L'Éducation et la Dignité Humaine

Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012

En droit international, la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) est « dotée de la plus haute autorité morale » et proclame comme « la plus haute aspiration de l'homme » la libération « de la terreur et de la MISÈRE ». Elle dispose que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits » et qu'ils « doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Elle ajoute à son article 26 que « toute personne a droit à l'éducation » et que « l'accès aux études supérieures doit être ouvert en pleine égalité à tous en fonction de leur mérite » et non en fonction de la capacité de payer. Dans le même esprit, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose à son article 13 que « Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation (...) L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité ».
En droit interne, la Charte des droits et libertés de la personne précise dans son préambule « que tous les êtres humains sont égaux en valeur et en dignité ». Elle dispose ensuite à son article 40 que « toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, à l'instruction publique gratuite ». Le PRINCIPE est donc que toute personne a droit à l'instruction publique gratuite. L'exception est introduite par les termes « dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi ». L’imposition de frais de scolarité au niveau universitaire est donc une EXCEPTION au droit à l’instruction publique gratuite. Bien que l'exigence de frais de scolarité à l'université comme exception au principe de gratuité puisse possiblement se justifier, une hausse de ces frais, en revanche, contribue à nous éloigner davantage du principe d'une égale accessibilité pour tous vers lequel le Canada devrait tendre conformément au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Par conséquent, il appartient, selon nous, au gouvernement de justifier cette décision de hausser les frais de scolarité en démontrant aux représentants des associations étudiantes et à la population que cette solution est nécessaire et qu'il n'existe aucune autre alternative de financement viable moins attentatoire au principe d'accessibilité.
Bien que solidement ancré dans des instruments juridiques internationaux et dans notre droit interne, le principe de la gratuité scolaire au primaire, au secondaire et au collégial a des fondements fragiles et une origine très récente. En effet, la démocratisation de l'enseignement a été amorcée suite aux recommandations formulées en 1963 dans le rapport Parent. La Commission reconnaissait le « droit de chacun à la meilleure éducation possible » et affirmait :

« Le droit de chacun à l'instruction, idée moderne, réclame que l'on dispense l'enseignement à tous (...) L'éducation n'est plus, comme autrefois, le privilège d'une élite. La gratuité scolaire s'impose pour généraliser l'enseignement (...) mais il faut convaincre chacun que les dépenses d'éducation sont un investissement économique et social ».

D'un privilège élitiste et aristocratique réservé aux mieux nantis et à la classe opulente (une minorité), l'éducation postsecondaire s'est démocratisée : au collégial par la gratuité scolaire et à l'université par des frais de scolarité universitaires relativement bas et un programme d'aide financière. Ce changement constitue un progrès et la reconnaissance d'un droit à l'éducation représente un acquis social aussi important que la reconnaissance d'un droit universel à la santé. Or dans son rapport de 2002 (rapport Romanow), la Commission sur l'avenir des soins de santé au Canada affirmait que « ce serait pervertir (...) les valeurs canadiennes que d’accepter un système où l’argent plutôt que le besoin détermine qui a accès aux soins de santé ». Dans un même ordre d'idées, nous croyons que ce serait également pervertir les valeurs canadiennes de solidarité et de fraternité d'accepter un système où l'argent plutôt que le besoin conditionne l'accès aux études universitaires.
Suite à la manifestation étudiante du 22 mars, les étudiants étaient en droit de s'attendre à ce que le gouvernement s'assoie avec les représentants des associations étudiantes pour entendre leurs griefs et leurs revendications en vue de rechercher un compromis acceptable, une solution mitoyenne entre leurs deux positions antagonistes. Or le parti libéral ne semble pas ouvert à la discussion. On se serait pourtant attendu du parti LIBÉRAL qu'il honore les principes d'une société libre et démocratique en amorçant une véritable discussion avec les représentants étudiants au sujet de la hausse des frais de scolarité. Comme le rappelle Bertrand Russell, le principe d'une démocratie libérale veut que les questions cowntroversées et d'intérêts publics soient débattues et décidées sur la base d'arguments rationnels suite à une discussion où tous les intéressés ont eu l'opportunité de faire entendre leur voix. Il ajoute :
« The fundamental difference between the liberal and the illiberal outlook is that the former regards all questions as open to discussion and all opinions as open to a greater or less measure of doubt, while the latter holds in advance that certain opinions are absolutely unquestionable, and that no argument against them must be allowed to be heard ».


La décision arrêtée, finale et sans appel du gouvernement de hausser les frais de scolarité sans avoir préalablement entamé un dialogue avec les mouvements étudiants démontre, selon nous, une fermeture d'esprit qui nous apparaît aller à l'encontre des principes libéraux constitutifs de toute société libérale et qui forment, en principe, la base idéologique du parti libéral. En effet, dans le document « Les valeurs libérales et le Québec moderne », préfacé par Jean Charest, Claude Ryan affirmait qu'être libéral c'est d'être accueillant aux idées différentes des siennes et ouvert au dialogue (...)
***
Eric Folot, Étudiant au doctorat en droit à l'Université McGill


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11 commentaires

  • Éric Folot Répondre

    25 juin 2012

    Dans un document intitulé « UNESCO its purpose and its philosophy », Julian Huxley, le premier directeur de l'UNESCO, affirme :
    « “the wide diffusion of culture, and the education of humanity for justice and liberty and peace, are indispensable to the dignity of man and constitute a sacred duty which all the nations must fulfil in a spirit
    of mutual assistance and concern” (...) the States which are parties to the Constitution assert their belief “in full and equal opportunities of education for all, in the unrestricted pursuit of objective truth, and in the free exchange of ideas and knowledge” ».
    Source : Julian Huxley, UNESCO its purpose and its philosophy, Preparatory Commission of the United Nations educational, scientific and cultural organisation, UNESCO, 1946 à la p.5
    L'article 2b) de l'Acte constitutif de l'UNESCO dispose :
    « A ces fins, l’Organisation :
    imprime une impulsion vigoureuse à l’éducation populaire et à la diffusion de la culture : en instituant la collaboration des nations afin de réaliser graduellement l’idéal d’une chance égale d’éducation pour tous, sans distinction de race, de sexe ni d’aucune condition économique ou sociale »
    Source : Convention créant une Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture (1945), en ligne : .

  • Éric Folot Répondre

    16 juin 2012

    À lire : Peter Leuprecht, « Une ambition pour le Québec: une éducation accessible pour tous » Le Devoir (16 juin 2012), en ligne : http://www.ledevoir.com/societe/education/352606/une-ambition-pour-le-quebec-une-education-accessible-pour-tous?utm_source=infolettre-2012-06-16&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

  • Éric Folot Répondre

    18 mai 2012

    Collectif d'auteurs, « Conflit étudiant : appel à la Commission des droits » Le Devoir (18 mai 2012), en ligne : http://www.ledevoir.com/societe/justice/350368/appel-a-la-commission-des-droits?utm_source=infolettre-2012-05-18&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne
    Christian Nadeau, « Raison d'État contre états généraux » Le Devoir (18 mai 2012), en ligne : http://www.ledevoir.com/societe/justice/350370/raison-d-etat-contre-etats-generaux?utm_source=infolettre-2012-05-18&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

  • Éric Folot Répondre

    16 mai 2012

    J'invite aussi le lecteur à lire le communiqué du Barreau du Québec du 16 mai 2012.
    Source : Barreau du Québec, Communiqué, « Conflit entre l'État et les étudiants : Le Barreau du Québec souhaite que l'on donne une nouvelle chance aux pourparlers » (16 mai 2012), en ligne : http://www.barreau.qc.ca/fr/actualites-medias/communiques/2012/05/16-etudiants

  • Éric Folot Répondre

    25 avril 2012

    J'invite les lecteurs à lire également :
    1)Jacques-Yvan Morin, « Libre opinion - Une hausse qui freinera le développement du Québec » Le Devoir 22 mars 2012, à l'adresse : http://www.ledevoir.com/societe/education/345591/libre-opinion-une-hausse-qui-freinera-le-developpement-du-quebec
    2)Jacques-Yvan Morin, « Une Charte des droits de l'homme pour le Québec » (1963) 9 McGill. L. J. 273 aux pp.293-294.

  • Éric Folot Répondre

    11 avril 2012

    J'invite le lecteur à lire l'article suivant du journal Le Devoir : « La lutte des étudiants est juste, dit Guy Rocher » (11 avril 2012) à l'adresse suivante : http://www.ledevoir.com/societe/education/347145/la-lutte-des-etudiants-est-juste-dit-guy-rocher?utm_source=infolettre-2012-04-11&utm_medium=email&utm_campaign=infolettre-quotidienne

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    2 avril 2012

    Comment ne pas piger l'astuce du "normalisateur"?
    Imposer aux étudiants (classe moyenne ratatinée) les coûts des excès des dominants: administration flatulente des universités et pillage des ressources naturelles: avons-nous oublié la méthode des minières canadiennes au Mexique? Pollution des cours d'eau aux métaux lourds et assassinat des populations résistantes. Si les caricaturistes ont déjà vu la Louve des SS dans L. Beaudouin, qu'attendent-ils pour dépeindre Lyne Beauchamp en dominatrix châtiant les étudiants devant les Libéraux s'empiffrant de Plan Naaard?

  • Archives de Vigile Répondre

    2 avril 2012

    Les étudiants sont contre la hausse. Pourquoi? Ils ne veulent pas payer.
    Les citoyens sont contre la hausse. Pourquoi? Ils ne veulent pas payer.
    Je n'embarque pas dans le pour et le contre. C'est du vieux manichéisme...
    Je pose la question suivante: si personne ne veut payer, qui va payer?
    C'est le seul problème à poser. Donnez-mois la réponse, à partir du budget actuel de 70 milliards.
    NT

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    1 avril 2012

    Pour une rare fois qu’un jeune intellectuel de McGill s’exprime ici, on va pas le chipoter sur des termes interchangeables en français. Jeunes, nous répondions au département d’instruction publique, au Québec. C’était l’époque où l’instruction était la connaissance et l’éducation portait sur les bonnes manières. On s’étonnait alors de lire en anglais le mot education pour définir l’ensemble du monde de l’enseignement. En passant, on pourrait vouloir minimiser le terme « enseignement », action du professeur, au profit du terme « apprentissage » définissant plus proprement l’action d’apprendre par l’étudiant, beaucoup plus réceptif lorsqu’il choisit lui-même le moment de cueillir son information, par les nouvelles technologies.
    Depuis le rapport Parent des années ’60, le Québec a son Ministère de l’éducation, voire, aujourd’hui, Min. Éducation Loisir Sport (MELS).
    Pour fendre les cheveux en quatre, voyons wiki :
    Instruction et éducation sont souvent confondues. Les différences, subtiles, restent la base de controverses depuis longtemps, le littré en fait foi dans son choix d'exemple pour sa définition d'éducation
    'Mais il faut remarquer que l'instruction s'enseigne, et que l'éducation s'apprend par un autre mode d'action du maître, quel qu'il soit'[réf. nécessaire].

  • Henri Marineau Répondre

    1 avril 2012

    @ NT
    Dans votre commentaire "succinct" à Éric Folot, vous dites:
    "Vous semblez confondre "droit à l'éducation" avec "droit aux études"
    Je dois vous avouer bien humblement que votre commentaire m'a pour le moins laissé sur mon appétit!...
    À ma connaissance, les revendications des étudiants concernant la hausse des droits de scolarité s'adressent au ministre de "l'éducation" du Québec!
    Par contre, si vous désirez entrer dans les méandres sémantiques de l'éducation et de l'instruction, je vous annonce que, par expérience, dans nos institutions d'enseignement, il se fait encore autant d'éducation que d'instruction!
    De toute façon, là n'est pas la question...Il s'agit ici de discuter du droit de tous les Québécois à des études supérieures.
    À ce sujet, monsieur, êtes-vous pour ou contre?

  • Archives de Vigile Répondre

    1 avril 2012

    Vous semblez confondre «droit à l'éducation» et «droit aux études».
    NT