"Terre de nos aïeux: quatre générations à la recherche du Canada"

Ignatieff tend la main aux souverainistes

Le plus récent livre du chef libéral se partage entre la chronique familiale et l'exposé politique

Le Canada comme fiction...

Hélène Buzzetti - Il est peut-être devenu chef du Parti libéral du Canada, mais l'intellectuel, l'écrivain en lui, n'est pas mort. Michael Ignatieff lance aujourd'hui Terre de nos aïeux: quatre générations à la recherche du Canada, son 17e livre.
Ottawa -- Commencé en 2000, l'ouvrage se voulait le récit de la famille maternelle de Michael Ignatieff, les Grant. Terminé en 2009, à deux semaines de son couronnement officiel à Vancouver, il devient un outil politique qui arrive à point nommé. Le chef du PLC y désamorce les critiques que lui a values son absence du pays pendant 25 ans, promeut la spécificité canadienne face au voisin américain, lance quelques idées qui lui tiennent à coeur et invite les Canadiens à tendre la main aux souverainistes québécois.
«Aimer un pays est un acte d'imagination.» Ainsi commence ce livre de 180 pages publié chez Boréal. Pour le chef du PLC, chaque Canadien fantasme son pays idéal et le défi, selon lui, consiste à se faire «une image mentale de ce que nous avons en partage». Une bonne dose d'empathie est requise, en particulier envers les Québécois.
«Il faut imaginer le pays comme pourrait le voir un Québécois, un Québécois qui n'a jamais été attaché au drapeau, au Parlement et à l'évocation des sacrifices qui nous émeuvent parfois aux larmes. Voici un concitoyen qui a voté "Oui" aux référendums de 1980 et de 1995 pour diviser le pays, écrit-il. Il nous faudra comprendre ce que nous avons du mal à comprendre. Nous n'avons pas le choix. Un contrat d'indifférence mutuelle ne ferait que reporter à plus tard le jour funeste.»
Michael Ignatieff tend la main aux souverainistes sans pour autant leur demander de renier leurs idées. Ils restent des concitoyens avec qui il faut travailler, «ne serait-ce que jusqu'au prochain épisode de rupture», écrit-il sans état d'âme. D'ici là, il propose un pacte: «Ce Québécois devra comprendre l'intensité de l'attachement au Canada qu'il n'éprouve pas lui-même. Et il nous faudra comprendre, ou du moins respecter, le rêve qui l'anime.»
Avant d'enchaîner avec le récit de son arrière-grand-père, de son grand-père et de son oncle maternels, les Grant, Michael Ignatieff commence son livre par un plaidoyer pour le patriotisme que certains souverainistes pourraient interpréter comme une caution de leur mouvement.
Quoique globe-trotter lui-même, il s'attaque aux cosmopolites qui raillent le nationalisme sous prétexte qu'il s'agit au mieux d'un sentiment «désuet», au pire d'un «délire collectif». Ces gens pensent «que les frontières s'effacent, que les traditions nationales se mélangent, que les vieilles passions nationalistes sont responsables des guerres et de l'intolérance [et que] ce qu'il faut, c'est être plus cosmopolite, ouvert sur le monde». Faux, tranche-t-il. «Le cosmopolitisme est le privilège de ceux qui détiennent un passeport, le luxe de ceux qui ont un pays à eux.»
Histoire de famille
Terre de nos aïeux raconte l'histoire d'une bourgeoisie canadienne qui, bien avant l'heure de la mondialisation, avait déjà un pied au Canada, l'autre en Grande-Bretagne, en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Japon.
Michael Ignatieff n'y a pas fait exception, lui qui a vécu 20 ans à Londres, et enseigné cinq ans à Harvard. Il profite du livre pour expliquer sa démarche. «J'ai grandi dans un foyer canadien, et mes parents étaient convaincus que la vie était ailleurs. Il en est ainsi dans tous les petits pays et sociétés provinciales du monde. [...] Ma famille m'a inoculé cette façon de voir, et la solution que j'ai trouvée a été de me sortir de là, de partir dans le grand monde [...]. Puis j'ai fait ce qu'ils ont tous fait, mon arrière-grand-père, mon grand-père, mon oncle: je suis rentré à la maison. La vie était ailleurs, d'accord, mais ici se trouvaient mon problème, mon obsession, ma maison.» Cette obsession, c'est de savoir si le Canada «a ce qu'il faut» pour devenir grand.
Puissance énergétique
En guise de conclusion, Michael Ignatieff lance l'idée de bâtir des couloirs de transport énergétique d'est en ouest qui feraient contrepoids aux lignes de commerce nord-sud et qui consolideraient l'identité nationale.
«Nous envoyons du pétrole de l'Alberta et de la Saskatchewan aux Américains, en même temps que nous en importons de grandes quantités du Venezuela et du Moyen-Orient pour subvenir aux besoins de l'Ontario, du Québec et des Maritimes. À quoi cela rime-t-il?» Il se demande pourquoi Hydro-Québec envoie son surplus d'électricité aux États-Unis plutôt que vers l'ouest.
Michael Ignatieff connaît l'argument des marchés, mais n'y adhère pas. Nos ancêtres, écrit-il, «rétorqueraient que le pays n'aurait jamais vu le jour si la logique de l'argent avait tracé notre destinée. Si c'était le cas, nous serions américains».


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