Jour J - 20 : De grâce, lâchez-vous le TU !

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Le vouvoiement, signe de civilité

Plus que deux jours avant le premier débat télévisé au cours duquel Philippe Couillard, Jean-François Lisée, François Legault et Manon Massé vont présenter leurs positions aux Québécois.



Au cours des deux prochaines journées, les aspirants au poste de premier ministre vont accélérer leur préparation à ces débats et prendre des décisions stratégiques quant au style qu’ils vont adopter. 



De grâce, je vous en conjure, choisissez le VOUS !



Quand le TU tue le décorum



Dans un billet de 2017, Mathieu Bock-Côté offrait de nombreux arguments en faveur d’un usage plus généralisé du vouvoiement, en politique comme dans la vie de tous les jours. 



Sans vouloir répéter ses propos, je ne peux qu’abonder en faveur du vouvoiement, surtout dans des contextes plus formels.



D’ailleurs, à l’Assemblée nationale, on pousse même le décorum jusqu’à employer le titre d’une personne plutôt que son nom. Par exemple le chef de l’opposition officielle, ou le député de Rosemont. C’est plus formel et moins familier que Jean-François ou J-F. À cela, il y a quelque chose de bon.



Certains détestent le vouvoiement entre ceux qui se connaissent personnellement. Pour ma part, j’y vois une marque de respect et une distance parfois salutaire.



On l’entend notamment sur les ondes de la radio et à la télévision de Radio-Canada. Le vouvoiement invite au décorum et ouvre la porte à des discussions qui peuvent être vives sans tomber dans la familiarité ou la vulgarité.



« Allez vous faire foutre », bien qu’équivalent, est toujours plus délicat que « Va donc chier ».



Les fausses intimités



Quand on choisit de tutoyer quelqu’un, on choisit d’entrer dans son intimité. On fait fondre les frontières qui peuvent exister entre deux personnes et on efface les distinctions hiérarchiques ou sociales. 



Pourtant, dans bien des domaines, ces distinctions sont saines et essentielles. Vouvoyer un agent de la paix ou un juge, c’est une évidence pour la majorité d’entre nous. Vouvoyer ses aînés quand ce ne sont pas des proches dénote le respect envers eux. Même chose en entreprise. Quand le big boss débarque, le « vous » devrait être tout naturel.



Respect factice ou distance sincère ? Là est souvent la question.



Plusieurs vont expliquer qu’à leurs yeux, personne n’est au-dessus de quelqu’un d’autre. À cela, je suggère que si tout le monde traite les autres avec des petites marques de politesse tout à fait gratuites, l’ordre social n’en sera que meilleur.



Entrer dans une boutique pour se faire tutoyer « gros comme le bras » donne immédiatement envie de déguerpir, avouons-le.



Mais les politiciens se côtoient chaque jour. Ne serait-il pas plus naturel qu’ils se tutoient ?



Dans les circonstances d’un débat, l’emploi du « vous » est d’autant plus important. Il accorde une distance nécessaire quand les affrontements deviennent émotifs, aident à éviter la personnalisation des attaques et contribuent à maintenir un décorum de plus en plus rare de nos jours.



Par-dessus tout, le choix du « vous » redonne ses lettres de noblesse à la joute oratoire, à l’art du débat, à ce bonheur perdu qu’est celui de la discussion, de la confrontation d’idées et de l’argumentation.



Comme l’écrivait Frédéric Vitoux de l’Académie française dans son Éloge du vouvoiement (ou du voussoiement) :



 Le “tu” qui prévaut de plus en plus aujourd’hui simplifie ou, pis, uniformise le langage et les rapports entre les individus. On ne se méfie jamais assez des uniformes. Du tutoiement obligatoire des “camarades”, comme des bourreaux et de leurs victimes. De ce qui rend en bref la société unie, semblable, obéissante, obligatoire. Au risque d’inventer un néologisme intrépide, je dirais que le tutoielitarisme est un totalitarisme.



Madame et messieurs les candidats, de grâce, au moins le temps des débats, lâchez-vous le TU !