L'amphithéâtre

Chronique d'André Savard

L’accord entre la ville de Québec et Péladeau comporte beaucoup de zones grises, un point que chaque partie admet, les uns implicitement, les autres explicitement. Encore une fois, l’imbroglio actuel s’explique par le quadrillage que Régis Labeaume a voulu éviter au pays de la convergence. En faisant un appel d’offres, on avait affaire d’emblée à une visée stratégique où un empire allait essayer de se substituer à l’autre.
Bell, Evenko et le réticule d’affinités d’affaires comptant Power Corporation allaient essayer de s’emparer du projet. Si Régis Labeaume avait mis lors d'un appel d’offres que la construction de l’amphithéâtre était conditionnel à un effort pour ramener une équipe de la ligue nationale à Québec, Bell Evenko, comme une organisation d’opposants proche du club Canadien, aurait voulu l'emporter. Ensuite le consortium aurait négocié avec la ligue nationale en fonction de leurs intérêts.
Les contrats déjà existants avec RDS auraient possiblement mené à des ententes sur un partage d’antenne entre les deux équipes. Comme tout cela aurait eu lieu dans les limites de la loi et que les grands groupes d’affaires sont forts pour défendre les limites de la loi (quand il ne s’agit pas de la loi 101 bien entendu), la ville de Québec n’aurait rien pu faire pour influer sur l’intensité des négociations. Autant les négociations avec Radio-Canada qu'avec la ligue nationale se dérouleraient sous le parapluie des pratiques contractuelles existant déjà pour ce consortium. On comprend donc que Régis Labeaume dans cette patrie marquée par la lutte des convergences médiatiques spécialisée dans les coups fourrés, ait voulu négocier de gré à gré.
Péladeau n’est absolument pas un saint. Régis Labeaume savait cependant que les motivations de Péladeau touchant le rapatriement d’une équipe de hockey professionnel à Québec ne faisaient aucun doute. Il ne faisait aucun doute non plus que Péladeau ferait profiter la capitale des moyens de son empire pour y établir un diffuseur d’envergure.
Le contexte piégé dans lequel le projet de l’amphithéâtre est né ajoutait aux réticences de Régis Labeaume visant la tenue publique d’un appel d’offres. Les Québécois passent pour d’éternels insatisfaits, un point de vue que les médias orangistes du Canada, incluant le journal La Presse, soutiennent mordicus en leurs pages. Dans la mesure où l’argent public se voyait octroyé par le Fédéral, on appréhendait une vague de mécontentement de la grande nation canadienne. Le Fédéral évitait la possibilité d’un procès contre la nation québécoise en se désistant. Cependant, dans la mesure où il y avait appel d’offres, les ministres conservateurs auraient voulu y voir puisque leur contribution financière demeurait au moins à titre d’hypothèse lointaine. Bref, le Fédéral avait intérêt à gagner du temps.
Et vu les intérêts en jeu, il était impossible d’éviter la possibilité d’un procès juridique, appel d’offres ou pas. Un empire comme Bell et son réseau d’affinités peut monter un procès sous mille prétextes. Dire par exemple que le lien nécessaire entre les agissements du promoteur comme négociateur auprès de la ligue nationale et le contenu des conditions reliées à l’amphithéâtre en tant que bâtiment laisse tel point ou tel point en veilleuse. Il y a toujours moyen de trouver quelque chose quand on traite de bâtiment, de concessions en devenir. Trouver dans l’appel d’offres un point qui n’explicitait les phases ultérieures d’une facette du projet et vous aurez le matériau de recours juridique à développer avec votre écurie d’avocats. Puis on va en révision puis un autre appel d'offres...
Bell avec Evenko, plus son réseau d’affinité incluant Radio-Canada, Power Corporation, Molson, auraient démontré que faute d’un diffuseur exclusif, ils auraient pu garantir un droit d’antenne qui se serait prolongé de 3 millisecondes par année pour dépasser au bout de X temps les avantages promis par le réseau TVA. Et vous auriez eu droit à une guérilla juridique au Québec sur le traitement préférentiel lors de l'appel d'offres.
À Radio-Canada, Simon Durivage aurait conscrit la sondocratie à se prononcer sur la question du jour : Pourquoi est-il impossible de faire aboutir des grands projets au Québec? Du bonbon, car on aime dire que tout est plus compliqué au Québec.
Amir Khadir se fait applaudir dans sa guérilla sur la légitimité de l’entente par des gens dont le groin est barbouillé de caviar, des gens d’ailleurs prêts à travailler à sa lapidation à la première occasion. Il est assez drôle de voir des gens qui se demandent si l’accord s’est effectué selon toutes les règles de l’institution alors qu’année après année, ils décrient l’application du moindre critère pour protéger l’Etat québécois, n’évoquant que ses responsabilités de partenaire de la fédération canadienne. Ils prêchent le respect des règles quand ça leur convient ou leur redéfinition, leur allègement, leur disparition si ça convient mieux. À cet égard, ils sont juste les frères ennemis de Péladeau.
Assez étonnant de voir l’écurie de Power Corporation s’insurger que l’argent public serve à consolider un empire alors qu’ils sont au service d’un empire concurrent. Étonnant de les voir monter au créneau contre l’empire Péladeau et cacher systématiquement les parties compromettantes du tableau si celui-ci commandait une investigation touchant l’influence de Power Corporation dans la menée de bien des affaires au Canada.
Régis Labeaume a préféré le demi mal d’une entente de gré à gré sachant déjà que l’information au Québec se déploie sans arrêt comme un contre-argumentaire organisé par des intérêts habitués à substituer leurs versions des faits. Et ceci sur toute question d’affaire publique ou privée. Le Bloc Québécois doit avorter? On y mettra le temps. Une expansion de TVA doit avorter? On y mettra le temps.
En outre, les considérations politiques n’échappent à personne. Va pour une équipe à Québec si on contrôle les vecteurs d’identification. Le Canadien au réseau RDS est salué par la chanson My town, en anglais de bout en bout. Si vous critiquez, on vous répondra que cette chanson, ode au caractère cosmopolite de Montréal, témoigne de la tension créatrice de la diversité canadienne. Si jamais une équipe voit le jour à Québec on veut être bien certain que l’histoire racontée convienne au schéma de la bonne équipe canadienne d'un pays uni.
Si cela était assuré d’avance, vous auriez un aiguillage plus bienveillant de l’information pour favoriser l’entente. Quand les Nordiques étaient vus comme l’équipe franco du circuit et les Canadiens comme les légataires de l’ancienne équipe anglo de Montréal, les Marroons, les ficelles de l’identification publique pouvaient se mêler. On veut que de plus en plus le Canada se présente comme un tout unitaire, somme ultime de la diversité, ayant droit absolu sur ses parties. Le hockey est présent dans les publicités de la chaîne Tim Horton comme un fleuron de l’unité canadienne.
La logique d’affaires concerne les nippes que l’on vendra, la bouffe à gogo de la restauration rapide mais derrière tout cela, on veut que les unitaristes canadiens aient l’affaire bien en main. Il n’y a qu’Amir Khadir qui se soucie du principe là-dedans, l’argent public au service d’un empire. Si cela était un enjeu, on l’aurait félicité tout autant quand il a dit que l’argent public ne devait pas servir à faire des courbettes devant les représentants royaux de l’empire britannique.
Si la question avait vraiment trait à la portée des ententes de gré à gré, les opposants se seraient demandé comment il se fait que l’Etat Québécois dépêche une délégation d’affaires en Chine sous l’égide d’André ..., histoire de démontrer que « la mission se déroule au plus haut niveau » selon l’expression employée par Jean Charest. Si Amir Khadir a raison de dire que les principes, ce n’est pas que de la frime, Régis Labeaume a tout autant raison de voir que, sur le bon plancher des vaches, les principes servent à la frime. Le groupe Bell avec sa parenté en réseau, incluant des anciens du parti Libéral, des commentateurs consacrés supersupergéniaux par le duo Radio-Canada-Power Corporation, travaillent à demeurer le groupe préférentiel des institutions publiques. À qui reviendra l’argent public? Ce sera à malin, malin et demi.
La population de Québec veut une équipe de hockey et la capitale a besoin d’un amphithéâtre moderne. Ceci est bien réel. Mais pour le reste, les gentils principes qui pourraient permettre un gentil tribunal de vous surprendre, la soi-disant critique et rééducation d’un peuple dont les intérêts sont galvaudés, tous ces signes de bon ton parmi l’intelligentsia libérale, ils sont soutenus par de grands amis des zones grises.
Amir Khadir et Éric Caire n’avaient pas pour but de favoriser des réorganisateurs de gagner du temps parce qu’ils veulent que ce soit leur numéro qui sorte au prochain tour. Mais peu importe la nature de leurs intentions, elles viennent se fondre dans la trame d’une entreprise très intéressée à contrôler l’âme, l’esprit et l’échéancier du projet. C’est ce que l’on doit sous-entendre quand on se plaint que ça va trop vite.
André Savard


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7 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    7 juin 2011

    Le gouvernement actuel aime bien Power Corporation mais il ne veut pas mettre Sam Hamad dans le pétrin. Et l'idée de voir le projet aboutir sans s'enliser dans les méandres que provequerait l'autre empire de la convergence ne lui déplaît pas non plus.
    Pour ce qui est de l'intégralité de la commission, oui, je trouve inévitable que l'établissement d'un diffuseur à Québec entre autres pave la voie à des signatures de contrat dont on peut cerner d'emblée toutes les conditions.
    Autre point de la commission, cette idée fixe sur l'interdiction du recours au tribunaux, droits individeuls bafoués etc alors même que les opposants se retranchent dans des promesses de guerilla judiciaire.

  • Gino-Robert Deschênes Répondre

    6 juin 2011

    Je me dois d'avouer que votre article me fait réfléchir un peu plus sur ce dossier...et force est d'admettre que même en étant contre ce genre d'entente, c'est quand même préférable d'avoir Québécor que le team canadian, Power corp et autres, pour gérer l'amphithéâtre.

  • L'engagé Répondre

    6 juin 2011

    Je comprends votre point de vue, mais ce qui est mauvais pour nos adversaires (Quebecor à Québec plutôt que Bell, Gesca et Molson ) n'est pas bon pour nous pour autant.
    PKP a réalisé 14 lockout, en matière de convergence et de désinformation il se mérite certainement une palme ou deux. La stratégie que vous expliquez et pas mal alambiquée et dans ce cas, comment expliquez-vous que la loi 204 fasse autant l'affaire de libéraux?
    Labeaume et PKP ne veulent pas du retour des Nordiques pour des raisons nationalistes, et je n'ai pas eu besoin de La Presse pour comprendre que le projet 204 est mauvais.
    Rien n'interdisait une bonne entente pour le peuple québécois et la ville de Québec, que l'on bafoue nos principes et que l'on accorde sans prudence l'amnistie que réclame Labeaume est irresponsable.
    Dans ce cas-ci, le PQ a vendu son intégrité contre un gain de popularité qu'il n'était même pas certain d'engranger.
    Avez-vous écouté l'intégralité de la commission?
    Salutations

  • Archives de Vigile Répondre

    6 juin 2011

    Je disais le projet d'amphithéâtre pivot de la lutte entre deux empires au pays de la convergence. Il est de même devenu le véhicule d'un paquet de luttes, dont celle des tenants d'un échéancier précis touchant l'avenement de la souveraineté. Préparons-nous à des alignements retranchés et à des sybolisations dogmatiques autour d'un projet de loi privé beauocup plus banal qu'il n'y paraît.
    André Savard

  • Claude Richard Répondre

    6 juin 2011

    Bell,Power, R.-C. contre Péladeau-Labeaume. Peut-être bien. Mais Péladeau-Labeaume représentent-ils authentiquement le Québec et les Québécois? Où représentent-ils d'abord eux-mêmes et leur ambition?
    Du côté de Labeaume, gros points d'interrogation quand on sait son appui indéfectible au Quebec Summer Festival et son refus de franciser le Red Bull Crahed Ice, quand on se rappelle son enthousiasme devant la reconstitution de la bataille de la terre d'Abraham et son mépris vis-à-vis des organisateurs du Moulin à Paroles.
    Du côté de Péladeau, que dire du torpillage du Bloc québécois via TVA et les Journaux (de Montréal et de Québec), l'appui à Harper à travers Sun Medias et le soutien équivoque à Legault et Sirois?
    Le moins que l'on puisse demander, c'est qu'il y ait un minimum de transparence et de décence dans le processus, ce que réclament, si je m'abuse, les députés Beaudoin, Curzi et Lapointe.

  • Yves Rancourt Répondre

    5 juin 2011

    Bonjour monsieur Savard,
    Votre compréhension du dossier de l'amphithéâtre m'impressionne grandement, et je vous le dis en toute sincérité. Je tiens essentiellement les mêmes propos à tous ceux qui veulent comprendre les véritables enjeux de ce dossier. Il est clair qu'il y a beaucoup de gens derrière le rideau qui cherchaient et cherchent toujoiurs à influencer les décisions dans le sens de leurs intérêts. Je me rappelle moi-même avoir transmis une lettre à l'opinion du lecteur des journaux de Québec après avoir entendu dire que Sun Life( oui, cette même entreprise qui était intervenue dans le débat public au Québec à une certaine époque) voulait donner son nom à l'amphithéâtre. Imaginez un peu: un colisée Sun Life à Québec!
    Je suis étonné qu'Amir Khadir, qui fait preuve dans de nombreux dossiers d'une clairvoyance peu commune, n'ait pas saisi les vrais enjeux de celui de l'amphithéâtre de Québec. Peut-être en veut-il trop à PKP pour être capable de regarder le dossier dans sa globalité?
    Mes salutations respectueuses à vous.

  • Jean-Pierre Bouchard Répondre

    5 juin 2011

    Superbe texte, M.Savard! Mettant en association les grands intérêts de ces méga entreprises qui n'entendent rien à la manifestation de symboles puissants qui désolidarisent du Canada unitaire. Celui du fleurdelysée Nordique évidemment.
    Québécor certes joue ses cartes dans cette
    affaire privilégiant son propre espace sans aller toutefois jusqu'à pratiquer dans ses médias aussi convergents soient t'ils la religiosité feinte au Québec d'un esprit canadien unifolié ce qui dérange toujours l'unité canadienne de broche à foins de Radio Canada et Gesca.
    Khadir lui nourrit ses propres ambitions également dans sa croisade contre l'entente Québécor-Labeaume sans se soucier du croisement d'intérêts rencontrés d'une part entre Power Corporation, QS et le NPD hier et maintenant d'autre part encore entre Power Corporation, QS et la question d'un nouveau Colisée sur le fond.
    Pendant ce temps depuis avril, l'électorat souverainiste, une partie des penseurs souverainistes succombent aux sirènes de la rencontre indirecte Khadir-Power Corporation sans se rendre compte comment ils s'enfoncent dans une toile d'araignée de cette manière allant jusqu'à sacrifier essentiellement le fort bloquiste à Ottawa.
    Il y a des voies qui empruntent tellement à des dommages dits collatéraux que cela en devient suicidaire.
    Québécor trouve rappel 45% de ses actions dans la Caisse de Dépôt commune à tous les Québécois, c'est oui une méga entreprise d'ici qui fait des profits pour l'essentiel et puis quoi croit t'on pouvoir tout réinventer dans ce monde!
    Les souverainistes purs ou les tenants de la gauche virginale n'ont-ils pas compris que la nature à horreur du vide! Si Québécor ne fait pas des affaires au Québec, ne réimplante pas le hockey à Québec. Ce sera Bell, Rogers, Power Corporation qui s'est procuré l'équipe junior des Remparts de Québec il y a peu.
    La politique c'est une lutte, une guerre, un état de distinction entre les amis et les ennemis. Autrement c'est de l'enfantillage celui de Khadir ou d'autres.
    Un Khadir trop compromis avec le NPD pour ne pas en être suspecté de considérations vulgairement stratégiques ou tactiques dans le seul but de sortir QS de l'état de tiers parti.