Je me souviens... pas trop!

Coalition pour l’histoire

Devant l'église de Saint-Eustache, la cégépienne Élisabeth Lefebvre illustre avec ironie la méconnaissance que les élèves ont de leur propre société, alors qu'ils engrangent une foule de connaissances sur des pays lointains.
L'enseignement de l'histoire nationale et politique du Québec ne serait plus bientôt qu'un lointain souvenir
Dans une scène qui lui vaudrait un Oscar, la cégépienne Élisabeth Lefebvre s'adresse à la caméra, assise devant l'église de Saint-Eustache... «Vous savez qu'il y a un trou dans l'église ici? Je sais qu'il est un peu important, vu qu'il y a une plaque à côté qui parle de quelque chose, mais j'ai jamais vraiment compris pourquoi il est important! Pourtant j'habite juste à côté, au bout de la rue. J'ai été baptisée dans cette église-là.... Je sais d'autres choses. J'ai appris plein de choses à l'école. J'ai appris en quelle année il y a eu une révolution en France, en quelle année Guillaume le Conquérant est arrivé en Angleterre, mais je ne sais pas ce qui est arrivé dans l'église à côté de chez moi!»
Cette scène, suave et ironique à souhait, est tirée de l'un des deux vidéos produits l'automne dernier par les élèves du prof de sociologie Stéphane Chalifour du collège Lionel-Groulx, qui portaient sur les ratés de la réforme des cours d'histoire du Québec.
Dix cégépiens, répartis en deux équipes, ont travaillé parallèlement sur la réforme des cours d'histoire au secondaire et sont allés à la rencontre d'historiens connus et reconnus, enseignants à l'université et dans les collèges, pour recueillir leurs témoignages.
Le constat, pratiquement unanime, qui se dégage des vidéos «Je me souviens?» et «Amnésie québécoise» est franchement désolant quant à l'avenir de l'enseignement de l'histoire nationale du Québec au niveau secondaire tout particulièrement.
Enseigner l'histoire ou raconter des histoires?
Le cours Histoire et éducation à la citoyenneté issu du renouveau pédagogique délaisse l'enseignement de l'histoire politique du Québec et du Canada, tel que la plupart d'entre nous l'avons connu, pour ménager une grande place aux droits de divers groupes sociaux et des minorités: les femmes, les autochtones, les minorités ethniques, etc.
«Il n'y a plus d'histoire politique. Il y a une histoire des femmes, des Noirs, des immigrants, des travailleurs. Les identités ont explosé. Et il n'y a plus d'histoire commune», explique Claire Portelance, doctorante en politique et enseignante à Lionel-Groulx. L'historien Charles-Philippe Courtois, prof au Collège militaire de St-Jean, renchérit: «Beaucoup de grands éléments de notre histoire sont négligés au profit de l'histoire de la diversité.»
Dans la vidéo «Je me souviens?», les étudiants dressent une liste de thèmes historiques mis de côté avec le cours d'histoire réformé: la Nouvelle-France et les Patriotes, l'Acte d'Union de 1840, la conscription forcée de 1917, le rapatriement de la Constitution de 1982, les rapports conflictuels entre les peuples fondateurs, l'Acte de Québec, etc.
De plus, le cours Histoire et éducation à la citoyenneté qui s'étale sur deux ans, prend une forme chronologique en secondaire 3, puis thématique en secondaire 4, d'où beaucoup de confusion et un sentiment de répétition chez les étudiants, note l'historien Éric Bédard.
Crise d'identité, perte de repères
«Le nouveau cours ne favorise pas la transmission de repères communs pour comprendre l'évolution du Québec comme collectivité nationale au sein du Canada», juge l'historien Charles-Philippe Courtois. De son côté, Éric Bédard parle de déracinement chez les jeunes Québécois de souche qui suivront le cours et, d'une incompréhension de leur société d'accueil, pour les jeunes qui viennent d'autres cultures. «L'étudiant n'est pas amené à connaître sa propre société et l'histoire de son cheminement», affirme l'historien Robert Comeau.
Pourtant, pourtant... L'une des deux vidéos met en conclusion cette citation qui devrait faire réfléchir: «On ne choisit pas son passé, mais on peut l'accepter ou le refuser ou prendre appui sur lui pour en faire autre chose. Et la seule façon de s'en affranchir, c'est d'abord de le connaître.» (Rapport final de la Commission des États généraux sur l'éducation)
Selon un intellectuel bien à la mode interviewé par les étudiants, le sociologue Mathieu Bock-Côté de l'UQAM, c'est le virus de la mauvaise conscience qui expliquerait ces ratages des cours d'histoire! Le virus de la mauvaise conscience c'est «quand une société est persuadée que son histoire n'a aucune valeur, qu'elle a une histoire coupable... Pourquoi raconter l'histoire d'un peuple dont l'expérience ne vaut rien?» Mathieu Bock-Côté aurait-il raison?
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(«Je me souviens?» a été produit par Élisabeth Lefebvre, Patricia Dagenais, Audrée Marcoux-Charest, Dérek Nolet-Regaudie, Samuel Néron, Claudie-Anne Bourgoin; «Amnésie québécoise» est l'oeuvre d'Audrey Dagenais-Soufflet, Kim Girard, Maxime Vaillancourt, Pierre-Olivier Sauvé et Julien L. Berthelet)


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