L’affaire et ses silences

Élection présidentielle française



Par JEAN-MICHEL REY philosophe, écrivain - Les «révélations» à l’origine de l’affaire proviennent du personnel de madame Bettencourt. S’agit-il d’une révolte de certains employés - le majordome et la comptable pour l’heure -, d’un dernier sursaut de ce qu’on appelait jadis la lutte des classes ? Je repense aux comédies de Marivaux dans lesquelles, assez fréquemment, les questions d’argent (pour dire vite) et le statut des domestiques sont traités ensemble. L’histoire est-elle en train de se répéter - partiellement au moins ? En généralisant le propos : comment se fait-il que certains puissants de notre société n’aient pas appris, grâce à Marivaux ou à d’autres, à se méfier foncièrement des domestiques, de leur capacité de comprendre ce qui se joue dans la vie la plus ordinaire ? Pourquoi n’ont-ils pas su garder le silence en leur présence ?
Un autre aspect me laisse perplexe : qu’essaie de faire le pouvoir en brouillant les cartes à ce point ? Que vise-t-on quand on dénonce, avec la gestuelle qui convient à ce genre de circonstance, des «méthodes fascistes», comme l’ont fait plusieurs personnalités politiques ? Quelle représentation du fascisme doit-on avoir pour comprendre les accusations de monsieur Xavier Bertrand ? Alors même que quelques journalistes posent des questions, parfaitement légitimes en démocratie, la seule réponse du pouvoir est quelques mots : fascisme, trotskisme - sans se soucier des incompatibilités.
Pesante politique du silence. Que penser de François Baroin qui, dans les premiers jours de l’affaire, dit simplement qu’Eric Woerth a «démenti les accusations et qu’il n’y a donc plus rien à dire ? Et de Frédéric Lefebvre affirmant haut et fort qu’après le rapport de l’IGF tout le monde devra se taire ?» A trop vouloir passer sous silence certaines aspérités de l’action politique en cours, on en souligne toute l’importance. Dans les moments graves de la vie nationale, le discours du pouvoir laisse entendre ce qu’il fait, plus précisément comment il s’arrange pour ne pas tenir compte de ce qui a lieu, pour éviter ce qui crève les yeux de bon nombre. En voulant limiter les dégâts de sa politique, le pouvoir est comme contraint de les évoquer latéralement : par des intonations de voix, par des formules rhétoriques, par diverses injonctions, par un mutisme trop fortement maintenu. Tout cela parle de toutes les manières possibles et les citoyens ne sont pas des domestiques : ils n’ont pas besoin d’écouter aux portes.
Dernier ouvrage : «Paul ou les ambiguïtés» (éditions de l’Olivier).


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