L’art sous tutelle

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L'art n'est pas fait pour plaire à tous les lobbys victimaires

De quoi finira bien par accoucher l’« affaire » SLAV, le spectacle monté par Robert Lepage sur des chants d’esclaves noirs ? La question se pose. Surtout, elle inquiète.


Rappelons qu’après des accusations de « racisme » lancées par quelques militants contre l’équipe de SLAV, la direction du Festival international de jazz de Montréal (FIJM) annulait le spectacle. Bref, le FIJM s’est montré incapable de défendre la liberté de création de M. Lepage, un des artistes les plus respectés de la planète.


Censurer est une chose gravissime. Ses conséquences le sont aussi. Comme je l’ai écrit, un tel geste crée un dangereux précédent. Il finit par ouvrir la porte à d’autres pressions exercées sur d’autres artistes par d’autres lobbys dans le but d’exclure de l’espace public toute œuvre jugée trop « controversée ».


Le même créateur, Robert Lepage, en fait déjà les frais. Dans une lettre parue dans Le Devoir, un groupe de personnes autochtones lui reproche de monter une nouvelle production – Kanata – en rendant leur présence et leur histoire, disent-elles, « invisibles ».


Relecture


Présentée plus tard cette année en France, Kanata propose une « relecture de l’histoire du Canada à travers le prisme des rapports entre Blancs et Autochtones ».


En réaction, Robert Lepage et Ariane Mnouchkine, directrice du prestigieux Théâtre du Soleil, annoncent qu’ils « dialogueront » cette semaine avec les opposants. Sous haute pression depuis la censure de SLAV, M. Lepage est sûrement habité des meilleures intentions.


Force est néanmoins de se demander si « dialogue » il y aura. Ou si, au contraire, la discussion finira en monologue des protestataires. En cela, il faut dire que M. Lepage est piégé.


Après l’annulation de SLAV, ne pas échanger avec ces nouveaux opposants lui aurait été reproché. Surtout par ceux pour qui la défense de la liberté artistique constitue l’opinion d’un « camp » et non pas ce qu’elle est vraiment, soit la liberté fondamentale de créer.


À l’opposé, lorsqu’il échangera avec eux, si Robert Lepage n’acquiesce pas suffisamment aux demandes des opposants, on le lui reprochera tout autant.


Terrain politique


Dans la vie, le « dialogue » est toujours souhaitable. En matière artistique, c’est une arme à deux tranchants. Obliger un artiste à dialoguer au préalable avec le sujet de sa création équivaut à le placer sous tutelle. Des lobbys tentent ainsi d’« encadrer » sa liberté d’expression et d’interprétation. Le créateur quitte alors le domaine artistique pour un terrain politique nettement plus miné.


Dans les « affaires » SLAV et Kanata, on assiste aussi à la « racialisation » du processus de création. Robert Lepage s’en trouve réduit à être principalement un artiste « blanc » fautif de vouloir réinterpréter à sa manière la souffrance réelle et historique de personnes d’ascendance noire ou autochtone.


L’art s’en retrouve ségrégué sur une base raciale ou généalogique. Or, rien de ce glissement regrettable ne se serait matérialisé sans la couardise du FIJM ni le silence de ceux et celles qui, au sein de la communauté artistique, craignent eux aussi la controverse.