Intégrer plutôt qu’accommoder

Collectif Pierre-Le-Gardeur

Accommodements - Commission Bouchard-Taylor

Extrait du mémoire à la Commission Bouchard-Taylor
Chapitre 4 : Les solutions
Il n’est pas approprié selon nous, de procéder à un « accommodement »
chaque fois qu’un problème se pose. Les principes que nous venons de passer
en revue montrent bien que l’adaptation et l’intégration sont une nécessité
pour les immigrants et que le groupe majoritaire ne doit pas se
culpabiliser de refuser des demandes qui causent des désagréments ou qui
rompent tout simplement avec des principes ou une tradition bien établis.
4.1 Apprendre à être conscient de sa valeur et de ses valeurs sans se
culpabiliser
Certaines valeurs de notre société sont primordiales. Dans les chapitres
qui précèdent, nous les avons mentionnées à plusieurs reprises;
résumons-les encore une fois : démocratie, égalité de tous les citoyens,
égalité hommes/femmes, laïcité des institutions publiques, français langue
commune. Ce sont des éléments que nous avons acquis au cours des siècles et
des décennies passés et ils ne sauraient être remis en question. Tout ce
que les nouveaux arrivants pourraient apporter pour enrichir ces valeurs
est le bienvenu mais tout ce qui va à leur encontre doit être rejeté.
Nous avons noté précédemment une tendance chez l’ethnie majoritaire à se
dévaloriser à la suite d’expériences traumatisantes. Cela n’a pas lieu
d’être et devrait être combattu de toutes les façons. Dans l’immédiat, il
faudrait renforcer l’enseignement de notre histoire dans un sens
quantitatif mais aussi dans un sens interprétatif, que nous expliquons à
l’instant. Ultimement, comme l’a rappelé fort à propos il y a quelques mois
un des coprésidents de cette commission, il faudrait orienter nos efforts
vers la prise en charge complète de notre destin par l’indépendance
politique.
4.1.1 Au moyen d’un enseignement renforcé et revigoré de notre histoire
L’enseignement de notre histoire nationale a été négligé depuis la
Révolution tranquille. Paradoxalement, les instigateurs de ce grand
mouvement historique n’ont pas cru bon, dans la réforme de l’éducation
qu’ils ont entreprise et menée à bien, de prévoir une place privilégiée
pour l’histoire nationale. Pire, ils l’ont même abolie au primaire et au
secondaire pendant plusieurs années. Quand l’enseignement de l’histoire du
Québec a été rétabli, il l’a été sur une base insuffisante et avec des
programmes et des manuels qui se faisaient une gloire de la neutralité et –
on pourrait presque le dire – de l’insipidité les plus complètes.
Est-ce trop demander d’avoir des manuels qui, sans être hagiographiques,
expriment un peu de fierté devant les succès et les victoires de sa nation
et qui expriment un peu de sympathie et, quand il le faut, de colère devant
les injustices et les brimades dont ce même peuple a été victime? Il est
parfois déprimant de lire des manuels d’histoire destinés aux jeunes de nos
écoles secondaires. Nous donnerons ici quelques exemples tirés d’un des
manuels les plus en usage au niveau secondaire : il s’agit de Le Québec :
héritages et projets, publié chez HRW. Nous nous servirons de l’édition de
1994.
D’abord, la période de la Nouvelle-France est expurgée complètement des
guerres iroquoises, qui sont pourtant un des faits saillants du XVIIe
siècle. L’héroïsme dont ont fait preuve nos ancêtres dans ces circonstances
pénibles est donc passé sous silence. Inutile de dire qu’on ne trouve
aucune trace de l’épisode Dollard des Ormeaux, qui a pourtant son
importance malgré le révisionnisme qui en a fait, bien à tort, un acte de
banditisme. Les relations avec les Amérindiens sont, nous le savons, un
sujet délicat mais, nous en sommes persuadés, nous n’avons nullement à
rougir du type de relations que les habitants de la Nouvelle-France ont
entretenu avec l’ensemble des tribus amérindiennes. Nous n’avons pas à
céder, en matière historique, à un certain chantage qui vise à nous
culpabiliser.
Quant au voisinage difficile que nous avons eu à cette époque avec les
Anglais et les Américains, le sujet est aussi abordé avec retenue, pour ne
pas dire avec pusillanimité. Que nos ancêtres aient tenu tête pendant plus
de 150 ans à des forces de beaucoup supérieures aux leurs n’entraîne chez
les auteurs de ce manuel aucun élan de fierté. Ni non plus le fait que ces
mêmes ancêtres ont exploré et occupé plus de la moitié du territoire du
Canada et des États-Unis actuels. On parle, bien sûr, de la défaite de 1759
mais on parle très peu des multiples victoires remportées par les Français
sur les Anglais tout au long du régime français; on ne mentionne même pas
la victoire de Carillon en 1758. Où sont pour les nouvelles générations les
repères que nous avions avant 1964-1965?
En ce qui concerne le régime anglais, si on parle des troubles de
1837-1838, sans trop insister sur le caractère odieux de la gestion
coloniale anglaise, on fait une simple énumération, dépourvue de couleur,
des événements et des batailles. Wolfred Nelson, Jean-Olivier Chénier,
Chevalier de Lorimier ne sont même pas nommés; on mentionne presque comme
un fait divers la pendaison des 12 patriotes. Quant à la sauvage répression
qui a suivi la défaite en 1837 et en 1838 à l’instigation de la minorité
loyaliste, on n’en dit absolument rien. C’est de l’histoire désincarnée,
qui nous rend presque coupables de ce que nos ancêtres ont réagi devant
l’injustice.
Dans une période plus récente, comment, par exemple, traite notre manuel
du rapatriement de la constitution de 1982? En quatre lignes et demie, que
nous citons : « Pierre Elliott Trudeau, qui avait dominé la scène fédérale
depuis 1968, se retire de la vie politique en 1984 avec la satisfaction
d’avoir rapatrié la Constitution canadienne. » Rien sur l’épisode de
traîtrise de la Nuit des longs couteaux, rien sur l’opposition presque
unanime du Québec à ce rapatriement, une fleur à P. E. Trudeau, qui n’avait
pourtant pas le beau rôle dans cette affaire!
Voilà le type d’histoire qu’il ne faut pas enseigner et qui fait très peu
pour renforcer notre sentiment identitaire et nous rendre fiers de nos
racines. Nous souhaiterions que les prochains programmes et les prochains
manuels reflètent ce que nous avons été et ce que nous sommes : un peuple
valeureux, petit à l’échelle de la planète, mais qui a résisté aux
vicissitudes de l’histoire et qui s’affirme avec sa langue, sa culture, ses
réalisations et ses valeurs.
Malheureusement, les récentes propositions des programmateurs du ministère
de l’Éducation n’allaient pas du tout dans ce sens-là; elles allaient même
dans le sens d’une désincarnation encore plus complète. Même si elles ont
en partie été rectifiées, il est fort à craindre que les futurs élèves de
la réforme aient accès à une histoire plutôt terne, qui ne les aide pas à
se sentir plus conscients de leur identité. Est-il trop tard pour faire
machine arrière?
4.1.2 En se dirigeant vers l’indépendance
Tout peuple aspire à l’indépendance. Cela fait partie d’une évolution
normale. Si le désir d’indépendance est constamment bafoué, cela ne peut
être que dommageable et accentuer la dévalorisation qui découle d’un statut
de dominé et de colonisé. Quand on n’a pas une bonne opinion de soi, on a
tendance à se faire petit et à laisser la place à d’autres qui ont
peut-être mieux à proposer. C’est alors la cacophonie qui s’installe et
qui, finalement, ne profite à personne.
Le sentiment identitaire pousse à l’indépendance mais, en même temps,
l’indépendance en devenir ou acquise renforce ce sentiment identitaire. Il
ne faut pas éloigner l’objectif de l’indépendance, il faut s’y attacher
encore plus. Le Québec a droit à sa place dans le concert des nations; il a
le droit de se représenter lui-même et de se faire entendre au niveau
international. Nous en sommes rendus à un point où il est temps de nous
donner ce statut où nous a menés notre évolution.
L’indépendance, c’est une valeur qui nous manque. Mais c’est une valeur
qui s’ajouterait aux autres que nous possédons. Et qui nous rehausserait à
nos propres yeux. Ce que tant d’autres peuples ont revendiqué et obtenu,
pourquoi ne l’aurions-nous pas à notre tour pour en tirer tout le profit
possible? Ce serait manquer de confiance en nous que de ne pas vouloir être
indépendant mais le devenir renforcerait sûrement cette confiance, ce qui
ne pourrait qu’être bénéfique pour nous et pour tous ceux qui nous
rejoindraient et nous côtoieraient.
4.2 Vouloir intégrer plutôt qu’accommoder
Une fois convaincus de la qualité de nos valeurs et de notre propre
valeur, l’attitude à adopter vis-à-vis des nouveaux arrivants va s’imposer
d’elle-même. Il sera beaucoup plus question d’intégrer que d’accommoder,
cela se faisant sans rigidité mais avec fermeté.
Déjà, nous l’avons mentionné précédemment, la plupart des immigrants
arrivant chez nous ont la volonté de s’intégrer à notre société. Seuls
quelques segments de minorités fortement marqués d’influences religieuses
extrémistes refusent d’adopter nos habitudes et nos règlements et demandent
des dispositions spéciales. Et à mesure qu’ils les obtiennent, ils
s’enhardissent à en demander plus.
Les tensions naissent alors et nous assistons à des débats interminables
entre majorité et minorités, ainsi qu’à l’intérieur de la majorité et des
minorités. Si le débat est parfois sain, trop de débats, alimentés à tout
bout de champ par de nouveaux incidents, sont malsains et divisent la
société. Chacun se braque sur ses positions et les fractures
s’approfondissent. La ghettoïsation guette certains.
Au lieu de cela, pourquoi ne pas mettre les choses au clair, définir une
position majoritaire et s’y tenir? Nous avons énoncé plusieurs principes
qui devraient guider notre position : égalité, laïcité, langue commune,
continuité culturelle, rejet du multiculturalisme. Si on se laisse porter
par ces principes, la réponse à plusieurs demandes relatives à des symboles
religieux ou culturels, comme le turban, le kirpan, le hidjab, et à des
coutumes particulières, comme le erouv et la soukka, devient évidente. Les
symboles et les coutumes particuliers n’ont pas leur place dans les
institutions publiques ni dans l’espace commun quand ils perturbent l’ordre
public. Ils doivent être portés ou pratiqués en privé ou dans les endroits
publics non règlementés. Il ne devrait pas y avoir de passe-droit.
Par contre, tout devrait être mis en œuvre pour, d’une part, faire
connaître à tous les futurs immigrants notre volonté qu’ils s’intègrent à
nous et qu’ils respectent les dispositions en vigueur chez nous et, d’autre
part, s’assurer que cette intégration se fasse. Une fois parmi nous, il
faudra informer à nouveau clairement les aspirants à la citoyenneté de nos
règles de vie en société et faciliter l’adaptation de ces personnes à ces
règles. Notre prochain chapitre traitera d’une politique d’immigration et
d’intégration des immigrants pour le Québec.
***
Claude Richard, pour le Collectif Pierre-Le-Gardeur
P.S. Le Collectif Pierre-Le-Gardeur est formé, pour l'essentiel, de
membres de la Section Pierre-Le-Gardeur de la Société Saint-Jean-Baptiste
de Montréal.
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --


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