige économique de PKP, ainsi que son ambitieux plan économique, lui permettra sûrement d'aller chercher des votes à la CAQ et lui donnera une chance de convaincre ceux qui croient qu'un Québec souverain ne serait pas viable économiquement, en plus des gens d'affaires qu'il pourrait également convaincre. Dans sa plateforme, il y a deux points que je trouve particulièrement intéressants, et c'est sans compter son plan de développement des régions et sa politique manufacturière. D'abord, la stratégie d'achats locaux, qu'il appelle également le concept de « préférence québécoise ». Ensuite, sa volonté de créer un Institut québécois de recherches appliquées sur l'indépendance. Cet institut, lorsqu'il sera mis sur pieds, « aurait avantage à analyser, de façon prioritaire, les dimensions économiques du projet d'indépendance nationale ».

9- La mainmise du fédéral sur des secteurs vitaux

Ça, je dois dire que je suis content d'enfin entendre quelqu'un soulever ce point. Transport maritime, ferroviaire, aérien, CRTC, etc. Économiquement parlant, l'Institut québécois de recherches appliquées sur l'indépendance devrait démontrer comment ces « compétences fédérales ralentissent ou désavantagent le Québec ». En allant plus loin, je suggérerais aussi que cet institut s'attarde au contrôle idéologique du fédéral sur la pensée et la culture, à travers ce que finance Patrimoine Canada; Téléfilm Canada, le CRTC, le Conseil des Arts, Musées et Parcs Canada, la Radio et la télévision de Radio-Canada, l'ONF, en plus de certains autres domaines comme la recherche universitaire ou le sport amateur.

10- Le glamour

Ce n'est évidemment pas un côté qui me rejoint moi, mais il s'agit quand même d'un élément non négligeable le côté glamour qu'occupe son couple avec Julie Snyder. Sans compter que Julie Snyder est une femme brillante, rassembleuse et dotée d'un grand pouvoir de mobilisation. Je vois son implication politique d'un bon œil. Et si en plus ça peut attirer la sympathie des spectateurs de La Voix ou de Star Académie et les convaincre de voter « Oui », je suis pour.

11- Pierre Karl Péladeau s'est-il vraiment lancé en politique pour faire l'indépendance du Québec?

Il s'agit ici de la question cruciale. D'abord ce qu'il faut dire c'est que jamais un homme d'affaire de son importance ne prend position de cette façon. Jamais l'establishment canadien ne lui pardonnera. Oui au Québec, Québecor est gros, mais si on regarde les plus grandes entreprises dans l'ensemble du Canada, Québecor Media arrive au 94e rang, et Québecor inc au 96e rang. Ses concurrents dans le domaine des médias, c'est-à-dire Power Corporation, Bell et Rogers, arrivent respectivement 3e, 17e et 33e.

En plus, en plaçant son entreprise dans une fiducie sans droit de regard, il se place dans une position très risquée. Non seulement l'establishment canadien va tout faire, tous les coups bas inimaginables compris, pour affaiblir son entreprise et il sera victime de l'acharnement médiatique de la part de ses concurrents, dans un premier temps lors de la course à la chefferie du PQ, et dans un second temps, lors d'une élection. Lorsqu'on regarde l'histoire récente du Québec, en particulier en ce qui a trait à la lutte politique contre l'indépendance du Québec, le gouvernement fédéral et l'establishment canadien ne ménagent pas les moyens pour arriver à leurs fins. Le coup de la Brinks, l'Opération Ham, l'Affaire Samson, les méthodes déloyales lors du référendum de 1995 (voir par exemple le livre de Robin Philpot « le Référendum volé »).

Pourquoi donc prend-il ce risque? Je crois que Pierre Karl sait très bien à quoi il s'expose, et à quoi il expose l'entreprise héritée de son père. Étant consciemment au courant des risques, il se condamne à réussir en quelque sorte. Il prend un risque « calculé », parce que, d'une part il veut réellement que le Québec accède à son indépendance et, selon moi, il veut aussi entrer dans l'histoire. Il veut faire l'histoire. Il veut être celui qui créera le pays. Il veut être ce que René Lévesque et Jacques Parizeau n'ont pas pu être. Et il n'a pas peur. Ce qui, je crois, ne pourra que faire du bien par rapport à la ligne du PQ des dernières années.

Moi qui chiale tout le temps contre les gens qui refusent de prendre position, Pierre Karl le fait, il risque son entreprise et sans peur. Je ne lui cracherai pas dessus. Donc voilà, je choisis de l'appuyer. C'est dit. Par contre, pour ce qui est du PQ, je vais me garder une petite gêne. Je vais attendre de voir des changements. Du concret. De l'audace. Une vision.

Voilà. C'est une décision que j'ai mûrie. Une décision rationnelle et réfléchie. Et pour ceux qui voudraient voir dans cet appui, une incohérence avec ma pensée habituelle, je réponds ceci : je reste de gauche, je suis le même crotté de gauchiste carré rouge qui a pleuré Hugo Chavez, le même qui était dans les rues en 2012, le même qui appuie les grévistes étudiants et le même qui écrit des chroniques sur la mise en place de l'État policier. Mais je suis indépendantiste. D'abord. Je n'y vois donc que de la cohérence. Je n'accepte pas n'importe quelle ânerie sous prétexte qu'elle est de gauche, de même que je ne rejette pas n'importe quelle idée sous prétexte qu'elle est de droite. J'analyse les idées et les évaluent en fonction d'un objectif premier; l'indépendance du Québec. Et j'en reconnais plus que jamais l'urgence. Nous devons sortir du Canada au plus vite. Parce que pendant ce temps, on nous met en place un État policier dramatiquement puissant et présent, on démantèle nos acquis sociaux, on détourne la Caisse de dépôt de son mandat, on pille lentement nos ressources naturelles, avec des redevances faméliques et sans vision à long terme, on privatisera tranquillement nos sociétés d'État comme Hydro-Québec ou la SAQ...

L'indépendance du Québec n'est pas une fin. C'est un début. C'est un premier pas vers la liberté.

« Il est très difficile de démarrer une révolution. Il est encore plus difficile de la poursuivre. Le plus difficile de tout c'est de la gagner. Et c'est seulement là que les vraies difficultés commencent » -Larbi Ben M'hidi dans le film La bataille d'Alger


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