Infirmière au chômage forcé

Par Marie-Claude Lortie

Accommodement linguistique ?


On va l'appeler Mary parce qu'elle est anglophone. Anglophone et infirmière. D'origine ontarienne, elle est arrivée au Québec il y a trois ans, avec toute sa famille, après une carrière d'une vingtaine d'années aux urgences de grands hôpitaux, à Toronto principalement.
Née et formée au Canada, professionnelle travaillant dans un secteur durement touché par une pénurie de main-d'oeuvre qualifiée, Mary n'a pas eu de difficulté à obtenir de l'Ordre des infirmières du Québec (OIIQ) le droit de travailler ici.
Depuis deux ans, elle travaille dans un grand hôpital universitaire montréalais où elle est grandement appréciée de ses collègues.
Mais depuis la semaine dernière, Mary ne travaille plus.
Elle veut travailler. Elle rêve de travailler.
Mais actuellement, l'Office québécois de la langue française tarde à renouveler son permis de pratique. Celui que lui a donné l'OIIQ n'était que temporaire. Mary ne répond pas encore aux exigences linguistiques québécoises.
«Ça me crève le coeur parce que je sais qu'il manque d'effectifs, confie-t-elle, en anglais. Il manque de monde même quand on pense qu'il y a assez d'infirmières.»
Mary ne parle pas très bien français. Pour que son permis temporaire devienne permanent, il faut que l'infirmière réussisse un examen de français de l'OQLF. Or Mary a passé l'examen deux fois, mais y a échoué. Il ne lui reste plus qu'une troisième chance.
Aux urgences où elle travaille, où il manque d'infirmières comme il en manque partout au Québec, où les infirmières sont débordées, surmenées, épuisées, son absence crée un trou béant. «Son français n'est pas très hot mais son nursing, lui, est très très hot», confie un des médecins francophones qui travaille avec elle. «On ne pourrait pas trouver une meilleure solution?»
Le cas de Mary n'est pas unique. Il y a 71 infirmières travaillant actuellement au Québec avec un permis temporaire car elles ne répondent pas encore aux exigences linguistiques de la loi 101.
Mais le cas de Mary est différent car la question de la langue s'y entremêle avec une désespérante lourdeur bureaucratique.
En théorie, il n'y a pas de raison de ne pas renouveler le permis de cette infirmière. Il lui reste encore une chance de réussir l'examen de français.
Et selon l'Ordre des infirmières, qui agit comme courroie de transmission entre les infirmières et l'OQLF, Mary a rempli tous les papiers qu'il fallait et elle les a envoyés à temps.
Alors pourquoi la fait-on attendre pendant que le dossier suit son chemin?
Paul Brunet, directeur du Conseil de protection des malades, n'est pas étonné. «Le red tape, c'est un gros problème, dit-il. Ces institutions ont droit de vie et de mort sur des carrières et ils laissent les gens sans réponse, sans nouvelles.»
D'ailleurs, à entendre parler les gens de l'Ordre des infirmières, on a l'impression que l'Office est une sorte de bête qu'il ne faut pas contrarier en s'efforçant d'avoir des comportements «bien perçus»
Mary, elle, ne veut qu'une chose: réussir son examen et mettre tout cela derrière elle. Elle veut travailler. Elle gagne moins qu'elle gagnait en Ontario, mais elle a suivi son mari au Québec et elle veut poursuivre sa carrière.
Elle compte d'ailleurs investir dans un cours de français spécialisé, plus cher que ceux qu'elle a suivis jusqu'à présent, pour mettre toutes les chances de son côté.
Elle ne comprend pas, toutefois, pourquoi l'Ordre des infirmières et le réseau de la santé en général, ne l'aident pas plus à traverser toutes ces étapes. Après tout, n'est-elle pas une rareté très en demande?
«Je veux suivre les règlements, dit-elle. Je n'ai pas de problème avec ça. Et je comprends pourquoi il faut que j'apprenne le français. Mais personne ne m'aide.»
Et peut-on se permettre de la perdre?
Peut-on se permettre de ne pas faire d'exception, de dire non à une infirmière capable de communiquer avec quand même une bonne partie des patients de l'hôpital où elle travaille?
À l'Office de la langue française, Gérard Paquet, directeur des communications, résume ainsi le point de vue son organisme: «Un hôpital anglophone, dit-il, ça n'existe pas.»
Au Québec, tout le personnel hospitalier doit être en mesure de servir les patients en français.
D'accord.
Mais une fois de temps en temps, quand les circonstances le justifient, ne pourrait-on pas assouplir les règles et gérer l'exception?
Parce que Mary ne sera pas remplacée par une infirmière bilingue.
Elle ne sera pas remplacée. Un point c'est tout.


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