Lettre ouverte aux députés sur le droit à la vie

Vous avez une lourde responsabilité morale

Tribune libre

Chers députés,
Vous serez éventuellement appelés à voter sur l’adoption du projet de loi 52 (Loi concernant les soins de fin de vie). Afin que vous puissiez faire un choix libre et éclairé en conscience, il m’apparaît important d’insister sur les conséquences juridiques prévisibles découlant de l’adoption du projet de loi.
La présente ne vise donc pas à critiquer le projet de loi ou à interroger ses fondements éthiques ou juridiques, mais à vous rappeler l’éminente responsabilité morale et politique qui vous incombe en tant que député et que vous serez appelé à endosser. La responsabilité en éthique signifie, comme le soulignait Max Weber, que toute personne est responsable des conséquences prévisibles de ses actes.
Le projet de loi confère un droit créance à l’euthanasie médicale volontaire en fin de vie (ou « aide médicale à mourir ») exclusivement aux personnes majeures et aptes à consentir aux soins excluant, de ce fait, les mineurs et majeurs inaptes. Cette balise a été introduite dans le projet de loi par prudence et afin de protéger les personnes vulnérables. Cette intention du législateur est louable et doit être salué. Néanmoins, dans notre démocratie constitutionnelle le législateur n’a pas tous les pouvoirs et ne peut légiférer en faisant fi des chartes canadienne et québécoise des droits et libertés qui « imposent des limites au législateur ». En conséquence, toute législation doit être conforme aux droits et libertés garantis par les Chartes.
Or dans son mémoire de septembre 2013, la Commission des droits de la personne conclut que l’inaccessibilité à l’euthanasie médicale en fin de vie pour les mineurs et les majeurs inaptes risque de porter atteinte à leurs droits et libertés garantis par la Charte québécoise d’une manière qui ne peut être sauvegardée en vertu de son article 9.1. Si l’analyse juridique de la Commission est juste (ce qui est prévisible, mais incertain), le projet de loi, qui doit être conforme aux Chartes, ne peut légaliser l’euthanasie médicale volontaire sans légaliser du même souffle, au nom des droits et libertés garantis par la Charte, l’euthanasie médicale non volontaire des personnes inaptes et vulnérables. Atterré par ce constat, l’ex-ministre de la Santé du parti libéral, Yves Bolduc, s’opposait en conscience le 4 octobre 2013 lors des consultations particulières sur le projet de loi et recommandait de ne pas passer cette loi.
Si vous votez en faveur du projet de loi légalisant l'euthanasie médicale volontaire alors vous devez être conscients qu'il est prévisible que certains paragraphes de l’article du projet de loi, qui limite le droit à l'aide médicale à mourir aux personnes majeures, aptes et assurées, soient déclarés inconstitutionnels par les tribunaux entraînant de ce fait une ouverture non désirée à l'euthanasie médicale non volontaire des personnes inaptes et des mineurs. Par conséquent, si vous votez en faveur du projet de loi et que cet article est déclaré inconstitutionnel alors vous serez responsables de la légalisation de l'euthanasie volontaire et de l'euthanasie non volontaire et les citoyens du Québec pourront légitimement conclure que vous appuyez et cautionnez moralement la légalisation de l'euthanasie volontaire et de l'euthanasie non volontaire.
Si l’article du projet de loi n’est pas déclaré inconstitutionnel par les tribunaux, il y a de fortes chances que la légalisation de l’euthanasie non volontaire des personnes inaptes procède par un futur amendement législatif. Il existe un lien entre l’état des finances publiques du Québec et la légalisation de l’euthanasie pour certaines catégories de personnes plus vulnérables (inaptes). En effet, selon Jean-Louis Baudouin, ancien juge de la Cour d’appel du Québec, « l’explosion des coûts de la santé et la pression économique qui en résulte risquent de favoriser des programmes d’euthanasie pour certaines catégories de personnes plus vulnérables, dont le maintien en vie obère les finances de l’État ». Par conséquent, on ne saurait faire l’économie de certaines données factuelles relatives au vieillissement de la population du Québec et à l’augmentation des dépenses de santé qui en résulte. Selon le rapport Ménard de 2005 sur la pérennité du système de santé, le vieillissement de la population du Québec est « le troisième plus rapide des pays industrialisés après le Japon et l’Italie ». Le rapport ajoute :
« Les groupes d’âge appelés à croître le plus rapidement sont ceux pour lesquels l’utilisation des services sociaux et de santé est la plus élevée. Les ressources par habitant consacrées aux personnes âgées de 65 ans ou plus sont d’environ 3,7 fois plus élevées que pour la moyenne des groupes d’âge. Pour les personnes de 85 ans ou plus, c’est 7,7 fois plus par habitant que pour la moyenne de la population. La concentration des dépenses de santé et de services sociaux à la fin de la vie est particulièrement évidente pour les services offerts principalement aux personnes âgées en perte d’autonomie (…) dont les coûts augmentent de façon fulgurante à partir de 70 ans ».
Certains commentateurs affirment qu’il existe un large consensus en faveur de l’euthanasie volontaire en fin de vie. Au contraire, la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Rodriguez (1993) et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’affaire Carter (2013) sont d’avis qu’un tel consensus n’existe pas. Mais à supposer qu’il existe un véritable et authentique consensus en faveur de l’euthanasie médicale volontaire, il est raisonnable de soutenir sans risque de se tromper qu’un tel consensus n’existe pas pour l’euthanasie médicale non volontaire. De plus, le célèbre juriste et philosophe libéral Ronald Dworkin nous rappelle l’importance de ne pas adhérer aveuglément à un consensus moral apparent. Dans notre droit, tous les êtres humains, même ceux qui n’ont plus conscience d’eux-mêmes, ont un droit intrinsèque à la vie qui découle de la dignité humaine. Or cette dignité humaine est, selon l’article 1 du projet de loi, l’un des deux principes éthiques et juridiques sur lequel repose la légitimité éthique et juridique de l’aide médicale à mourir. La philosophe libérale Martha Nussbaum rappelle l’importance de protéger le caractère sacré de la vie de tous les êtres humains : « The Nazis, we know, were great naturalists and animal lovers. What they appear to have lacked was a sense of the sanctity of human life ».
En somme, je ne saurais trop insister sur l’éminente responsabilité morale que vous serez appelé à assumer pour les conséquences juridiques et sociales prévisibles découlant de l’adoption du projet de loi 52. J’ai confiance en votre jugement et j’en appelle à votre conscience morale. J’exhorte également tous les partis politiques à autoriser leurs députés à voter librement selon leur conscience sans tenir compte de la ligne de parti.
Éric Folot
Avocat et Bioéthicien


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8 commentaires

  • Éric Folot Répondre

    24 novembre 2013

    M. Robert Evans, professeur d’économie à l'Université de la
    Colombie-Britannique, reconnaît que l'euthanasie non volontaire serait un moyen pour améliorer les finances du pays, mais qu'il ne serait PAS LE MEILLEUR MOYEN :
    "I would not suggest that the best way to improve the fiscal
    situation of Canada is to introduce a non-voluntary program of euthanasia for people over the age of 70".
    Source : Sénat du Canada, Comité sénatorial spécial sur le vieillissement, INCIDENCES DU VIEILLISSEMENT DE LA
    SOCIÉTÉ CANADIENNE, Témoignage de M. Robert Evans, 10 décembre 2007, à la p.2:34, en ligne : http://www.google.ca/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&cad=rja&ved=0CCsQFjAA&url=http%3A%2F%2Fwww.parl.gc.ca%2FContent%2FSEN%2FCommittee%2F392%2Fagei%2F02eva-e.htm%3FLanguage%3DE%26Parl%3D39%26Ses%3D2%26comm_id%3D600&ei=UWKSUvLiKePr2wXApICoCA&usg=AFQjCNFA8Tooz5nJa66egEVToYUKyqVe-g&sig2=GxmYzRPD9bWZDtLTGuosiA&bvm=bv.56988011,d.b2I
    Voir aussi :
    Le « Development, Concepts and Doctrine Center » (DCDC) du Ministère de la défense du Royaume-Uni souligne :
    « Declining youth populations in Western societies could become increasingly dissatisfied with their economically burdensome ‘baby-boomer’ elders, among whom much of societies’ wealth would be concentrated. Resentful at a generation whose values appear to be out of step with tightening resource constraints, the young might seek a return to an order provided by more conservative values and structures. This could lead to a civic renaissance, with strict penalties for those failing to fulfil their social obligations. IT MIGHT ALSO OPEN THE WAY TO POLICIES WHICH PERMIT EUTHANASIA AS A MEANS TO REDUCE THE BURDEN OF CARE FOR THE ELDERLY ».
    Source : United Kingdom, Ministry of Defence, The DCDC Global Strategic Trends Programme : 2007-2036, 3d ed., 2007 à la p.79, en ligne : http://www.cuttingthroughthematrix.com/articles/strat_trends_23jan07.pdf
    Voir aussi l’article suivant : Annabel Claix, « Un ministre japonais prie ses concitoyens de mourir, et vite » (22 janvier 2013), en ligne : http://www.7sur7.be/7s7/fr/1505/Monde/article/detail/1566553/2013/01/22/Un-ministre-japonais-prie-ses-concitoyens-de-mourir-et-vite.dhtml
    Déjà en 1958, Glanville Williams, qui fut vice-président de la « Voluntary Euthanasia Society » et considéré comme "Britain's foremost scholar of criminal law", affirmait :
    « Kamisar expresses distress at a concluding remark in my book in which I advert to the possibility of old people
    becoming an overwhelming burden on mankind. I share his feeling that there are profoundly disturbing possibilities here ; and if I had been merely a propagandist, intent upon securing agreement for a specific measure of law reform, I
    should have done wisely to have omitted all reference to this subject. Since, however, I am merely an academic writer, trying to bring such intelligence as I have to bear on moral and social issues, I deemed the topic too important and threatening to leave without a word".
    Source : Glanville Williams, « “Mercy-Killing” Legislation – A Rejoinder », (1958) 43(1) Minn. L. Rev. 1 à la p.11.
    Eric Folot

  • Archives de Vigile Répondre

    20 novembre 2013

    Le projet de loi 52 accorde aux personnes APTES et VOLONTAIRES le droit de recourir à une aide médicale à mourir, sous certaines conditions (phase terminale, douleurs incontrôlables, etc..)
    Vous soutenez que si un certain article de la loi est déclaré inconstitutionnel, la loi s'appliquera alors automatiquement aux personnes NON aptes et NON volontaires. On pourra donc facilement euthanasier les pauvres et malades afin de balancer le budget.
    C'est fort en Ketchup! Est-ce que j'ai mal compris votre argumentation?
    Par la suite, vous en rajoutez: "Si l’article du projet de loi n’est pas déclaré inconstitutionnel par les tribunaux, il y a de fortes chances que la légalisation de l’euthanasie non volontaire des personnes inaptes procède par un futur amendement législatif."
    Avec ce projet de loi, tous les Dr. Jekyll qui travaillent dans nos hôpitaux pourront donc donner libre cours à leurs bas instincts. S'ils ne veulent pas collaborer, le ministre de finance s'en chargera en personne.
    Franchement, M. Folot, nous prenez-vous pour des imbéciles?

  • Serge Jean Répondre

    20 novembre 2013

    À première vue, tout ça semble correct bien qu'effectivement comme vous l'écrivez monsieur FOLOT un dérapage vicieux semble s'y incorporer par la force des choses, en raison du fait qu'il est toujours impossible d'établir un projet de loi, qui soit parfaitement étanche à toute situation d'injustice ou de détournement à des fins d'intérêts autres que ceux des droits réputés exclusivement légitimes à chaque individu.
    Par ailleurs la vie est ce qui est de plus important pour un individu, et je ne crois pas non, que quelques individus aient le droit de décider du droit de vie ou de mort pour leurs semblables. S'ils le font, ils le font à leurs risques et périls.
    Traditionnellement il s'est toujours pratiqué naturellement une complicité tacite mais volontaire, entre les médecins le patient et la famille à savoir, que quand l'évidence saute aux yeux de tous concernés y compris le patient, eh bien il ne sert à rien de prolonger inutilement la souffrance d'un être humain sur sont départ manifeste.
    Ce qu'il faut absolument enlever de dedans les jambes ce sont les opportunistes affairistes de la mort, car eux ça leur prend des lois faillibles pour installer leur hégémonie cupide et dégueulasse. Ils s'infiltrent partout où il y a de l'économique à brasser, et ils y parviennent toujours avec justement les lois qu'ils savent parfaitement contrôler et détourner.
    Donc je suis contre ce projet de loi, parce qu'il est trop dangereux.
    Serge Jean

  • Archives de Vigile Répondre

    19 novembre 2013

    Pour ce qui est de la loi en Oregon aux USA, j'ai entendu que seulement 2% des personnes l'utilisait, et que cela était plutôt une assurance pour eux, de l'avoir en cas de besoin.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 novembre 2013

    'Après avoir assassinés plus de 2 millions d’enfants Québecois en 50 ans par la Loi Trudeau avorteuse , ne tombons pas dans le piège de cette fausse péquiste qui veut faciliter l’élimination des aînés et des malades du Québec'
    fausse...fosse ?
    Comme par hasard; il ne s'agit pas d'éliminer les vieux, et les malades, il s'agit de donner aux gens qui ont des maladies incurables ou insoutenables, pour lesquels vivre n'a plus de sens, le droit de mourir dans des conditions décentes.
    Avant Trudeau, les Québécoises avortaient dans les cuisines en utilisant des méthodes abjectes, au détriment de leur santé et il a été nécessaire que des gens aillent en prison, Morgentaler par exemple, pour que ces conditions changent.
    Pas la peine de parler de génocide national et d'adoption volontaire, les femmes savent ce qui se cache ET CEUX qui se cachent derrière ca.
    Tout ceux, dans cette mouvance, qui se plaignent des cours du Canada, vont probablement se réjouir si cette loi québécoise est invalidée !!!!
    On a déjà assez des conservateurs a Ottawa.

  • Archives de Vigile Répondre

    19 novembre 2013

    J'avoue ne pas connaître le dossier plus que ça, mais comme citoyen qui vient de vous lire et de lire les deux commentaires déjà affichés, je me dis : avons-nous absolument d'une loi ? Sinon il faut s'abstenir d'en écrire encore une nouvelle. L'État se donne trop facilement des droits d'intervenir là où sa présence est superflue.

  • Michel Guay Répondre

    19 novembre 2013

    Déjà , depuis toujours les patients peuvent signer une déclaration pour refuser les soins donc ce projet de loi pro-mort est totalement inutile et ne sert qu'à faire la promotion de l'irrespect de la vie et du suicide assisté. Après avoir assassinés plus de 2 millions d'enfants Québecois en 50 ans par la Loi Trudeau avorteuse , ne tombons pas dans le piège de cette fausse péquiste qui veut facilitéer l'élimination des aînés et des malades du Québec

  • Archives de Vigile Répondre

    19 novembre 2013

    En 2011, l'euthanasie active n'est légale que dans trois pays, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. Le suicide assisté est légal en Suisse ainsi que dans les États américains de l'Oregon et de Washington.
    Pratiquement, les médecins font la meme chose en augmentant les doses de morphine, ce qui mène à l'arrêt cardiaque. Hypocrisie.
    Cependant, nombre de pays interdisant l'euthanasie active, dont la France, ont légalisé l'arrêt des traitements à la demande du patient, interdit l'acharnement thérapeutique et institué des initiatives d'accompagnement des patients en fin de vie.
    Au moins s'assurer que le patient ne se retrouve pas, contre sa volonté, dans les griffes d'un médecin qui continue les perfusions par exemple, et laisser a la famille la possibilitée de décider, en cas d'incapacité.
    Comme par hasard les plus vocaux a ce chapitre, et les plus influents, sont les groupes de pression religieux.
    Nous sommes un état laique n'est-ce pas ?