Élections

Il faut stopper le Plan nord

PLAN NORD - gérer nos richesses naturelles

Lorsqu'un gouvernement provincial commence à parler de milliards $ par dizaines, il faut prêter attention. Or, les libéraux viennent de lancer un chantier évalué à 80 milliards $ sur 25 ans, dont 33 viseraient des projets financés conjointement par l'État et le secteur privé. Malheureusement, on ne connaît pas les parts respectives de chacun. Pis encore, Hydro-Québec serait éventuellement mise à contribution à la hauteur de 47 milliards $ dans des chantiers plus ou moins définis. Malgré le flou qui caractérise cette gigantesque entreprise, on promet des gains sur investissement de 14,2 milliards $ sur 25 ans également.
Que savons-nous de ce projet à date? Le gouvernement veut «créer de la richesse» en développant le potentiel économique du Grand Nord Québécois. Généralement, on se propose d'articuler le chantier autour de deux axes principaux, le secteur minier et le tourisme. Selon la description offerte du projet, les priorités pencheront de façon lourdement dominante du côté de l'extraction des ressources minières. Et, il semble bien que c'est à ce seul aspect de la chaîne industrielle que se limitera le Plan Nord mis de l'avant par les libéraux, le gouvernement refusant d'imposer aux multinationales l'obligation d'effectuer la transformation du minerai brut sur place. Pourtant, ce même gouvernement donne l'impression de vouloir prendre à sa charge la quasi totalité des coûts d'infrastructures nécessaires à la mise en oeuvre du chantier. Les fonds publics seront donc mobilisés pour la construction de routes, d'aéroports, de ports, de voies ferrées, de gazoducs, de centrales électriques et de ligne de transmission d'électricité. On entrevoit en outre la possibilité de participations dans le capital-actions de certaines sociétés, des placements hautement risqués. Finalement, c'est à une nouvelle société d'état, la Société du Plan Nord, que l'on entend confier la gestion générale du projet. Nous dirigeons-nous vers un gouffre financier sans fond? S'il faut se fier à Mark Twain, qui a défini une mine d'or comme étant un trou dans le sol avec un menteur au-dessus, le risque est là.
Un peu d'histoire
Dans les années 60, on avait d'abord évalué à 400 millions $ le coût de la nationalisation de l'électricité. La facture totale touchera cependant 600 millions $, pour un dépassement de coût de 50 %.
Le 30 avril 1971, devant une foule partisane réunie au Petit Colisée de Québec, Robert Bourassa annonce l'intention de son gouvernement d'entreprendre la réalisation du projet de la Baie James. Son évaluation des coûts: six milliards $. À la même époque, les firmes de génie-conseil Rousseau, Sauvé, Warren et ABBDL étaient plutôt d'avis que la facture avoisinerait les 7 milliards $. L'organisateur principal du Parti libéral, Paul Desrochers, aurait quant à lui visé beaucoup plus haut, soit 11 milliards $? Il connaissait certainement des choses que le jeune premier ministre ne connaissait pas...
En 1972, Hydro-Québec parlera de 5,8 milliards $. Les Québécois se satisferont de cette évaluation pendant les quelques années qui suivront.
Mais, au cours de la première semaine de juillet 1974, ils auront droit à une surprise de plusieurs milliards $. La fourchette des coûts se situait désormais entre 9,9 et 11,9 milliards $. Selon les explications d'Hydro-Québec et de la Société de la Baie James, on avait mal évalué les conditions sur le terrain, l'inflation et les taux d'intérêt avaient bousculé les estimés initiaux et il fallait augmenter la puissance de La Grande.
Deux ans plus tard, fin août 1976, les parlementaires québécois sont une fois de plus confrontés aux méfaits de l'inflation et de son complice, les taux d'intérêt . D'autres coûts s'étaient également greffés aux premiers en raison de la nécessité de protéger l'environnement, d'impératifs liés à la sécurité et de la bonification des conditions de travail. Il allait donc falloir compter 16,153 milliards $.
En septembre 1978, les Québécois auront enfin droit à une «bonne nouvelle». Les coûts prévus étaient ramenés à 15,129 milliards $, mais le projet LG 1 était reporté. La capacité de LG 3 et LG 4 allait cependant être légèrement augmentée. Début juin 1981, une autre «bonne nouvelle» fait les manchettes. Le coût du projet avait «fondu» à 14,6 milliards $.
À la fin des travaux, la Phase 1 de La Grande sera livrée pour la modique somme de 14,6 milliards $. Entre 1971 et 1985, les coûts avaient gonflé d'environ 175 % %. Et, Hydro-Québec avait financé la totalité du projet, en partie à même ses profits, mais surtout au moyen de gigantesques emprunts. Heureusement, l'entreprise représentait un risque économique presque négligeable. La demande pour le produit final était là: la population québécoise. Et, elle était plus ou moins captive. On imagine difficilement une émigration massive en raison des coûts de l'électricité. Et, l'on était en présence d'un produit essentiel. En plus, le producteur était en situation de monopole. Le Bonhomme Carnaval aurait probablement pu mener le projet à terme.
Le Plan Nord
Est-on dans la même situation dans le cas du Plan Nord? D'abord, il faudra bien reconnaître que personne ne peut faire de prédictions fiables sur un horizon de 25 ans. À ce seul titre, le projet du gouvernement appelle à la prudence.
Maintenant, le secteur des ressources naturelles n'est pas un service public livré à une clientèle captive. Il s'agit d'un domaine caractérisé par un niveau de risque stratosphérique. Sur 100 projets d'exploration, un seul se rend à la production. Certains vont même jusqu'à dire que cette proportion serait plutôt de 1/1000. Étant donné les succès passés du gouvernement québécois dans la distribution de son capital de risque minier et pétrolier, il est légitime de s'interroger très sérieusement au sujet des 500 millions $ qu'il entend attribuer à cette fin dans le futur proche.
Mais, il y a aussi le fait de la volatilité extrême du prix des ressources naturelles, comme l'ont démontré les creux atteints suite à la crise asiatique et à celle du crédit en 2008. Le secteur est en grande partie aux mains des spéculateurs qui y parient des sommes pharaoniques qu'ils ont empruntées auprès de banques qui ont elles-mêmes obtenu leurs fonds auprès des banques centrales. Or, l'économie mondiale pourra-t-elle se permettre de payer indéfiniment cette prime à la spéculation? Plusieurs pays émergents doivent subventionner les produits de première nécessité et cela creuse leur budget. Est-ce que cela pourra durer 25 ans encore? Et, il faudrait être borgne pour s'imaginer que les pays dits développés peuvent se permettre une attitude débonnaire face aux coûts de la spéculation massive.
On dit que le prix des ressources est essentiellement dû au développement de certaines grandes économies émergentes comme la Chine, l'Inde, la Russie et le Brésil. C'est oublier le fait que ces économies sont en lourd déficit de consommation interne et qu'elles comptent sur les exportations pour accumuler les devises fortes qui leur permettent d'acheter les ressources dont elles ont besoin pour leur développement. Et celui-ci est largement déséquilibré en faveur de l'investissement en capital, en plus de dépendre de la main-d'oeuvre peu coûteuse pour la construction des infrastructures liées à ces investissements. Or, les économies dites développées pourront-elles absorber la production qui sortira en volume nécessairement croissant de la machine industrielle émergente? Autrement dit, les économis dites développées accepteront-elles pendant 25 ans encore des taux de chômage réels frisant les 15 %?
Maintenant, pouvons-nous espérer que les taux d'intérêt qui prévalent à l'heure actuelle se maintiendront 25 ans encore? Si les taux à long terme croupissent à 3 %, cela est dû au «carry trade», soit aux hedge funds qui placent dans des titres à 10 ou 30 ans des fonds à court terme quasi gratuits qu'ils ont obtenus auprès des banques qui les ont elles-mêmes empruntés pour rien des banques centrales. La Réserve fédérale achète d'ailleurs une bonne partie des bons lancés par le Trésor US. À bien y regarder, on constate qu'il s'agit-là d'un énorme système de type Ponzi. Pour l'instant, cette stratégie a pour effet de garder le prix des ressources élevé. Et, cela ne manquera pas de donner lieu à de l'inflation et à des augmentations de taux. Alors, il faudra bien cesser un jour ou l'autre.
Or, que feraient les multinationales dans le cas d'un effondrement durable du prix des ressources? Elles fermeraient boutique, laissant derrière routes, aéroports, ports, voies ferrées, gazoducs, centrales électriques, lignes de transmission d'électricité et possiblement salmigondis écologique douteux. Les minières multinationales ne sont absolument pas dans la même situation qu'Hydro-Québec qui distribue un service essentiel à une population captive.
Mais, même à cela, que faut-il penser du fait que la société d'État québécoise doive éventuellement financer les 47 milliards $ du Plan Nord au moyen d'emprunts? Précisons d'abord que les profits d'Hydro sont déjà lourdement taxés par le dividende annuel qu'elle verse au gouvernement. Dans une certaine mesure, il faut même se demander si ses profits ne sont pas en partie artificiels. Pourquoi, en effet, la Société d'État a-t-elle allongé à cent ans la période d'amortissement d'une bonne partie de ses immobilisations? Ces dernières sont-elles bien entretenues? Il faudrait le vérifier. De plus, sa rentabilité est loin d'être assurée au plan microéconomique. Le très lucratif contrate que la Société détient avec Terre-Neuve prendra un jour fin. Et, elle ne peut ni même rêver de pouvoir répéter le coup. Qu'en est-il de ses autres sources de revenu? Hydro-Québec vend au-dessous du prix coûtant aux alumineries. Mais, au moins, elle contribue par là à garder certains emplois au Québec. On ne peut en dire autant, cependant, de ses ventes à perte au Vermont. À cela, il faut ajouter ses transactions coûteuses avec Trans-Canada Énergie. En fait, Hydro-québec serait en inquiétante situation de surcapacité. Alors, pourrait-elle obtenir des taux d'intérêt avantageux sur le marché du crédit? Et, les Québécois ne risquent-ils pas de devoir encaisser de douloureuses hausses de tarifs éventuellement?
La situation est simple. Le gouvernement s'apprête à se lancer dans des investissements aussi coûteux que risqués. Et, c'est la population qui en fera les frais, sans avantage consécutif pour la masse de ceux qui paieront. Mais, il est peut-être encore temps de stopper la machine. Les partis d'opposition devrait promettre d'éventuellement annuler sans compensation tous les engagements pris par le gouvernement en lien avec le Plan Nord, à moins qu'une élection ne soit déclarée sur la question sans autre délai. Si la population reconduit le gouvernement au pouvoir, alors, soit. Sinon, le nouveau gouvernement pourra reprendre le projet avec moins de précipitation, de façon moins globale et exiger de biens meilleurs avantages pour l'économie québécoise contre la participation, mesurée, du gouvernement. Et, pour cela, l'opposition a un précédent... l'élection de novembre 1962.


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6 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    10 avril 2012

    En page A-4 du Devoir de ce matin (10-04-12), Mark Carney déclarait que le Canada devrait exporter ses ressources naturelles de façon rapide, efficace et durable. Il ajoutait qu'il serait prudent de s'entendre sur des prix à long terme pour se protéger du risque de la fluctuation des prix...Que ceux qui veulent comprendre, comprennent. C'est un ancien de Goldman Sachs...Il n'a pas perdu ses réflexes...
    L. Côté

  • Stéphane Sauvé Répondre

    28 mars 2012

    Serge Bouchard, http://www.socam.net/?s=archives&id=767&CATEGORIE=%25&TRI=dateAjout&ORDRE=DESC&LIMIT=25, termine en nous parlant d'un Plan Nord, qui contrairement aux 3 autres qui ont précédés, peut nous donner une richesse collective...pas un apauvrissement collectif.

  • Stéphane Sauvé Répondre

    28 mars 2012

    http://www.socam.net/?s=archives&id=767&CATEGORIE=%25&TRI=dateAjout&ORDRE=DESC&LIMIT=25
    Pour écouter Serge Bouchard sur le sujet.
    Installez-vous confortablement, et écoutez....un résumé oral de nos plans nords depuis 1960....
    Formidable !

  • Archives de Vigile Répondre

    28 mars 2012

    J'ai bien apprécié les vidéos de monsieur Pomerleau, qui nous ramenaient au début des années 60...mais ça ne rajeunit personne, ça...
    Évidemment, il faudrait que l'opposition se dise également prête à annuler les engagements relatifs au Plan Nord pris pendant la campagne électorale, sinon...
    La partie historique de mon texte a été tirée de:
    (1)Baie James, une épopée, Libre Expression, Montréal, 1983, LACASSE, R.
    (2) Jean Lesage et la révolution tranquille, Trécarré, Saint-Laurent, 1984, Thomson, D.
    Passons à Me Cloutier, maintenant. Effectivement, seule l'indépendance nous rendrait véritablement maîtres chez nous, sous réserve des grands pouvoirs économiques qui imposent leur volonté à l'échelle mondiale. À tout événement, est-ce que le Québec montre actuellement la détermination suffisante pour réaliser son indépendance? La réponse est non. Pour l'instant, il devrait apprendre à s'affirmer comme province, ce qu'il ne fait même pas. Au plan économique, le Québec se laisse plumer avec une admirable passivité. Dans un commentaire récent, je rappelais que le fédéral venait d'annoncer son intention de «réorganiser» le secteur de l'aéronautique. Je rappelais également que la dernière fois que le fédéral avait «réorganisé» une industrie, le secteur maritime, il en avait exclu le Québec. Et, là, avec Aveos, l'aéronautique est probablement sur la 401...Qu'est-ce qui va rester ici, si jamais le Québec opte pour l'indépendance? Alors, non, il n'est pas inutile de vouloir s'affirmer comme province avant de parler d'indépendance. Je comprends ce que vous dites Me Cloutier, mais je vois aussi la réalité.
    L. Côté

  • Archives de Vigile Répondre

    27 mars 2012

    Message à J.C. Pomerleau
    Arrêtez de me faire rire avec vos slogans creux.On sera maîtres chez nous quand on sera un État souverain et indépendant. Pas avant. Le reste c'est juste de la boulechite de petits politiciens professionnels provinciaux.
    Pierre Cloutier

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    27 mars 2012


    Nationalisation de l'hydroélectricité 1962 :
    http://archives.radio-canada.ca/economie_affaires/energie/clips/11579/
    http://archives.radio-canada.ca/politique/provincial_territorial/clips/1080/
    ...
    Un documentaire bon à revoir pour se remettre dans l'esprit du Maitre chez nous.
    Ce sera le thème de la manif du 22 avril 2012: Redevenir Maitre chez nous.
    JCP