Après la prise du fort Beauséjour tout un plan avait été mis en place pour déloger définitivement les Français d’Acadie. Dès lors, ceux qui parmi eux n’étaient pas passés de l’autre côté de l’isthme de Chignectou, c’est-à-dire du côté français, allaient se retrouver seuls, livrés sans défense aux troupes anglaises.
Cette opération de grande envergure avait en effet pour but de faire partir complètement les habitants français de la Nouvelle-Écosse, en les emmenant, en petits groupes dispersés, sur les côtes des colonies anglaises où « ils allaient devoir travailler dur pour survivre, tandis que tous les enfants seraient placés de leur côté dans différentes familles anglo-saxonnes pour être mis en apprentissage, ce qui ne pourrait qu’accélérer leur assimilation en leur faisant peu à peu oublier leur langue, leur religion et leur nationalité… »
Charles Lawrence, devenu alors gouverneur de la Nouvelle-Écosse, et son Conseil avaient décidé de les déposer sur tout le territoire de la Nouvelle-Angleterre, depuis le Massachusetts jusqu’à la Géorgie. Cette dispersion ne leur permettrait pas de se regrouper aisément, mais en même temps, en se retrouvant si loin de chez eux il leur serait pratiquement impossible de retourner en Acadie ou encore de rejoindre les forces françaises à Louisbourg ou ailleurs en Nouvelle-France.
William Shirley assura qu’il pourrait livrer suffisamment de navires pour transporter sept mille personnes. Sur les dix-huit-mille Acadiens près de six mille avaient déjà réussi à sortir de Nouvelle-Écosse entre 1749 et 1752, quelques milliers s’étaient réfugiés en Nouvelle-France, soit vers la Baie des chaleurs, la Ristigouche, la Gaspésie ou les bords du Saint-Laurent (Cacouna ), mais également dans les îles proches, les îles de la Madeleine ou l'île Saint-Jean, (Prince-Édouard). De même, à la veille de la déportation, d’autres Acadiens réussirent à s’échapper encore. L’abbé le Guerne avait vivement encouragé les villageois de Chipoudy, Petit Codiac et Memrancook à aller se cacher dans les bois.
Charles Lawrence après le jugement donné le 28 juillet 1755, expliqua clairement dans une lettre comment les choses allaient se passer: «Je proposerai aux Acadiens le serment d'allégeance une dernière fois. S'ils le refusent nous aurons dans ce refus un prétexte pour les expulser. S'ils l'acceptent, je leur refuserai le serment en appliquant un décret qui interdit à quiconque ayant déjà refusé de prêter le serment d'allégeance de le prêter...DANS LES DEUX CAS, JE LES DÉPORTERAI!»
Ainsi il n’y a plus aucun doute, la déportation des Acadiens, mais également la décision de mesures afin d’empêcher leur retour, sont non seulementc totalement préparées, mais inéluctables. Les ordres vont rapidement être données pour procéder au rassemblement des habitants français d’Acadie afin de les aviser purement et simplement de leur expulsion, non seulement de chez eux, mais aussi de leur propre pays !
Des soldats anglais se rendent dans les villages acadiens, rassemblent la population et la mettent en demeure de prêter serment ou de quitter le pays. Dès le 9 août au Fort Beauséjour, devenu à présent le fort « Cumberland », quatre cents Acadiens sont convoqués sous le prétexte fallacieux d’une rencontre, portant sur la conservation de leurs terres. Une fois réunis, ils sont tous immédiatement faits prisonniers et embarqués sur les bateaux. Cela se passera de la même façon à Grand Pré, le lieutenant-colonel John Winslow avait soigneusement rapporté les faits dans son journal ainsi que la déclaration qu’il avait faite aux habitants rassemblés dans leur petite église ... «Je dois vous faire connaître les ordres de sa Majesté d’Angleterre. Vos terres, vos maisons, votre bétail et vos troupeaux de toutes sortes sont confisqués au profit de la Couronne avec tous vos autres effets, excepté votre argent et vos meubles, et vous-mêmes devez être transportés hors de cette province».
Partout, les Acadiens sont totalement incrédules et stupéfaits par ces terribles annonces mais ils n’ont aucune possibilité de demander des explications, puisque sur le champ ils sont emmenés entre deux haies de soldats et conduits d’autorité sur les bateaux. Ainsi villages après villages les malheureux Acadiens, séparés de leur famille vont être faits prisonniers puis transportés sans savoir vers quelle destination, par vagues successives vers l’une ou l’autre des colonies anglaises de Nouvelle-Angleterre.
La résistance de tous ceux qui avaient fort heureusement pu s’enfuir s’organisa néanmoins, largement soutenue et aidée par les Canadiens, par les Français et par les Amérindiens, en particulier par les Micmac. Cette résistance a été beaucoup plus considérable que ce qu’elle a pu paraître au premier abord, sans doute parce que durant longtemps ils se sont eux-mêmes désignés comme « Neutres » mais peut-être aussi à cause de ces images effrayantes, si violentes, de tous ceux qui sans pouvoir s’y opposer ont été poussés entre deux rangs de soldats anglais et entassés sur des bateaux !
Pourtant la résistance a bien eu lieu, elle a été très importante, même si bien évidemment cela entraînait des représailles sévères de la part des Anglais qui brûlaient leurs maisons, leurs champs et leur bétail.. Ils devaient alors s’enfuir et se réfugier à Beaubassin pour ne pas se faire prendre. Ils ont tout tenté pour ne pas se laisser écraser par l’agresseur; ils ont été aidés par le gouverneur de la Nouvelle-France qui envoyait des régiments auprès d’eux et par des Français intrépides et généreux tels Charles de Boishébert ou Joseph Broussard dit Beausoleil, ainsi que par des prêtres comme l’abbé le Guern ou Le Loutre… et bien d’autres encore... Ce sera une guérilla sans relâche dans les zones britanniques, ce qui obligera ces dernières à conserver de nombreuses troupes, pour surveiller les frontières du Nord-Est. Même plus tard, alors qu’il y aura eu la cession de la Nouvelle-France, cela n’arrêtera pas les rescapés acadiens qui ne voulaient toujours pas se rendre aux Anglais, après ce qu’ils avaient subi !.
Les Acadiens ont donc été nombreux à lutter pour résister à cette déportation inique. En effet certains de ces bateaux qui les transportaient comme du vulgaire bétai, ont subi des mutineries. C’est ainsi qu’ils ont réussi à en détourner quelques-uns car il ne faut pas oublier que beaucoup d’entre eux étaient de véritables marins. Ils connaissaient certainement beaucoup mieux la mer, que les pilotes anglais qui venaient dans ces parages pour la première fois.
La France et la Nouvelle-France apportèrent leur soutien en envoyant des troupes, comme nous l’avons vu. C’est ainsi qu’une autre figure importante était arrivée en Acadie, un jeune officier canadien français d’à peine dix-neuf ans, Charles Deschamps de Boishébert. Son oncle Nicolas Roch de Ramezay commandait l’expédition devant rejoindre l’escadre du duc d’Anville en 1746…. Charles de Boishébert ne cessera pas d’aider l’Acadie. Il maintint lui aussi la pression sur les Britanniques, tout comme tant d’autres aussi valeureux dont avaient tant besoin les Acadiens. Il tentera sans beaucoup de moyens de protéger toute la région s’étendant de la rivière St-Jean à la Baie Verte, on le retrouvera partout, se glissant d’un endroit à un autre avec une agilité calquée sur ses amis amérindiens, surgissant, frappant et disparaissant…se déguisant même parfois en véritable Acadien pour mieux se fondre dans la population.
Les différentes attaques du colonel Scott contre Boishébert se soldant par des échecs, mais aussi tous les actes de résistance des Acadiens, exaspéreront les Britanniques. Ils redoubleront alors de brutalité pour se venger sur le peuple acadien insoumis. « Puisque les Acadiens résistent, assimilons-les aux « sauvages » et scalpons les ! »
Sur cette demande de Scott, Lawrence fit une proclamation : « 30 livres pour tout prisonnier indien, 25 pour toute prisonnière ou enfant, 25 pour tout scalp indien, ou prétendu tel ».
Lorsque le fort Beauséjour tombera en 1755 entre les mains anglaises, le fort Gaspareau suivra, mais ce ne sera pas le cas du Fort La Tour car Boishébert faisant exploser celui-ci empêchera de ce fait les Anglais de contrôler la région… La guerre de partisans, appelée « petite guerre », avait porté tant de fois ses fruits en Nouvelle-France, qu’elle permettra aussi aux Français de maintenir pendant cinq ans, en Acadie, une pression sur les troupes d’occupation. Le projet d’éradication de la présence française dans la région ne pourra jamais être réalisé dans sa totalité.
Pendant ce temps le gouvernement britannique poursuivait néanmoins les déportations. Les plus dures et les plus importantes allaient avoir lieu de septembre à décembre 1755, cette ignoble expulsion d’êtres humains sera dénommée pudiquement « le Grand Dérangement ».
Ces malheureux proscrits seront transportés de force, arrachés à leurs familles, à une vie agréable et organisée, sans qu’ils aient eu le temps d’emporter quoi que ce soit avec eux. Pour être certains qu’ils ne reviendraient pas, les Anglais s’acharnèrent à brûler leurs fermes, leurs troupeaux, leurs granges, leurs cultures, leurs églises et tous leurs villages. Ils les entassèrent sur des bateaux, séparant les familles, les femmes, les enfants, les hommes, et ils les déportèrent sans un seul serrement de cœur.
John Winslow, le capitaine anglais chargé de la déportation des habitants du village de Grand Pré, écrira dans son journal combien c’était « pénible pour lui », d’arriver à faire correctement « son travail » pour obliger tous ces gens à monter sur les bateaux au milieu des cris, des pleurs de tous ceux qui étaient arrachés à leurs familles, sans savoir où on allait les emmener, ainsi que ceux qui étaient dans le plus grand désespoir en apercevant depuis les bateaux, déjà en pleine mer, leurs maisons au loin, en flammes…
Le gouverneur de la colonie de Nouvelle-Angleterre, du Massachusetts, William Shirley, joua un rôle non négligeable dans ces horreurs. Il influença Charles Lawrence, alors même qu’il n’était encore que lieutenant-colonel de la Nouvelle-Écosse, et avec lui tous les extrémistes protestants puritains, ceux-là mêmes qui jalousaient plus que tout les Français d’Acadie, ne désirant qu’une chose, s’emparer de leurs terres, poussant à cette éradication des Acadiens, sans retenue ! Des bateaux trop surchargés firent ainsi naufrage au milieu des tempêtes avec tous leurs passagers. D’autres amenèrent leur triste cargaison dans les colonies de Nouvelle-Angleterre qui n’en voulaient pas. Ces colons les maltraitèrent tels de vulgaires prisonniers dont ils espéraient même toucher des indemnités de Londres et sur qui ils n’hésitaient pas à tirer lorsque certains, voulant fuir cette vie misérable, essayaient de tenter, coûte que coûte, de rejoindre la Nouvelle-France.
Pour cela beaucoup n’hésitèrent pas à franchir à pied les huit cents kilomètres ou davantage, depuis la Caroline, le Maryland ou la Virginie. Les Anglo-saxons protestants leur faisaient subir les pires humiliations du fait de leur religion catholique… un peu moins dans la colonie du Maryland, cette terre de Mary, ancienne reine anglaise catholique, où il se trouva davantage de personnes compatissantes envers le malheur de ces Français d’Acadie !
Des navires chargés de prisonniers acadiens prirent aussi la direction de Londres, là encore certains n’arrivèrent jamais à destination, les prisonniers ayant été si entassés dans les cales, certains bateaux trop surchargés coulèrent eux aussi en haute mer. Quant à ceux qui atteignirent Londres, les Acadiens furent enfermés durant plus de sept ans dans les geôles de la capitale anglaise jusqu’à ce que le roi de France parvienne, après le traité de Paris et grâce à des négociations, à les faire traverser la Manche et à revenir en France.
D’autres bateaux gagnèrent les côtes françaises. En France, les autorités mirent tout en œuvre pour loger et donner des terres où installer ces pauvres réfugiés mais cela prit néanmoins énormément de temps, ne permettant pas à tous d’apprécier vraiment dans ces conditions leur retour sur le sol de leur mère patrie. Puis, après plusieurs années, ayant enfin eu des nouvelles de membres rescapés de leurs familles, éparpillés dans les colonies anglaises d’Amérique, ils apprirent que certains avaient réussi à atteindre la Louisiane. Alors le désir fou de les retrouver poussa certains d’entre eux à s’embarquer et à retraverser l’océan.
Parmi tous les Acadiens, il y en a eu plus de quatre mille qui réussirent à s’échapper dans les bois et à ne pas être déportés; ils survivront grâce aux Amérindiens Micmac et Etchemin. Tout en essayant de s’éloigner de leur Acadie envahie par les ennemis d’Angleterre, ils ont tenté de remonter eux aussi vers la Nouvelle-France. Ils pouvaient facilement se cacher dans les bois et le long des rivières, aidés des Amérindiens, mais les Anglais, même plusieurs années encore plus tard, les recherchaient toujours, sachant qu’ils étaient en nombre élevé au fond des bois. Tous essayaient d’échapper aux rafles anglaises en se dirigeant vers la Nouvelle-France mais beaucoup sont morts d’épuisement, de faim ou encore de froid. Ils passèrent l’hiver 1756-57 à Miramichi, soutenus par l’officier canadien français Charles de Boishébert, et ses troupes. Il avait été envoyé par le gouverneur de la Nouvelle-France pour leur venir en aide en installant un camp de réfugiés aux fourches même de la rivière Miramichi, le camp de l’Espérance, où les Acadiens s’étaient regroupés avec les Amérindiens.
Cet endroit leur convenait, cela ne les éloignait pas trop de leur pays d’Acadie où, au milieu d’une telle adversité, l’espoir de pouvoir y retourner un jour les soutenait. Pourtant l’hiver fut si rude à Miramichi, la nourriture manqua si cruellement, le froid fut si terrible, qu’ils en furent réduits à manger le cuir de leurs bottes pour survivre, en attendant les secours. Ils furent nombreux à mourir !
De son côté, Charles Lawrence sera grandement récompensé en devenant gouverneur de la Nouvelle-Écosse en 1756, ce qui lui permettra de continuer à poursuivre et à déporter tous les Acadiens possibles en les faisant rechercher jusqu’au plus profond des bois. Cet homme décédera en 1760 après un simple coup de froid., L'histoire le condamnera jusqu’à la fin des temps pour son manque total d’humanité.
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Toutes ces horreurs perpétrées contre d’autres êtres humains auront été non seulement monstrueuses mais infructueuses et de plus totalement inutiles pour les Anglais !
En effet, cette déportation, qui engendra tant de malheurs et de drames pour un si grand nombre de personnes et de familles, s’est révélée en fin de compte tout à fait superflue puisque en 1763 le traité de Paris cédera la totalité de la Nouvelle-France aux Anglais.
Prochainement: troisième et dernière partie.
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4 commentaires
Archives de Vigile Répondre
2 août 2014Je joins les propos de Mr Parent.
Oui merci de nous rappeler comment nous avons été traité comme des bêtes.
À vous lire chère Dame j'en ai les larmes aux yeux. Quelle tristesse et quelle rage m'habite encore.
Archives de Vigile Répondre
2 août 2014Quand je parle dans mon commentaire du napalm répandu sur les villages par les bons Américains, j'avais oublié d'ajouter une photo célèbre d'enfants fuyant leur village incendié et particulièrement de la petite fille brûlée par ce napalm, photo qui, à l'époque, avait fait le tour du monde. Ça se passe de commentaire. Loin d'avoir appris, Israël remet ça aujourd'hui, preuve que la sauvagerie humaine n'est pas en voie de disparition. C'est ça le capitalisme sauvage.
Ivan Parent
Mario Boulet Répondre
2 août 2014Merci Madame Morot-Sir! On comprend mieux à présent l'engouement que les Canadiens Anglais octroie à l'État d'Israël pendant le conflit contre la Palestine. Autre temps, autres moeurs? Nous n'en sommes pas moins sûrs!
Archives de Vigile Répondre
1 août 2014Mme. Morot-Sir,
Il est très émouvant de lire de lire la narration de tels événements, fussent-ils lointains. Votre style d'écriture rend, par contre, la lecture de l'Histoire, de cette Histoire, beaucoup plus facile. Il est tout de même étrange que l'on rencontre dans nos villes, des lieux, des rues, des places portant le nom de ces "bouchers" anglais. La plupart du temps, je crois que cela passe inaperçu aux yeux des citoyens pas très au courant de l'Histoire. Ce qui m'a aussi frappé dans votre texte historique est l'aide importante et très humaine apportée par les amérindiens, que l'on qualifiait, il n'y a pas si longtemps, de "sauvages". Plusieurs robes noires de l'époque hésitaient même à leur reconnaître une âme. Quelle ignorance!
On croirait que l'être humain s'est amélioré. Nenni. Ses techniques de meurtres et d'assassinats ont, par contre, très évolué. On ne nolise plus de bateaux pour se débarrasser de populations encombrantes, on les élimine en masse, tout simplement. L'état criminel d'Israël nous en donne quotidiennement des exemples patents, bombardements d'hôpitaux, d'écoles et de quartiers densément peuplés; encore moins d'humanité qu'au temps des Anglais en Acadie. Tout est mis à feu et à sang, un génocide planifié. Quand les Américains ont répandu le produit mortifère fabriqué par Monsanto, le napalm, ils ont brûlé des villages entiers avec leurs populations. Tous brûlés vifs, par centaines, par milliers. On ne parle pas ici d'événements vécus il y a des centaines d'années, cette guerre s'est terminée le 30 avril 1975. Au niveau de l'histoire, c'est très récent.
Tout le monde, ici au Québec, connaît ou a entendu parler de la déportation des Acadiens, peu cependant en connaissent les détails. J'ai beaucoup de gratitude envers vous de nous éclairer ainsi sur des pans marquants de notre Histoire. Je vous invite à écouter une magnifique chanson évoquant cette horreur. Un grand merci à vous Mme. Morot-Sir
Ivan Parent
http://www.youtube.com/watch?v=ihwnTAFgaOA