Réponse à Michel Seymour - La stratégie de l’autruche

Nous avons collectivement ouvert une ère du soupçon qui marquera, je le crains, le début du lent déclin de nos universités

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Plaidoyer pour la hausse des droits de scolarité

Alors, les universités sont-elles sous-financées, surfinancées ou mal financées ? Des groupes d’intérêt ont volontairement brouillé les termes du débat et mis à mal un constat qui, avant le printemps dernier, faisait consensus aussi bien chez les recteurs que chez les professeurs, les représentants étudiants, les politiques, les chroniqueurs et la population. Il n’y a qu’au Québec où l’on peut retourner sa veste avec une telle désinvolture.
Nous avons collectivement ouvert une ère du soupçon qui marquera, je le crains, le début du lent déclin de nos universités. C’est la réflexion que m’a inspirée la lecture d’un livre d’un membre de ma communauté universitaire, Une idée de l’université, de Michel Seymour. Comme l’auteur m’attaque à plusieurs reprises, je ne crois pas inutile de répliquer.

Petit rappel historique
Milieu des années 90. Le fédéral décide de réduire considérablement les paiements de transfert aux provinces pour l’enseignement universitaire. C’est la difficile époque de l’atteinte du déficit zéro. On peut penser ce qu’on veut de l’approche du tandem Chrétien-Martin : le fait est qu’aujourd’hui, le Canada est cité partout dans le monde comme un modèle de gestion des deniers publics. Nombreux sont les pays d’Europe qui nous envient et qui parlent du « modèle canadien » avec les mêmes trémolos sous la plume que d’autres, ici, du modèle suédois.
Les provinces avaient-elles le choix ? Toutes ont réagi promptement à la réduction draconienne du financement fédéral en recourant à des mesures d’austérité et des hausses successives et soutenues des droits de scolarité. Toutes ? Non, car le Québec est une société particulièrement distincte quand il s’agit d’enseignement supérieur. Non seulement nous n’avons pas suivi le mouvement, mais nous avons fait comme si ce qui l’avait initié n’avait jamais eu lieu.
Dit autrement, nous avons fait l’autruche. La tête bien enfouie dans le sable, nous n’avons pas dédommagé les universités pour le manque à gagner et nous avons laissé pourrir une situation qui, 15 ans plus tard, étrangle tout le réseau universitaire - et en particulier les universités de recherche.
Pendant ce temps, dans le reste du Canada, les hausses significatives et modulées des droits n’ont pas eu les effets catastrophiques que l’on appréhendait. Les universités des autres provinces ont vu leurs inscriptions bondir et toutes les études sérieuses démontrent que la hausse des droits des dernières années n’a pas constitué une barrière à l’entrée. Mieux : les étudiants des milieux défavorisés sont, en proportion, deux fois plus nombreux à fréquenter l’université en Ontario qu’au Québec.

Instrumentalisation politique des universités
Tout le Québec a fait l’autruche, mais je pense qu’on peut accorder à M. Seymour le titre peu glorieux d’autruche en chef. Dans son dernier ouvrage, le professeur de philosophie écrit : « MM. Lacroix, Montmarquette et Caillé ne tiennent pas compte du désengagement du gouvernement fédéral en ce qui concerne les transferts aux provinces en matière d’éducation supérieure. Ils ne choisissent qu’un seul remède et s’en prennent aux étudiants. » Je passe sur l’usage de l’expression « s’en prendre aux étudiants », comme si mes collègues et moi-même étions de dangereux prédateurs. Et j’en viens à l’essentiel.
On peut me reprocher bien des choses, mais certainement pas de ne pas « avoir tenu compte » de la baisse des paiements de transfert d’Ottawa. Tout mon mandat, aussi bien comme recteur qu’à la présidence de la CREPUQ, a été précisément marqué par le souci de documenter les effets de cette compression sur notre réseau universitaire et de proposer des solutions pour pallier ces effets.
Évidemment, si on entend par « tenir compte » du désengagement fédéral réclamer à cris d’orfraie le rétablissement des paiements de transfert, M. Seymour a raison : je n’en ai pas tenu compte. Pour une raison toute simple : le problème du sous-financement n’est pas là. D’ailleurs, le Québec a largement profité depuis du rehaussement des paiements de transfert et, en particulier, d’un supplément de milliards de dollars au titre de la péréquation. Pourtant, le problème reste entier.
J’estimais, et j’estime encore, que la solution passe par une hausse des droits de scolarité. Il me paraît tout à fait socialement équitable qu’un étudiant qui retire personnellement 60 % de tous les bénéfices d’une éducation universitaire assume à hauteur de 30 % le coût de sa formation. Pourvu, bien entendu, que des mesures ciblées permettent de garantir l’accessibilité aux études.
M. Seymour m’a beaucoup rappelé Maurice Duplessis. Les plus vieux d’entre nous se souviendront peut-être que, dans les années 50, le chef avait ordonné aux universités de refuser les paiements directs du gouvernement fédéral au titre de l’enseignement supérieur. Québec menait à l’époque une guerre d’usure contre Ottawa sur le pouvoir de dépenser. Et bien entendu, il n’a jamais compensé totalement les universités pour le manque à gagner qui résultait de l’application de sa politique.
Le mur des lamentations fédérales
J’ai peine à croire qu’un universitaire puisse écrire sérieusement : « Le programme des chaires du Canada ne répondait pas aux exigences essentielles du milieu. Personne n’en avait fait la demande. » Pardon ? C’est moi qui en ai fait la « demande » avec ma collègue Martha Piper de UBC. Non seulement j’en ai fait la demande, mais c’est même moi qui en ai eu l’idée !
Et je sais que je n’étais pas seul à penser que c’était une bonne idée. L’Association des collèges et universités du Canada s’est engagée très activement dans la mise sur pied des chaires de recherche, dont le but était clair : retenir ici nos meilleurs professeurs et en attirer de nouveaux. Le programme a été accueilli avec enthousiasme par l’ensemble des universités canadiennes, incluant celles du Québec. Et il fait aujourd’hui l’envie des autres systèmes universitaires du monde. Dans un rapport récent, le Conseil américain des sciences recommande même d’implanter aux États-Unis un programme similaire, « à la canadienne ».
Peut-on légitimement reprocher à un gouvernement d’avoir investi massivement dans la recherche universitaire ? La recherche qui, dans certaines universités, compte pour la moitié de leurs activités ! Car c’est le génie de l’université nord-américaine d’amalgamer recherche et enseignement, production du savoir et transmission des connaissances. Et c’est une des plus belles façons de s’assurer que le développement des connaissances ne soit pas assujetti aux seuls intérêts des entreprises.
Que cette double mission crée des tensions dans les facultés, c’est l’évidence. Mais la recherche est la terre nourricière de l’enseignement, et je m’explique mal qu’on puisse les opposer, sinon pour des motifs purement politiques.
Si on place la souveraineté avant le savoir, évidemment, la stratégie est de gémir sur l’ogre fédéral. Ce qui agace d’ailleurs M. Seymour, c’est que les recteurs « ne blâment plus le gouvernement fédéral » pour le sous-financement des universités. C’est ce que j’appelle l’instrumentalisation des universités à des fins politiques.
Pour ma part, j’ai toujours placé le savoir au-dessus de la politique. J’ai toujours estimé que l’éducation est le véritable socle du développement social, économique et culturel d’une société. Et je n’ai jamais aimé les idéologues qui subordonnent le développement de nos établissements à la défense d’une cause. Je suis un « chauvin » universitaire. La seule cause qui m’intéresse, c’est celle de l’enseignement supérieur.


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