L'ASSÉ allié objectif des Libéraux et de la CAQ??? Pas si simple

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Le jeu trouble de l'ASSÉ

Comparaisons entre universités (autres que les palmarès de l’Actualité…)
1- Plus de 60% des étudiantEs québécoisES sont des « premières générations » à atteindre le niveau universitaire. Si pour les Universités du Québec, le taux monte vers les 80%, il baisse à 40% aux universités de Montréal et Laval et à 20% à l’Université McGill. L’université anglophone reçoit donc, à l’inverse, 80% d’étudiantEs dont les parents sont allés à l’université et qui ont grandi dans des maisons équipées d’ordinateurs et de bibliothèques, avec un ou deux parents capables intellectuellement de les aider dans leurs devoirs du secondaire et du Cegep et capables financièrement de les inscrire à des cours privés et à des activités parascolaires.
2- Et ces élites se retrouvent dans une université aux installations sportives et culturelles incomparables : par exemple, pour leurs concerts, les étudiants en musique de McGill sont assistés par une équipe d’une quinzaine de personnes à temps plein en charge de quatre grandes salles de concert. Pour une population étudiante à peine deux fois moindre, le département de musique de l’UQAM n’a qu’une personne à mi-temps de septembre à avril pour organiser ses concerts, alors que le Centre Pierre-Péladeau leur est peu accessible, contrairement à la volonté exprimée par son mécène.
3- Le stade McGill a joui de subventions pour s’agrandir et l’équipe de football universitaire d’un appui sans comparaison à sa médiocrité et à ses scandales d’initiation. À l’opposé, l’UQAM peine à recueillir les sommes nécessaires à l’achat d’uniformes de soccer! Et l’université québécoise peut seulement rêver, à moins de rattrapage gouvernemental draconien, posséder un jour la capacité financière de présenter une équipe de hockey ou de football, qui n’aurait de toute façon ni stade ni patinoire où pratiquer et s’exécuter devant une foule payante.
4- Serait-ce pour éviter la possibilité d’un tel rattrapage que l’ex-rectrice de McGill a crié que le sommet de l’éducation sera « une farce »? Craint-elle de voir le Parti Québécois de Pauline Marois remettre en cause la différence scandaleuse de traitement entre l’UQAM où je suis prof et McGill dont j’avais reçu la médaille d’or du ministre de l’Éducation en 1970, avant d’obtenir mes diplômes d’institutions supérieures de Londres, Los Angeles, Moscou et Vienne, ceci dit pour me targuer d’une illusoire objectivité?
Comparaisons avec le reste du Canada
5- Le réseau universitaire du Québec est-il sous-financé par rapport au reste du Canada, surtout si on tient compte que les Cegeps avalent au Québec la facture de la première année universitaire et que les Conservatoires jouissent du financement considérable du ministère de la Culture ? Tenté de corriger cette situation (bien des voix s’élèvent pour supprimer Cegeps et conservatoires), on pourrait aussi la considérer non comme un abus mais plutôt un avantage qui aurait permis une amélioration culturelle et éducative des Québécois : plus syndiqués et plus progressistes que la moyenne canadienne, cela ne s’avère-t-il pas un avantage économique (rattrapage du Québec au cours des dernières années) et un avantage politique (élection de députés NPD, versus Parti Conservateur dans le reste du Canada) ?
Hausse de salaires abusives et prolifération des fonctionnaires
6- Au Québec, les masses salariales des directions d’universités ont augmenté de 150% en moins de dix ans, à mesure que le gouvernement libéral les considérait comme des chefs d’entreprise plutôt que des recteurs ou vice-recteurs d’université (statistiques compilées par la Fédération québécoise des professeurEs d’université, source Max Roy).
7- Chefs, sous-chefs et employés se sont multipliés, les tâches des professeurEs trop peu nombreux (la FQPPU estime vital un millier de postes supplémentaires) se sont accrues en quantité et appauvries en qualité pour répondre à des demandes tatillonnes de rapports et statistiques exigés à intervalles de plus en plus rapprochés par les fonctionnaires de plus en plus nombreux du ministère de l’Éducation supérieure et des instances subventionnaires fédérales.
Frais de scolarité : investissement personnel ou sociétal ?
8- Précédés par feu Michel Freitag (le naufrage de l’université), appuyés par Guy Rocher, Lise Payette, Omar Aktouf et Victor-Lévy Beaulieu dans leur ouvrage médiatisé par l’IRIS Des mythes sur la hausse des frais de scolarité et l'économie du savoir aux éditions LUX, les auteurs Éric Martin et Maxime Ouellet ont dénoncé « la logique marchande », en réalité un choix idéologique pervers. «Cette rhétorique, écrivaient-ils, vise à inverser la conception historique [20e siècle] de l'éducation: on ne considère plus que la formation des individus relève de la responsabilité de la société, mais qu'il s'agit plutôt d'un investissement individuel au service de l'accumulation de richesse personnelle et de la croissance économique des entreprises. Ce faisant, on choisit de mettre l'«université au service de l'économie», en la détournant de sa mission fondamentale qui devrait être de «former des êtres humains capables de vivre ensemble» [selon des valeurs universelles reconnues et promues par l’UNESCO].
9- L’ouvrage s’interroge aussi sur la dérive de recherches utilitaristes subventionnées par le privé. On en a eu un exemple particulièrement navrant à l’Université de Toronto acoquinée avec une industrie pharmaceutique commanditaire d’un de ses édifices qui menait une recherche faisant mourir ses cobayes humains en Afrique : l’université obtint (avant de se voir forcée de la réintégrer par ordre d’une cour de justice) la démission d’une professeure membre de Science for Peace, qui avait tiré la sonnette d’alarme. On a refusé de publier mes articles dénonçant Isabelle Hudon, qui était selon les vœux du parti libéral présidente du conseil d’administration de l’UQAM, tout en étant pdg au Québec de Sun Life Financial, ce sympathique commanditaire qui, selon l’International Coalition for the Abolition of Nuclear Weapons basée à Londres, est la seule compagnie canadienne à financer à la fois Lockheed Martin et Northrop Grumman, constructeurs américains des F-35 à 45 milliards de $ de M. Harper, des drones assassins au Pakistan et des bombes atomiques.
L’ASSÉ et la FEUQ : idéologie et « vrai monde »
10- L’ASSÉ avait parfaitement raison d’exiger que la gratuité scolaire appliquée en France et en Finlande soit sur la table des options possibles lors du Sommet de l’Éducation : les entourloupettes du ministre de l’Éducation Supérieure, de la Recherche, de la Science et de la Technologie Pierre Duchesne ne furent pas à son honneur et madame Marois a bien fait de rectifier habilement le tir. Les étudiantEs vivent encore dans un monde où la démocratie vue comme un idéal envisage la gratuité scolaire, idéal favorisé et par la Commission Parent de nos années soixante et par l’UNESCO contemporaine.
11- Le ministre péquiste ferait une grave erreur en ne considérant pas sérieusement leurs arguments (et pourquoi pas, les miens ici présentés), car le Sommet doit être un processus démocratique évolutif. Bien sûr, le ministre a le droit et même le devoir de rappeler que le Québec à ce stade-ci n’a pas l’argent nécessaire à l’amorce de l’idéal de gratuité scolaire, mais à la condition qu’il s’engage à mettre en œuvre les étapes successives d’élimination des gaspillages qui en entravent la réalisation : dédoublements de programmes, dérives immobilières et concurrence effrénée des universités avec frais de publicité et clientélisme chauvin, problèmes considérablement aggravés sous le régime Charest.
12- Si l’ASSÉ a le droit de défendre ses idéaux, avec en principe le droit de se retirer du Sommet et de recourir à la grève, c’est du point de vue politique, un choix vraiment stupide, puisque l’Association se prive d’exprimer ses revendications, par exemple sur l’accroissement vertigineux des frais afférents. De plus, le boycottage des cours, appliqué de façon coercitive, va fractionner la belle unité étudiante qui lui a permis d'avancer et risque de déstabiliser le gouvernement minoritaire péquiste qui a pourtant mis à l’ordre du jour une enquête sur le matricule 728 et la formation d’un conseil de sages pour dorénavant enquêter sur les cas de brutalité policière, comme les Artistes pour la Paix le lui avaient demandé (lire notre lettre au ministre Bergeron et voir les démarches récentes du président Daniel-Jean Primeau). Bref, l’ASSÉ motivée par son intransigeance idéaliste risque de ramener très vite au pouvoir les Libéraux ou, au cas où ces derniers et leur nouveau chef sortiraient trop écorchés par la Commission Charbonneau, la CAQ de François Legault : or ces deux partis épousent l'étroite logique marchande déplorée ci-haut et appuient sans réserves les écoles privées élitistes qui grugent une part déterminante des budgets éducatifs, sans compter leur complicité face à la centrale nucléaire, aux gaz de schiste et aux mines d’amiante, ce qui a fait monter aux barricades les artistes lors du Printemps érable.
13- Martine Desjardins et la FEUQ, Éliane Laberge et la FECQ, appuyés par la CSN, ont par contre raison d’insister sur le gel des frais de scolarité à l’université, mais le retrait de l’ASSÉ du sommet vient de porter un dur coup à leur objectif. Privé de sa gauche qui a confondu défense idéologique de ses principes et participation démocratique à un exercice citoyen où leur poids ne s’exercera plus, le sommet vient de se rapprocher d’une solution mitoyenne d’indexation des frais de scolarité. Le gouvernement ferait toutefois mieux de juguler ses dépenses frivoles : frais d’avion de première classe de la rectrice de McGill, primes de séparation des recteurs et vice-recteurs de Concordia, sommes dilapidées par Arthur Porter au CUSM qui quoiqu’on dise, entachent la réputation de la Faculté de Médecine de McGill…
14- La CAQ évoque avec certains recteurs et éditorialistes de La Presse la possibilité de moduler les droits de scolarité selon l’université ou la discipline étudiée, arguant que la formation est quatre fois plus chère en médecine qu'en sciences sociales. L’idée de compensation modulatoire, outre qu’elle multiplierait les fonctionnaires chargés d’en appliquer les principes - dans un programme avec mineure en x et majeure en y, bonjour le joyeux bordel! - ignore qu’un étudiant en médecine n’est pas un médecin, encore moins un radiologiste, et que si un accident ou un désir de réorientation interrompait ses études à un stade avancé, il serait responsable d’une dette considérable, sans jamais en recueillir les bénéfices. La compensation modulatoire et tant qu’à être, le financement des universités peuvent très bien s’effectuer par un impôt juste et proportionné non seulement aux salaires mais aux dividendes (l’argent qui fait de l’argent), en débusquant les magouilles comptables et les paradis fiscaux que les plus riches ont les moyens et la douteuse moralité de se permettre.
Recherche-création et conclusion
15- À propos de la recherche-création abordée au point 9, mon expérience d’avoir consulté en vingt ans bon nombre de thèses universitaires (+ cinq soutenances dans les derniers six mois, comme remplaçant de la doyenne de la Faculté des Arts de l’UQAM) m’a fait constater qu’à une exception près, les thèses travaillées individuellement faisaient toutes avancer la société dont elles favorisent l’éclairage ; à l’opposé, à une exception près également, les thèses supportées par des bourses de recherche issues de programmes gouvernementaux aveuglés par des mirages technologico-informatiques étaient insignifiantes, usant d’un jargon ou d’une langue de bois de fonctionnaire, je le sais pour avoir aussi présidé un jury annuel FCAR pan-provincial.
La conclusion serait-elle : Un « bon » professeur aujourd’hui, c’est quelqu’un qui est dispensé d’enseigner parce qu’il a obtenu tellement de subventions qu’il doit se consacrer à la recherche de ce qu’il a déjà trouvé et exposé, budget et bibliothèque à l’appui, dans son projet soumis à des chercheurs qu’il a lui-même évalués dans un concours précédent. Il y aurait beaucoup à dire sur le gaspillage éhonté de l’intelligence et des fonds publics dans les universités alors que les professeurs du collégial (sans parler de ceux du secondaire et du primaire) travaillent deux fois plus pour deux fois moins à la véritable formation des esprits, car il faut bien reconnaître que l’université ne prête qu’aux riches, ne développe que des esprits déjà formés, c’est-à-dire les déforme le plus souvent en les spécialisant. »
Ce constat caricatural tiré de l’ouvrage Aimer, enseigner paru aux éditions Boréal en 2012 de mon ami Yvon Rivard (professeur à McGill pendant une trentaine d’années) n’a pas pour objet de nous conduire au fatalisme mais à une lucidité nouvelle qui incitera, souhaitons-nous, le gouvernement à éclairer les universités de pistes de solutions praticables et de nouvelles initiatives collectives favorables au mieux-être général. Et à ce Sommet, devra immanquablement succéder un Conseil des universités, voire une Charte de l’éducation supérieure pour les étudiants, avec un droit de grève encadré mais reconnu.

Squared

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L’auteur est Vice-président des Artistes pour la Paix, professeur titulaire à l’UQAM, membre des exécutifs de Pugwash Canada et du Réseau canadien pour l’abolition de l’arme nucléaire, nommé « porteur d’eau » par Eau-Secours et nommé au Cercle des Ambassadeurs de Paix (Genève)





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