Il y a 50 ans, René Lévesque lançait le Parti québécois

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Lévesque n'aimait pas le nom du parti qu'il a fondé

Du 11 au 14 octobre 1968, plus de 2000 personnes se sont réunies au Pavillon de la jeunesse de Québec pour créer un nouveau parti politique : le Parti québécois (PQ). Ancien journaliste et député du Parti libéral, René Lévesque y prononce alors un discours vibrant, qui sera la clef de voûte de la future organisation. Des militants, présents durant ce congrès, se rappellent cet émouvant moment.


« C'était une fin de semaine d'enthousiasme délirant, comme on en a vécu beaucoup à cette époque-là », raconte Me André Joli-Cœur, assis dans son bureau à Québec.


Quelques mois après avoir été admis au Barreau du Québec, le jeune avocat de 25 ans assistait à ce congrès de fondation, qui comprenait de nombreux ateliers et discours.


« Vous avez de quoi, les jeunes, être jaloux de ce qu'on a vécu à cette époque-là. On avait l'impression de construire, de bâtir, d'amener l'avenir au présent. De faire fi de tout ce qui était mauvais dans le passé », se souvient-il.


Ce fut « chaud » et « euphorique », confirme l'avocat Guy Bertrand, l'un des membres fondateurs du parti.


« Ça bouillait de partout et, quand on est arrivés, on avait un homme qui canalis[ait] toute cette énergie-là. On avait de la misère à travailler en atelier tellement on était excités de dire "on prépare un pays" », rapporte-t-il.


«  Devenir un peuple qui va s’étonner  », lance Lévesque


« Héros exceptionnel », selon Me Joli-Cœur qui a par la suite été candidat du Parti québécois, René Lévesque avait pris la parole devant une foule conquise.


Il venait alors d'être élu par acclamation chef du Parti québécois, issu de la fusion du Mouvement souveraineté-association (MSA) et du Ralliement national (RN).


« Il y a des gens chez nous qui en sont venus à vomir tous les partis politiques, qui n’y croient absolument plus, parce que nos vieux partis, trop souvent, ont tout fait, et font encore tout ce qu’ils peuvent pour devenir aussi absolument incroyables », expliquait alors l’ancien ministre de Jean Lesage, en évoquant la fin d’une domination « stérile et frauduleuse ».


Il faisait alors référence à l'Union nationale et au Parti libéral.


Disant vouloir « créer un État souverain de langue française », René Lévesque en avait profité pour dénoncer les « aspects mesquins et déprimants » de la « partisanerie traditionnelle ».



Il doit y avoir moyen de le prouver, sans tomber dans l’incohérence et l’idéalisme échevelé, qu’un parti politique peut être réaliste sans tomber dans l’opportunisme, [qu'il] peut appartenir vraiment à ses militants tout en demeurant efficace.


René Lévesque, fondateur du Parti québécois


« C’était un bon vulgarisateur, c’était un bon communicateur, c’était un homme honnête. On le suivait, on avait une confiance aveugle en lui, parce que c'était un rassembleur; il pouvait calmer les élans, mais l’espoir était là », souligne, 50 ans plus tard, Guy Bertrand.


Des politiciens qui exploitent « nos vieilles peurs »


Durant cette allocution, l’ex-journaliste et animateur avait aussi taclé les politiciens qui « se donnent un visage angélique » et qui veulent « exploiter toutes nos vieilles peurs les plus paralysantes devant un changement qui s’impose ».


« Nous pouvons même devenir un peuple qui va s’étonner lui-même de ce dont il est capable », lâchait-il, avant de faire la promotion de l'indépendance.


« Le jour même où le Québec se décidera par une majorité claire, le peuple pion sera devenu un peuple maître. Le peuple incohérent et dépendant se verra enfin chargé de son propre destin. Il sera alors à la tête de son propre chantier. Ce jour-là, tout deviendra possible », avançait-il, avant de profiter d’une longue ovation et d’allumer une cigarette, pendant que la foule scandait le nom du futur premier ministre.


Lévesque voulait pourtant un autre nom


Au cours de ce congrès, les militants devaient également choisir le nom de ce nouveau parti politique. Trois choix ont été proposés : Parti québécois, Parti souverainiste du Québec et Parti souveraineté-association.


Mais le choix fut difficile. « Pour la première fois, on voyait un affrontement », narre Guy Bertrand.


« Il y avait un certain consensus d'un peu tout le monde pour que ça s'appelle Parti québécois, mais M. Lévesque était sous l'impression, je crois à tort, que c'était réducteur [de] parler du Parti québécois, que ça semblait exclure toute une partie de notre population, que ça donnait l'apparence qu'on excluait d'autres personnes », se souvient André Jolicoeur.


Partisan du Parti souverainiste du Québec, René Lévesque a finalement cédé. « C'était un bras de fer, il fallait que quelqu'un casse; et cet homme-là, exceptionnel, extraordinaire, savait casser lorsque nécessaire et c'est ce qu'il a fait cette fois-là en 1968. Il a fait place à la volonté populaire des membres de son futur parti », ajoute l’avocat.


285 voix contre 131


Le journal Le Devoir a compilé les résultats des votes dans son édition du 15 octobre 1968. Le Parti québécois, une proposition de Gilles Grégoire, futur vice-président du PQ, a obtenu 285 votes, contre 131 pour le Parti souverainiste du Québec et 44 pour le Parti souveraineté-association.


« C’est un très bon nom qu’on a choisi », a par la suite déclaré René Levesque, alors que quelques rires se sont fait entendre dans l'assemblée.


Et maintenant?


Alors que le Parti québécois vient de vivre une cuisante défaite, avec l'élection de 10 députés contre 30 élus en 2014, Guy Bertrand se montre pessimiste quant à l'avenir de l'organisation dirigée désormais, de manière intérimaire, par Pascal Bérubé.


« M. Lévesque l'avait dit : si on ne réussit pas à prendre le pouvoir dans 20 ans et à faire l'indépendance dans 30 ans, ce parti-là va disparaître », rappelle le magistrat, qui dénonce l'absence de l'enjeu souverainiste au cours de cette campagne.


« La stratégie est perdante, puis le nom du parti est brûlé. C'est une marque de commerce qui n'est plus vendable. Ils ont beau faire leur possible là, mais... », assure-t-il, sans terminer sa phrase.


Se disant « malheureux », André Joli-Coeur tente quant à lui de garder espoir. « Je n’en fais pas un deuil comme membre du Parti québécois », confie-t-il, en soulignant que « les votes sont allés dans un parti plus à gauche que nous [Québec solidaire], et dans un parti nationaliste [Coalition avenir Québec], plein de souverainistes et de fédéralistes chétifs ».


Pour le professeur d’histoire politique de l’Université de Sherbrooke, Harold Bérubé, le déroulement de ce congrès de fondation permet de mieux comprendre le déclin actuel du Parti québécois.


« Le Parti québécois est d'abord et avant tout une coalition, une coalition de gens d'horizons divers qui se retrouvaient dans l'idéal d'indépendance, jusqu'à un certain point autour de la personne de Lévesque », détaille Harold Bérubé, qui évoque à présent un « délitement » et une « désintégration de cette coalition-là ».



Plusieurs groupes au sein du Parti québécois ont renoncé à taire leurs différences idéologiques au nom de l'indépendance et se sont mis à nouveau à chercher une maison politique dans laquelle ils se retrouveraient.


Harold Bérubé, professeur d'histoire politique


« Le présent du parti est préoccupant », affirme lui aussi Martin Pâquet, expert en histoire politique à l'Université Laval.


Ce dernier rappelle néanmoins qu'après la défaite du Parti québécois en 1985, « l'idéal de souveraineté semblait loin », avant qu'un deuxième référendum ne voie finalement le jour.


« Mais maintenant, cette coalition n'est plus la même, reprend le professeur. Avant, il y avait un seul parti avec différents courants. Maintenant, il y a un autre parti [Québec solidaire] qui divise les souverainistes. »