Les idées en l'ère

«Indignez-vous !» Oui, mais après?

«Les indignés» dans le monde


L'indignation est sans aucun doute le thème par excellence de 2011. Dans les rétrospectives que l'on fera bientôt de cette année troublée, elle occupera le sommet des palmarès.
Indignation dans les pays arabes, à la base des fameux «printemps» qui se sont multipliés. Indignation en Europe, contre les mesures d’austérité. La plaquette «Indignez-vous», de l’ancien résistant et diplomate français nonagénaire Stephane Hessel, vendue à 2,1 millions d’exemplaires en France et un million ailleurs dans le monde, a été un catalyseur et une promotion de cette émotion, car c’en est d’abord une. Et voilà que des «indignés» américains occupent Wall Street, marche sur Washington, avec l’appui du financier George Soros!
Au Québec, le thème est de plus en plus repris. Patrick Poirier, l’«organisateur-citoyen» d’une manifestation organisée après le coulage du Rapport Duchesneau, a revendiqué la parenté de son «Mouvement du 24 septembre» avec celui des Indignés d’Espagne. La «spontanéité du projet», le «caractère pacifique et apolitique» ainsi que «le vecteur d’information», les «médias sociaux», en font un «rejeton nord-américain» des Indignés du vieux continent, s’est réjouie Bénédicte Filippi dans le Journal des Alternatives.
L’altermondialisation, fauchée en plein essor par le 11-septembre, a un nouvel avatar, une internationale des «indignés». «Voici donc venu le temps, pour les citoyennes et citoyens du Québec, de joindre ce mouvement mondial pour une réelle démocratie et faire valoir, à notre tour, nos attentes modulées sur nos valeurs et nos principes qui ne sont pas si différentes de celles de nos ami-e-s indigné-e-s des autres nations en ébullition», écrivaient en juin dans un manifeste ceux qui se sont baptisés «Les Indignés du Québec, section Montréal».
La gauche moins «spontanée» reprend le concept. Le Conseil des Canadiens et Eau Secours entre autres ont convié les militants à une conférence les 21 et 22 octobre au Château Champlain. En langue bilingue, le «thême» [sic] se présente ainsi: «INDIGNEZ-VOUS ! HOPE IN RESISTANCE» «Le mouvement "Indignez" [sic] est une expression de l’indignation, nottament [sic] de la part de la jeunesse, contre l’écart croissant entre les très riches et les très pauvres», précise le communiqué.
En exergue de l’essai «De colère et d’espoir» (à paraître dans deux semaines aux éditions Écosociété) de la «co-porte-parole» de Québec solidaire, Françoise David, que trouve-t-on? Une citation de Hessel accompagnée d’une autre, d’Hélène Pedneault : «Pratiquer la colère, c’est décider d’être à la même hauteur que ses rêves et ses convictions pour les regarder dans les yeux.» Certaines distinctions doivent être faites. À Bazzo.tv l’autre jour, la cinéaste Micheline Lanctôt précisait par exemple avec sagacité que l’indignation, «ce n’est pas exactement de la colère, c’est une juste révolte». (À noter pour les futurs participants au Concours Philosopher dont le sujet de l'édition 2012 sera «L'indignation sauvera-t-elle l'humanité?»)
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Or, l’indignation, comme posture, n’est certainement pas sans risques. Jean-Claude Ravet, en mars, dans un numéro de la revue Relations consacré à ce thème, mettait le lecteur en garde. Certains ont l’indignation facile, «en font presque un métier». Les «chroniqueurs girouettes», prompts à s’indigner un jour d’une chose et «de son contraire» le lendemain (on cherche qui!), sont autant d’indignes indignés. La «bonne» indignation, la digne, est au contraire «celle qui se ressent au témoignage d’une injustice, qui ébranle et hérisse tout notre être, nous enjoignant d’agir et de se compromettre».
Comment distinguer l’une de l’autre cependant? Tâche ardue, souvent. Et comment nier que l’indignation peut renforcer certains travers bien de notre temps. Ce qui l’empêchera dans bien des cas de fonder une vraie et durable politique. Notre «déficit d’attention» collectif d’abord. Ayant toujours un peu la tête ailleurs à cause des inventions géniales de Steve Jobs, nos indignations risquent de tourner en simples sautes d’humeurs passagères. Interviewé à France Culture en février, Stéphane Hessel convenait lui-même que «l’indignation ne peut être que le commencement d’un travail à faire». Plusieurs, dans nos «sociétés du spectacle», se contenteront d’afficher leur indignation sur les médias dits «sociaux». Ils rempliront un désir mimétique inspiré par les révoltes arabes, issues de contextes totalement différents des nôtres. Difficile d’ailleurs, dans les manifestations de Montréal et même de Wall Street, de savoir précisément contre quoi on s’indigne. Bref l’indignation, qui promet de raviver l’action politique, risque de l’en éloigner. Bien des indignés d’ici, d’ailleurs, ne se proclament-ils pas «apolitiques»?
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Un appel, pour conclure ce premier texte: vous faites une revue d’idées, un blogue, une radio web; vous organisez un débat, etc.? Vous avez découvert un essai, un article, un podcast, une revue, un auteur peu connu, etc.? Aidez nous à capter les idées de notre ère à arobitaille@ledevoir.com


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