La réforme du Programme expérience Québec annoncée par Simon Jolin-Barette a été au cœur de l’actualité, cette semaine. Elle a suscité une telle controverse qu’il a dû la suspendre pour retourner à sa planche à dessin. Avait-il raison de céder aux pressions médiatiques? Fondamentalement, faut-il réformer le PEQ? Pour mieux comprendre la querelle, j’ai interviewé Tania Longpré, spécialiste en francisation et en intégration des immigrants.
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MBC. Le gouvernement Legault s’est engagé dans une réforme du PEQ avant de battre en retraite vendredi soir. Au-delà de la joute politique, s’agissait-il d’une réforme nécessaire?
TL. Évidemment que les réformes y sont nécessaires, comme dans plusieurs programmes qui méritent des ajustements lorsqu’on se rend compte que certains problèmes en découlent. Ne pas laisser une clause grand-père était déraisonnable, mais ne pas réformer le PEQ l’aurait été encore plus. D’abord, modifier la liste des formations est une excellente idée, il apparait saugrenu de ne jamais modifier celle-ci avec les besoins du marché du travail – même si la liste du gouvernement n’était pas à jour, ce qui est un autre problème, qui relève de l’amateurisme politique. Il me semble ridicule qu’une formation qui ne donnerait pas de points à un aspirant travailleur qualifié en donne à un étudiant voulant se qualifier pour le PEQ.
De plus, il est important de modifier le programme afin de palier à certaines lacunes connues. En effet, nous avons déjà entendu parler de certains problèmes liés au PEQ dans l’actualité dès 2017. Des commissions scolaires ont été mises à l’amende puisqu’elles offraient des formations courtes de type «DEP» à des étudiants internationaux, les qualifiant du même coup pour le PEQ, qui est un programme permettant à des diplômés ou à des travailleurs étrangers de demeurer au Québec –moyennant la réussite d’un examen de français démontrant un niveau 7 (sur une échelle de 0 à 12) de production orale en français. Or, les étudiants de certaines commissions scolaires anglophones ne parvenaient pas à ce niveau de langue. Notons qu’on ne valide présentement que leur niveau de production orale alors que plusieurs recherches démontrent que les aptitudes en littératie (compréhension de lecture et production écrite) sont importantes pour l’intégration sur le marché du travail et pour l’intégration des nouveaux arrivants en général dans une société lettrée comme le Québec. Plusieurs étudiants ont été forts sentimentaux dans les médias depuis 2017, jusqu’à cette semaine à l’Assemblée nationale. Ils se plaignaient qu’ils auraient à retourner chez eux puisque leur niveau de français n’était pas adéquat. Or, il est bien spécifié dans les critères du PEQ qu’ils doivent atteindre le niveau 7, qui est un niveau de français intermédiaire-fort (B2 sur l’échelle européenne.) Ne serait-ce que pour limiter les « fraudes » on doit réformer le PEQ afin de mettre sur pied un examen de français québécois qui pourrait valider le niveau de français autant oral qu’écrit des gens voulant se qualifier pour ce programme. Encore une fois, il ne faut pas généraliser, mais une épreuve uniforme permettrait d’être équitables envers tous les candidats au PEQ.
De plus, ne soyons pas dupes, ce programme permettait à certains consultants en immigration ou avocats de recruter des gens à l’international leur promettant mer et monde dans une nouvelle vie au Québec : y faire un diplôme et y demeurer à long terme. Au Québec, mais aussi, dans certains cas, n’importe où au Canada, le PEQ étant une voie d’immigration plus rapide et plus facile à réussir qu’une demande comme travailleur qualifié qui évalue les candidatures à l’aide d’une grille comprenant plusieurs facteur tels que l’âge, le domaine d’études, les diplômes, les connaissances du français ou de l’anglais, le nombre d’enfants, etc.) Ce qui fait en sorte que certaines personnes passent par le PEQ afin de s’installer à Toronto ou encore à Vancouver. Je ne dis pas que la majorité des gens ont de mauvaises intentions, mais vaut mieux modifier le programme que de permettre à certains d’en faire mauvais usage.
De plus, les établissements d’éducation sont aussi à blâmer. Je comprends qu’elles attirent une clientèle en leurs murs, mais ils ne sont pas le gouvernement, ce ne sont pas les universités ou les autres établissements scolaires qui doivent sélectionner les immigrants, ceux-ci doivent être sélectionnés par un ensemble de critères prédéterminés par le gouvernement.
N’oublions pas qu’immigrer est un privilège et non pas un droit, n’en déplaise à certains.
MBC. Peut-on considérer que ceux qui passent par le PEQ répondent aux attentes en matière de francisation?
TL. S’ils sont évalués par une épreuve uniforme, oui. Or, la réussite d’un diplôme dans un établissement d’éducation ne démontre pas toujours l’atteinte d’un niveau 7. On demande en effet d’avoir réussi un programme d’études au Québec en français, mais on peut très bien étudier et diplômer d’un programme francophone sans avoir un niveau 7 de français. (Oui, oui!)
Pour pallier ces lacunes, il faut qu’une épreuve de français soit développée au Québec et qu’elle soit systématiquement réussie par tous les candidats du PEQ, qui ont beaucoup moins de critères que les immigrants qui sont sélectionnés via le programme d’immigration régulière. Présentement, des épreuves européennes sont utilisées (comme si l’expertise en didactique des langues secondes n’existait pas au Québec!) Notez que je me suis exprimée sur plusieurs tribunes dans les dernières années afin de demander la mise sur pied d’une telle épreuve, qui, selon moi, règlerait plusieurs problématiques liées au PEQ et ferait aussi en sorte de valoriser le français québécois chez nos nouveaux arrivants.
Si j’avais un tout petit peu de poudre magique, je m’assurerais que cette épreuve mesure non seulement les compétences orales en français mais aussi les compétences en littératie qui sont essentielles. Par contre, je serais peut-être un peu plus libérale que le gouvernement et j’abaisserais le niveau à atteindre à l’échelon 6.
MBC : Quelles sont les grandes mesures nécessaires pour mener à terme une réforme complète de notre politique d’intégration, conforme à nos intérêts nationaux?
TL: Il y en a plusieurs: mieux intégrer les nouveaux arrivants sur le marché du travail, mettre sur pied des programmes d’accès au travail pour les travailleurs qualifiés qui doivent plus souvent qu’autrement recommencer leurs études une fois au Québec, rendre obligatoire une épreuve de français québécoise que les nouveaux arrivants devraient réussir après un maximum de trois ans au Québec, qui mesurerait autant les compétences orales la compréhension écrite, rendre la francisation obligatoire, donner plus d’heures de francisation aux travailleurs étrangers afin qu’ils puissent atteindre un niveau 7 et pouvoir demeurer au Québec à long terme, intégrer les nouveaux arrivants ailleurs que sur l’île de Montréal. Au-delà de la francisation, il faudra aussi s’assurer de l’intégration culturelle et économique des nouveaux arrivants, et ceci passe énormément par l’accès au marché du travail, ce qui, malgré les pénuries de main d’œuvre dans les secteurs tertiaires, demeure extrêmement difficile. Surtout, n’oublions pas que l’intégration des immigrants est un investissement pour l’avenir du Québec, ce que certains semblent malheureusement trop souvent oublier.
MBC: Dans son livre Disparaître, Jacques Houle soutient que les seuils d'immigration du Québec sont démesurément élevés et qu'ils doivent être ramenés au maximum à 30 000. Que pensez-vous de cette proposition?
TL: J’ai toujours un peu de difficulté avec cette question. Si les politiques d’intégration fonctionnaient bien, je ne verrais pas pourquoi on ne pourrait pas conserver les seuils actuels ou même les augmenter. Or, ce n’est pas le cas : l’intégration des nouveaux-arrivants est trop souvent un échec.
Par exemple, les politiques de régionalisation qu’on tente depuis plusieurs années ne donnent que très peu de résultats, les immigrants ne se francisent pas tous, les taux de chômage sont encore plus élevés que ceux des natifs et surtout, les nouveaux arrivants occupent trop souvent des emplois pour lesquels ils sont surqualifiés. Ceux qui plaident pour la hausse des seuils d’immigration sont souvent les milieux d’affaires ou le conseil du patronat, or, ceux-ci ne comprennent pas toujours que les nouveaux-arrivants sont souvent beaucoup plus instruits que la main d’œuvre dont ils ont besoin. Si les conditions de travail étaient bonifiées et les salaires augmentés dans certains secteurs de travail, nous n’entendrions probablement pas les lobbies réclamer de hausse des seuils d’immigration, mais ça, c’est un autre débat...