DANS LES TERRES DU FUTUR PARC DU MONT-ORFORD

L'avenir du parc est entre les mains de trois grands propriétaires

Mont Orford



La Presse samedi 18 mars 2006
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Doubler la superficie du parc du Mont-Orford est loin d'être impossible. Il y a de grandes propriétés boisées et parsemées de lacs au nord du parc. Elles totalisent bien au-delà des 5800 hectares nécessaires. Certains propriétaires sont même prêts à vendre. Et une famille bien connue, les Bombardier, détient une des clés de l'agrandissement annoncé par Québec. Mais alors que le premier ministre Jean Charest affirme que des négociations sont en cours, aucun des grands propriétaires joints par La Presse ne dit avoir été sondé par le gouvernement.
Le sentier est glacé en cette saison, mais la randonnée en vaut la peine. Perchés en haut d'une colline, les marcheurs aperçoivent à 15 km au sud le point de mire de l'actualité depuis 10 jours: le mont Orford. Mis à part les pistes de ski dans la montagne, aucun signe de la présence humaine.
En bas, le lac La Rouche, jalousement préservé par ses propriétaires, la famille Bombardier. Tout autour, des collines boisées, propriété d'une compagnie forestière américaine.
Nous sommes au coeur d'un domaine privé que se partagent trois grands propriétaires: la compagnie forestière Greif Containers, Placements Bombardier, et Gilles Fontaine et ses associés. Ensemble, ils détiennent près de 7000 hectares, plus que la superficie actuelle du parc national du Mont-Orford.
Sur 30 kilomètres, le long de la rivière au Saumon et de lacs encaissés, un sentier réservé aux membres de l'organisme Les Sentiers de l'Estrie traverse la région.
Le territoire se prêterait bien à une vocation de conservation. " Oui, on pourrait transformer les environs en parc, dit Jean-Marie Croteau, directeur des Sentiers de l'Estrie. Toute la vallée de la rivière au Saumon est semi-protégée. Elle est immense parce qu'elle n'est pas segmentée par des routes. Il n'y a pas d'habitation. C'est propice à une bonne faune. "
" Mais les Bombardier et Greif ont là en bois debout une valeur commerciale qui vaut des milliers de dollars ", dit-il cependant.
La Société de conservation du corridor naturel de la rivière au Saumon a été créée en 2003 pour favoriser la conservation privée dans le secteur. " La rivière au Saumon traverse le territoire dans l'axe nord-sud, en grande partie dans le milieu forestier, ce qui lui a permis de conserver un aspect sauvage. Elle est bordée de chaque côté par des boisés de feuillus offrant ainsi un dépaysement complet ", affirme l'organisme dans son site Internet.
L'histoire de ce territoire est intimement lié à celle de la famille Bombardier. " Dans les années 40, le père Bombardier s'était gardé les rives de la rivière parce qu'il voulait faire un barrage, raconte Gilles Fontaine, un avocat de la région qui connaît les Bombardier. Il avait vendu les terres en arrière à Greif. Aujourd'hui, c'est un beau site écologique. "
D'après un document de 1999 du ministère des Ressources naturelles, les Placements Bombardier possèdent 1867 hectares de forêt en Estrie. Leur voisin, Greif, en possède 5235. Selon les registres immobiliers de la municipalité de Racine, Placements Bombardier détient des morceaux de choix, par exemple le lac La Rouche et les rives de la rivière au Saumon. Racine est le village voisin de Valcourt, où Joseph-Armand Bombardier a inventé la motoneige.
Un lien manquant
Mais rattacher ces territoires au parc ne serait pas simple. En entrevue à La Presse, Dominique Bédard, la porte-parole du ministre du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP), Claude Béchard, a indiqué qu'il devrait y avoir un lien entre le parc actuel et son agrandissement. " Un utilisateur du parc va pouvoir circuler à l'intérieur du parc sans en sortir ", a-t-elle dit.
Cependant, aucune des propriétés des Bombardier ou de Greif ne jouxte le parc. Entre les deux, il y a entre autres le Domaine des Trois Lacs, un projet immobilier lancé par M. Fontaine et ses associés. " Moi, mes terres ne sont pas à vendre, dit M. Fontaine. Je les exploite. On ne peut pas faire un parc là-dedans. Tous les terrains en bordure des lacs sont déjà vendus. "
Autre détail important: une bonne partie des terres appartenant aux Bombardier et à la compagnie Greif se situe à l'extérieur de la " zone d'agrandissement " que le gouvernement a tracée sur la carte publiée la semaine dernière. Mais à ce sujet, Mme Bédard a déclaré: " La zone publiée sur la carte est une approximation. Ça peut déborder de ça, c'est certain. "
Un mystère cependant: même si Québec affirme négocier actuellement avec des propriétaires, aucun de ceux joints par La Presse au cours des derniers jours ne dit avoir été pressenti par le gouvernement. " Je ne suis pas du tout en négociations ", explique par exemple M. Fontaine.
Joint à son bureau du Mississippi, le vice-président à l'exploitation forestière de Greif Containers, Matthew Bonham, a dit: " Personne ne nous a appelés. Je ne sais rien. Nous n'avons pas été contactés par le gouvernement. Nous possédons 13 000 acres (5200 ha) dans le coin d'Orford. "
La Presse a aussi tenté de joindre André Bombardier, vice-président du conseil d'administration de Bombardier inc. et porte-parole désigné de Placements Bombardier, une société qui gère les affaires de la famille Bombardier. Mais son bureau a indiqué qu'il était à l'extérieur du pays jusqu'à la semaine prochaine.
Claude Laflamme possède 340 hectares de forêt juste au nord-ouest du parc. Il se dit " intéressé " à vendre. Toutefois, précise-t-il, le gouvernement n'a pas pris contact avec lui.
" J'ai acheté ça il y a cinq ou six ans parce que je voulais le protéger, dit-il. Et aussi c'était un bon placement. " Il croit que le gouvernement pourrait réaliser sa promesse. " Les superficies sont là, dit-il. Les prix ne seront pas astronomiques. "
" Je suis contre les condos à Orford, mais je suis très en accord avec l'agrandissement du parc, dit-il. Je trouve qu'on pourrait avoir un compromis. Il y a une occasion à saisir. Si on refuse, je ne suis pas sûr qu'on sera gagnant. " Mais il ne tient pas nécessairement à s'associer à une initiative aussi décriée. " La contestation est tellement forte que tout ça va peut-être tomber à l'eau ", dit-il.
Parmi ceux qui contestent, justement, il y a les voisins de M. Laflamme, la famille Dépôt. Militants écologistes bien connus dans la région, Jean-Guy Dépôt et son fils Pierre dénoncent sur toutes les tribunes le projet de privatisation du centre de ski. Leur terrain de six hectares leur procure du bois de chauffage et leur permet d'exploiter une petite cabane à sucre.
Pierre Dépôt croit que le projet du gouvernement ne se réalisera pas. " Le lien de confiance est brisé et les gens ne veulent pas vendre ", estime-t-il.
Jacques Darche possède depuis 25 ans un terrain de 148 hectares qui borde le parc au nord-est. Il est prêt à vendre... s'il obtient son prix, bien sûr. " C'est l'offre et la demande qui vont décider, dit-il. Mon terrain fait le trait d'union entre le parc et le marais du lac Brompton, qui est déjà zoné conservation. " Cependant, il dit ne pas avoir de nouvelles de Québec.
Encore cette semaine, le premier ministre Jean Charest affirmait à Radio-Canada: " Notre objectif est de doubler la superficie du parc. On est en négociations pour y arriver avec des propriétaires. " Mais qui sont-ils?
Charles.cote@lapresse.ca


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