La défense territoriale du Québec (3)

L'affaire de tous les citoyens aptes

La volonté a besoin des bases de l'État

Tribune libre

Il va de soi en partant que personne ne veut d’une guerre de l’indépendance du Québec, sauf qu’il en est des guerres comme des cancers : ils s’insinuent et éclatent alors qu’on ne s’y attend pas. Ce que les Québécois et les Québécoises doivent savoir en partant, c’est qu’une guerre ne commence pas lorsque des armes et les armées font leur apparition.
En pathologie médicale, nous savons que, lorsqu’un abcès cancéreux crève, c’est signe que le cancer était là depuis longtemps. De même lorsqu’une guerre éclate, la phase d’éclatement étant la phase finale d’une guerre, donc lorsque les armes et les armées font leur apparition, c’est que, la guerre comme telle remonte au moins à quarante ans en arrière et souvent beaucoup plus loin, une distance dans le temps qui peut aller jusqu’à cent ans.
Pourquoi aussi loin que cent ans en arrière? Parce que la guerre a son point d’origine dans la VOLONTÉ, entendez volonté de possession et de domination qui se transmet de génération en génération tant qu’une autre volonté, plus forte, n’est pas venue y mettre le frein.
Le Prussien Karl von Klauzewitz a défini la guerre comme une violence destinée à briser une volonté adverse et la soumettre à une autre, ce qui, à mon avis, est la meilleure définition à n’avoir jamais été donnée de la guerre, parce que Klauzewitz va droit à l’élément central et essentiel dans toute guerre : une implacable volonté de posséder, de dominer et de s’imposer à tout prix.
Or, la volonté est une faculté inorganique et un facteur majeur de continuité dans l’existence. Il ne faut pas confondre la volonté avec l’instinct primitif, car la volonté, pour agir, a besoin d’une conscience éclairée que ne connaît pas l’instinct.
Inorganique, la volonté humaine ne peut agir et, comme telle, n’a aucun effet immédiat. Pour agir et passer à l’action d’envergure, ce dont l’instinct est incapable, la volonté doit emprunter tous les moyens organiques du corps qui ne fait qu’un avec l’univers matériel qui l’entoure, et dont les deux caractéristiques principales sont le hasard et la nécessité. Ces caractéristiques inscrites dans la nature incitent la volonté à l’action consciente dont l’envergure dépasse l’univers organique de l’instinct.
Ce qui veut dire que, pour agir avec très grande envergure, y compris la conduite d’une ou de plusieurs guerres qui brisent et soumettent les volontés adverses, la volonté a besoin des assises de l’État. Pourquoi?
Parce que l’État, entité architectonique et ontologique ou existentielle de grande envergure, est déjà le produit à long terme d’une volonté tenace, qui s’exerce de génération en génération depuis plusieurs siècles.
De plus, l’État dispose d’une logistique d’envergure que ne connaissent ni la nation sans État, ni la tribu, le clan ou la famille. Plus proches de l’instinct de nature, ces sociétés peuvent se livrer à des violences armées, mais n’ont pas l’envergure pour conduire des guerres à long terme comme les États peuvent le faire. Leurs guerres se limitent à de courtes escarmouches.
Sans logistique, il n’y a pas de guerres au sens que l’humanité a vécues au cours des dix derniers millénaires. La logistique est liée à la construction même de l’État.
La définition de Klauzewitz, qui fait graviter la guerre autour de la volonté, est la plus adéquate que j’aie pu trouver en cinquante ans d’étude et de pratique en géographie volontaire, en géopolitique et en polémologie.
Quant à la logistique, il en est question chez d’autres auteurs qui se sont penchés sur le phénomène de la guerre, mais les historiens des guerres ne s’intéressent pas à la logistique, ce en quoi ils ont tort, car, pour comprendre une guerre, il faut comprendre à la fois les mécanismes intangibles de la volonté et la logistique dans ce qu’elle comporte de plus tangible.
Volonté inorganique, informée par une intelligence capable de prendre ses distances par rapport à l’univers concret et organique pour mieux le voir, développements matériels et formels qui créent les États dans des conditions spécifiques à chacun (radicalité, ipséité, semelfactivité, continuité et suprématie de la réalité), sont donc à l’origine des grands progrès de l’humanité, mais aussi de ses misères et de ses guerres que ne connaît pas le monde organique de l’animal. Tant qu’on n’a pas compris l’État et la logistique, leurs possibilités matérielles et formelles et leurs limites, on n’a rien compris aux conflits majeurs et aux guerres.
La solution aux problèmes des guerres passe par les treize principes de stratégie d’État dont l’exposé se trouve dans deux de mes ouvrages. Nous y reviendrons.
Abordons maintenant le sujet qui nous intéresse : la souveraineté du Québec et les possibilités d’une guerre d’indépendance du Québec que nous voulons éviter d’une manière ou de l’autre.
Avant d’entrer au coeur d’un sujet aussi difficile et épineux que la guerre et la défense territoriale, il convient de tenir compte de deux facteurs préliminaires :
1. La défendabilité naturelle du territoire du Québec.
2. Le peu d’utilité pour nous du système de défense mis en place par les Britanniques et imposé dans toute l’Amérique Britannique du Nord.
La défendabilité naturelle du territoire du Québec est expliquée sommairement dans Géopolitique et avenir du Québec et aussi dans Défense territoriale pour la nation et l’État du Québec. La preuve est dans le territoire lui-même. Comment avons-nous pu survivre et progresser dans l’adversité si le territoire ne se défendait pas presque tout seul en premier lieu?
Parce que le Québec est très peu accessible, recouvert de gigantesques obstacles rocheux, que son climat est trop froid trop longtemps, qu’il est un territoire presque isolé au nord des Amériques, nous, descendants des colons de Nouvelle-France, avons non seulement survécu envers et contre l’hostilité outrancière des Anglais, des Loyalistes et des Orangistes, mais nous avons progressé continuellement jusqu’à devenir nation et constituer les assises de notre propre État. Nous avons réalisé sur notre territoire une osmose qui a échappé à nos ennemis, trop occupés à faire la guerre à la Nouvelle-Angleterre et après aux États-Unis.
Deuxièmement : les dispositions militaires prises par l’Angleterre pour garder en tutelle sa colonie d’Amérique, comme toutes les autres colonies, ne sont pas adaptées aux exigences des temps actuels.
Le camp militaire est une solution dépassée dans les conditions actuelles. Le camp militaire est un concept colonial, conçu comme un grand poste de police, pour surveiller la colonie et au besoin, descendre en « ville » frapper les coloniaux insoumis, jusqu’à éliminer des castes ou classes sociales complètes, afin de rétablir la « loi et l’ordre » nécessaire à l’exploitation des richesses de la colonie sans que personne n’y oppose la moindre objection.
Dans un Québec souverain, la défense territoriale doit être, et ne peut être, que le fait de tous les citoyens aptes (modèle suisse), et non d’une poignée de soldats isolés dans des camps, prêts à intervenir à la moindre alerte contre une population qui a décidé que le territoire qu’elle a colonisé, développé et mis en valeur est son fief et qui entend le défendre.
Nous reviendrons avec plus de détails sur ce sujet.
JRM Sauvé

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René Marcel Sauvé217 articles

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J. René Marcel Sauvé, géographe spécialisé en géopolitique et en polémologie, a fait ses études de base à l’institut de géographie de l’Université de Montréal. En même temps, il entreprit dans l’armée canadienne une carrière de 28 ans qui le conduisit en Europe, en Afrique occidentale et au Moyen-Orient. Poursuivant études et carrière, il s’inscrivit au département d’histoire de l’Université de Londres et fit des études au Collège Métropolitain de Saint-Albans. Il fréquenta aussi l’Université de Vienne et le Geschwitzer Scholl Institut Für Politische Wissenschaft à Munich. Il est l'auteur de [{Géopolitique et avenir du Québec et Québec, carrefour des empires}->http://www.quebeclibre.net/spip.php?article248].





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