Derrière elle, hier matin, dans une petite salle communautaire, il y avait les affiches de ses précédentes batailles électorales, toutes remportées sans exception. Un concentré de l'évolution du Parti québécois et de sa fidèle représentante depuis plus d'un quart de siècle, avec la même tête souriante aux cheveux courts mais de plus en plus blancs. Au début de la dernière décennie, le logo du PQ avait disparu pour ne laisser qu'elle en vedette. Sous Lucien Bouchard, soudainement, le nom du chef empiétait sur le sien...
Il ne s'en ajoutera plus d'autres. Louise Harel, doyenne des femmes députées de l'Assemblée nationale, élue et réélue dans la circonscription d'Hochelaga-Maisonneuve depuis 1981 sans interruption, a annoncé hier matin qu'elle ne suscitera [sic] pas un neuvième mandat. Le déclenchement de nouvelles élections est attendu mercredi prochain.
La vieille routière, toujours aussi verte par rapport à ses convictions nationalistes, a expliqué cette décision capitale par la santé qu'elle juge retrouvée de sa formation politique, un contexte favorable lui laissant la chance de se reposer. «Je ne me serais jamais autorisé à quitter la politique si je pensais le Parti québécois menacé ou en danger, a-t-elle dit. [...] Mais je suis convaincue que le Parti québécois est entre bonnes mains avec Pauline Marois.»
Elle ne part pas la mort dans l'âme, bien au contraire. «Je peux vous dire que l'adage voulant qu'on quitte la politique plus difficilement qu'on y entre est vrai», a-t-elle déclaré d'entrée de jeu devant plus d'une centaine de chaleureux partisans qui l'ont chaudement applaudie avant et après son discours. «J'ai follement aimé ce métier de député que je pratique depuis 27 ans. Malgré le cynisme ambiant à l'égard des politiciens, je crois que l'on peut faire de la politique avec intégrité, avec humanité et rester fidèle à ses idées.»
Avec Louise Harel, c'est aussi toute une époque qui bascule. Née dans les Basses-Laurentides d'un père enseignant et d'une mère coiffeuse (prénommée Mignonne), admiratrice d'André Laurendeau dès le début de l'adolescence (elle collectionnait ses éditoriaux du Devoir), soeur du rockeur Pierre Harel, elle étudie la sociologie puis le droit dans les marxistes années 1960 et commence en même temps son militantisme au sein de l'Union générale des étudiants du Québec et du Rassemblement pour l'indépendance. Elle s'inscrit au PQ dès 1970 et y devient vite employée permanente, responsable de la documentation. Elle fait alors la vie dure au chef-fondateur René Lévesque, qui le lui rend bien, l'ancien libéral demeurant allergique aux gauchistes de son espèce: elle lance une campagne pour syndiquer ses collègues employés du parti; le chef réplique en congédiant le comité de négociation au grand complet.
La tendance à exprimer sa dissidence au sein de la formation s'affermira comme un des leitmotiv de sa longue carrière, y compris comme députée et comme ministre. En 1982, elle s'avère la seule du cabinet à s'abstenir au moment du vote sur les lois 70 et 111 imposant une ponction de 20 % aux salaires des fonctionnaires, forçant le retour au travail des enseignants en grève. De même, deux ans plus tard, elle claque la porte du conseil des ministres 63 jours après sa nomination mais reste en poste comme députée quand René Lévesque se lance dans le «beau risque» du renouvellement du fédéralisme. Pierre Marc Johnson, le chef suivant aux convictions souverainistes encore plus molles, n'aura pas plus de chance avec la frondeuse. «J'ai été un peu rebelle toute ma vie, mais avec le consentement des gens», a-t-elle résumé hier en entrevue.
Ses neuf années au cabinet au sein de ministères «sociaux» lui permettent tout autant de garder le fort de ses convictions, en pleine poussée néolibérale et néoconservatrice. «Ce fut aussi une vie de ministre bien remplie dans six différents ministères, l'adoption de réformes dont je suis très fière: la Loi sur l'équité salariale, le transfert de la main-d'oeuvre et de 1100 fonctionnaires fédéraux, la création d'Emploi-Québec et des centres locaux d'emploi, les regroupements municipaux et la création de 63 nouvelles villes, le programme de logement abordable, la signature du premier contrat de ville entre Québec et Montréal et la désignation de 12 ex-quartiers ouvriers où des investissements urbains majeurs ont été réalisés.» Bonne joueuse, elle avoue des échecs notoires, dont la saga des fusions et défusions municipales.
La chef du parti, Pauline Marois, aurait tenté de retenir la battante, sans succès. «Elle a écrit à sa façon une page d'histoire par les responsabilités qu'elle a assumées», a-t-elle dit au cours d'un point de presse en vantant ses longs états de service.
Les deux femmes sont des amies de longue date, mais leurs styles demeurent on ne peut plus opposés. Chaleureuse et batailleuse, contestataire et entêtée, la députée de l'est de Montréal réside toujours dans sa circonscription pauvre, anéantie par la fin de l'âge industriel. «Toutes les anciennes usines sont devenues des condos», a-t-elle observé, de sa voix douce et apaisante, reconnaissable entre toutes. Elle a déjà confié que «les gens [l]'imaginent très grande avec une poêle à frire».
«Elle a de la pogne et c'est une main de fer dans un gant de velours», a dit au Devoir Françoise David, ancienne présidente de la Fédération des femmes du Québec, maintenant à la tête du parti Québec solidaire. Je peux dire que, malgré nos différends et quelques chicanes, je conserve une immense estime pour Louise Harel et je veux lui rendre un hommage sincère. En ces temps où les politiciens semblent interchangeables et changent effectivement d'un parti à l'autre, Louise Harel demeure un modèle de fidélité aux convictions et aux valeurs profondes, dont le féminisme.»
La nouvelle retraitée promet de ne pas jouer le «beau-père», une allusion aux «belles-mères», comme les anciens premiers ministres Jacques Parizeau et Bernard Landry, qui multiplient les interventions controversées sur le PQ. Elle ajoute qu'elle continuera son combat pour l'indépendance, la grande cause de sa vie. «Tant que la souveraineté ne sera pas faite, elle sera à faire. Il revient à chacun de nous de jouer un rôle, pas seulement aux partis et aux chefs.»
Selon La Presse canadienne, l'ex-députée péquiste Elsie Lefebvre tentera de succéder à Louise Harel dans la circonscription d'Hochelaga-Maisonneuve. D'autres personnes ont aussi témoigné leur intérêt pour représenter le Parti québécois dans Hochelaga-Maisonneuve, dont Carole Poirier, qui a travaillé dans la circonscription aux côtés de Mme Harel.
Louise Harel, elle, n'a aucun plan précis pour l'avenir, sauf pour des vacances après des décennies de travail acharné. Et puis après? «Je vais siéger jusqu'à mercredi. Je vais prendre un peu de temps pour moi parce que c'est un métier accaparant. Et après, je sens que j'aurai beaucoup de projets...»
J'ai follement aimé ce métier»
Louise Harel quitte la politique après 27 ans à l'Assemblée nationale
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