Une fête nationale en anglais dans Rosemont

L’autre Saint-Jean !

L’autre Saint-Jean : L’autre nation

"L'autre St-Jean"

Qui a dit qu’à la Saint-Jean il fallait absolument entonner en cœur le Blues de la Métropole ou Gens du Pays, ou encore nécessairement endurer un duo soporifique entre deux vedettes des variétés venues ploguer leur dernier hit en criant « Bonne Fête Québec! »… ?
Qui a dit que les shows de la Saint-Jean c’est rendu platte ?
Hein… Qui a dit ça… ???
Peu importe, car cette année, le soir du 23 juin, dans l’arrondissement Rosemont, au Parc Pélican, on nous propose un spectacle bien en phase avec la culture musicale alternative Québécoise telle qu’elle se présente désormais.
En effet, C4 production vous convie à une grande fête haute en couleur mettant en vedette Lake of Stew, Marie-Pierre Arthur, Vincent Vallière, Bloodshot Bill, Les Dales Hawechuck, et Malajube… Tout ça animé par McGilles et DJ Nikita…
Eh oui, conscients que la fête de la Saint-Jean est la fête de tous ceux qui prennent part à la nation et à la culture Québécoise, les organisateurs ont décidé de faire une place à des artistes anglophones qui participent activement à la scène locale, tels que Bloodshot Bill et Lake of Stew, artistes Montréalais qui se considèrent comme de fiers Québécois. Une première qui, on l’espère, fera des petits.
Hein… Qui a dit que c’était platte, la St-Jean?
La soirée commencera à 18h00 pour se terminer vers minuit.
Cette fête ne s’adresse pas seulement aux amateurs de sensations fortes avides de nouvelles ondes musicales… On pourra aussi se balader et s’amuser en famille dans le parc toute la journée car de nombreuses activités seront proposées jusqu’à 17h00 par Jeunesse Envolée et L’Hôte Maison.
Voilà certainement de quoi vous dérider et vous redonner envie de sortir de chez vous ce jour-là! Bonne Saint-Jean!
Pour plus d’information : [www.lautrestjean.org/->www.lautrestjean.org/]
Lire aussi : La chronique de Simon Jodoin : L’Autre Saint-Jean : l’autre nation
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L’autre Saint-Jean : L’autre nation
Simon Jodoin
11 juin 2009
Le débat sur la fête nationale revient annuellement au sein de la scène locale alternative du Québec. En effet, nous sommes nombreux à trouver pour le moins bizarre que les spectacles à grands déploiements censés célébrer notre culture nationale soient si peu au goût du jour pour la vaste majorité des jeunes mélomanes avides de son nouveau et consommateurs de culture actuelle.
On nous propose le plus souvent une sorte de grand spectacle de variété, bien en phase avec la radio fm somnifère où on entonne de vielles rengaines d’antan, un peu comme on chante des cantiques usés pendant les fêtes de Noël. Il arrive bien qu’on tente d’épicer le tout avec un peu de Xavier Caféïne par-ci, ou un peu de Karkwa par-là, mais la sauce est tellement fade que ces grains de sels ne parviennent jamais à rehausser la saveur… Le public alternatif reste ainsi toujours sur sa faim devant un menu où on lui propose de chanter, encore, un Québec et une nation, qui ne lui ressemble plus.
Ceux qui recherchent un peu de différence, se rabattent donc sur les fêtes de quartier où les artistes alternatifs se produisent le plus souvent. Or justement, dans Rosemont, cette année, l’équipe de C4 production mise un grand coup en proposant une sorte de Off Saint-Jean… Ils ont concocté un spectacle au titre sans équivoque; L’Autre Sain-Jean, concept imaginé par Maryline Lacombe et animé par MCGilles. On pourra y voir Malajube, Les Dales Hawerchuk, Marie-Pier Arthur et Vincent Vallière, mais aussi un artiste et un groupe qui s’expriment dans la langue de Shakespeare : Bloodshot Bill et Lake of Stew. Bref, un menu tout à fait branché sur la culture Québécoise telle qu’elle se présente et qu’elle rayonne de par le monde actuellement…
Attends-là, le gros… Tu as bien dit des anglophones?
Eh oui…Et c’est tant mieux.
J’entends déjà les Patrick Bourgeois et les Gilles Rhéaume de ce monde se déchirer les poumons pour crier au scandale et essuyer leurs larmes dans leurs drapeaux (déjà pas mal humides)… Mais attendez un peu… On parle bien de « l’autre » Saint-Jean non ? « Autre » comme dans alternatif… Or ce concept n’est pas que musical. Quelque chose comme une idée alternative de la nation pourrait très bien exister, serait même souhaitable, et ressemblerait sans doute plus à l’idée que les jeunes d’aujourd’hui se font de leur mère patrie…
Pour Pierre Thibault, directeur de C4 production et initiateur du projet, les groupes et artistes anglophones -et plus encore les citoyens anglophones du Québec- sont fondamentalement Québécois et doivent être inclus dans l’idée de nation qui est à la base d’une célébration nationale.
Cette collaboration entre anglophones et francophones se veut donc une sorte de statement politique : s’il est désormais possible de stimuler et promouvoir des échanges entre ce qui était naguère deux scènes musicales distinctes qui ne se rencontraient jamais, il doit être aussi possible de travailler ensemble à divers projets de société, à une culture comprise au sens large du terme.
Après tout, ce genre de collaboration se vérifie quotidiennement dans le travail des artistes. Les exemples pullulent et je les ai personnellement répétés jusqu’à plus soif. La vaste majorité des jeunes maisons de disques et des producteurs de spectacles alternatifs (ou non) produisent désormais des artistes francophones et anglophones sans scrupules et leur travail demeure essentiellement et fondamentalement Québécois. Ils prennent part à notre culture locale, font vivre un réseau culturel alternatif partout au pays… Alors, pourquoi se fermerait-t-on les yeux sur cette réalité le jour de la Saint-Jean alors qu’elle est patente tout le reste de l’année?
Pour McGilles, qui animera la soirée, cette collaboration est même un signe de santé collective : « On est tous Québécois… Si des anglophones ont le désir de se joindre à une célébration de la nation Québécoise, je trouve cela très sain. Et pourquoi devrait-on chanter uniquement en Français? Un peuple sain et fier de lui ne doit pas demeurer enclavé dans de vielles histoires. » Selon lui, l’inverse serait inquiétant : « il serait malsain que ces anglophones n’auraient que le désir d’aller célébrer la fête du Canada ou encore que de notre côté nous leur interdirions de venir fêter ce qu’ils considèrent être leur nation ».
Même son de cloche de la part de Sylvain Séguin, chanteur des Dales Hawerchuk : « Si il y a des anglos, c’est tant mieux : c’est ça le Québec à c’theure, il faut vivre avec, on est quand même pour les crisser dehors. Il faut trouver une manière de vivre ensemble. Se ghettoïser ça ne donnera rien. On essaye quelque chose de nouveau, c’est peut-être le début d’un rapprochement. Si la musique peut rapprocher les deux c’est une bonne manière de voir ça. »
Par ailleurs, ces trois travailleurs culturels se considèrent tous comme indépendantistes et aimeraient convaincre leurs concitoyens anglophones du bien fondé de leur projet et de l’importance de défendre et préserver la culture francophone du Québec, qui fait somme toute notre particularité en Amérique du Nord. Or pour ce faire, ce serait scier la branche sur laquelle on s’appuie que de les exclure. Au contraire, en acceptant les anglophones comme membres à part entière de la nation Québécoise, en se donnant le droit de célébrer ensemble dans nos langues respectives, nous pourrions éventuellement travailler sur un projet social commun.
Est-ce que ce projet social sera nécessairement un pays ?… Peut-être… Et peut-être pas. Même s’il est indépendantiste, McGilles considère que c’est une erreur qui dure depuis des décennies de considérer que ceux qui font partie de la nation Québécoise, et qui pourraient la célébrer, sont uniquement ceux qui votent OUI lors des référendums ou encore PQ et Bloc lors des élections provinciales et fédérales : « peu importe ton option politique ou ta langue, si tu te considères comme Québécois et que tu en es assez fier pour avoir envie de célébrer ce jour-là, tu fais partie de la fête ».
Artiste anglophone qui participera à cette célébration, Bloodshot Bill trouve très cool qu’on lui aille demandé d’être un des premiers à célébrer la fête nationale du Québec au sein d’une mixture anglophone et francophone. Selon lui, les anglophones comme les francophones ont envie de fêter leur nationalité Québécoise et travailler ensemble ne peut qu’être une bonne idée. Cela aurait dû être fait depuis longtemps et il est vraiment bête de vouloir séparer les deux réalités culturelles du Québec : « Tous et chacun, peut importe leurs langues, devraient être aptes à célébrer et prendre part à leur fierté nationale… Je crois que cela signifie que des gens plus ouvert d’esprits sont désormais aux commandes».
Bloodshot Bill n’est pas le seul à penser que cela aurait dû être fait depuis longtemps. Pour organiser ce spectacle, Pierre Thibault a contacté multiples maisons de disques et représentants d’artistes afin de mettre sur pied l’affiche du concert. Tous ceux à qui il a parlé étaient unanimes et enthousiastes : « le mot qui revenait le plus souvent c’était Enfin, il était temps que quelqu’un prenne cette direction ».
Les membres de Lake of Stew abondent dans le même sens. Richard Rigby, fils d’une immigrante Italienne élevée dans la Petite Bourgogne et d’un père Irlandais dont la famille est établie ici depuis plusieurs générations, se considère à part entière comme Québécois, peu importe la langue qu’il parle et livre un intéressant témoignage en ce sens :
« Dans les années 50, tout le monde célébrait cette fête Catholique ensemble, les francophones, les Italiens, les Irlandais. Jusque dans les années 60 quand les choses ont réellement commencées à changer. J’ai grandi dans Châteauguay et je me souviens quand René Lévesque a été élu. Alors que cela représentait la victoire de la révolution tranquille pour bien des gens, pour moi cela signifiait mes amis qui quittaient et mon père qui a perdu son emploi. Ça signifiait la loi 101 et des graffitis « Ici on parle français », « anglo go home » et « englishit »… La Saint-Jean Baptiste signifiait une fête où nous n’étions plus invités (…) Mon père Irlandais, qui avait grandi dans Verdun, n’avait jamais appris le français et à cause de cela il a été peu à peu mis de côté. À cette époque, la seule option pour les anglophones était un voyage sur la 401, mais à cause de ses profondes racines ici, il a décidé de rester. C’est seulement après que l’on m’ait appelé « frenchman » à Calgary, alors que j’ai montré ma carte soleil comme pièce d’identité, que j’ai réalisé que j’étais Québécois… J’ai habité à Toronto et mes amis me disaient : comment peux-tu être Québécois, t’es un anglo !… Comme si j’avais un ?%$ ? de portrait de la reine tatoué sur le cul. Depuis, je ne me sens plus chez moi nulle part ailleurs. Le Québec a sa propre culture, et la musique que je fais est tout à fait un produit de cette culture.(…) depuis quelques années, je note que les barrières se dissolvent (…) L’idée de construire une société fondée sur l’exclusion n’est plus une avenue»
Voilà qui donne à réfléchir… Alors que la question de l’identité nationale et de la citoyenneté Québécoise ne cesse de tourner en rond au sein des mêmes vieux mythes perpétués depuis les 50 dernières années… Certes, l’Autre Saint-Jean n’est au fond qu’une fête de quartier de plus, mais en ce qui me concerne, cette initiative a l’effet d’un baume qui, peut-être, permettra d’envisager la question nationale sous un angle nouveau, trop longtemps négligé par ses principaux protagonistes…
Il y a quarante ans, la population s’inspirait des artistes et des poètes et se reconnaissait dans leurs créations. Le refus global n’a pas été écrit par des bureaucrates et des politiciens, mais par des créateurs. La scène artistique était le reflet des aspirations du peuple et forgeait l’imaginaire qui permet de rêver à un projet social… Gageons que les choses n’ont pas tellement changées aujourd’hui et que ce spectacle proposé pour la Saint-Jean est porteur d’un message représentatif des aspirations de notre génération.


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